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Mer 30 Oct 2019 - 15:56
- Limonov-sensei. Vous avez reçu une lettre.
Tirée hors de son monde musical, elle en avait reconnu le ton de Kaitlin. Ce n'était pas "une lettre". C'était celle qu'elle attendait. Avec un petit couinement bienheureux, elle vint la chercher, sans l'ouvrir encore. Elle en reconnaissait le papier, ou même l'odeur. Et sa chère aide n'avait pu que confirmer ce qu'elle soupçonnait. Malheureusement, celle-ci ne pourrait suivre cet échange épistolaire plus longtemps : Anja l'avait promis et posé sur papier, sa lectrice allait changer. Au moins pour cette fois.
C'était alors qu'elle avait repensé à cette femme, aux allures si nobles, aux airs passionnés, au chant qui atteignait d'une façon différente de sa propre voix, les âmes. Elle prendrait son mal en patience, et s'occuperait. Le rendez-vous, au téléphone avait été posé tant bien que mal, l'humaine ne cachant que peu son excitation. Et de pouvoir entendre ce que la Princesse avait pu écrire, et de revoir cette femme qui avait enchanté, pendant un instant qui n'avait été que sien, le public qui s'étendait devant une scène d'un nouveau bar. Ou d'une boite, Anja ne savait pas vraiment.
Alors, elle s'était remise, en attendant, à chanter. A jouer. Devant ses fenêtres ouvertes, aux âmes égarées qui voulaient bien l'entendre, elle célébrait la présence juste. Et la nuit, et les étoiles, et les nuages en foule écoutaient la chanson divine. Elle chantait les félicités des esprits liés, à l'ombre des jardins d'une cour bruyante... Elle chantait sa princesse, et sa louange n'était pas feinte. Elle avait beau toujours avoir l'impression de n'être qu'une âme jeune en sa comparaison, au monde de tristesses et de pleurs, l'empreinte de son chant sans parole avait pourtant réussi à embaumer son coeur, au sien lié. Dans sa pensée, au moment donné, les chansons ennuyeuses terrestres ne pouvaient alors remplacer les sons célestes qui lui étaient dédiées.
Et si la dévotion venait du coeur, son exercice par son art eut le bon ton de soulager la chanteuse de l'impatience qui la taraudait. Le jour arriva enfin où le rendez-vous avait été placé. Kaitlin avait tout préparé pour que ce rendez-vous pourtant si simple, et si particulier en même temps, se déroule bien. Une nouvelles fois, quelques petites pâtisseries, avaient été déposés sur le plateau d'argent habituel, et aux abords de la table basse, un pupitre en bois vernis, aux arabesques compliquées sur le côté, était posé. Une plume d'un côté avec son encrier, une feuille de l'autre. Avec la fameuse lettre.
- Peut-être aurais-je dû la prévenir. Ce n'est pas forcément quelque chose qui se fait habituellement, Kaitlin-san, soupira Anja en laissant ses doigts glisser sur les touches d'un des deux pianos qui traînaient dans la pièce. Et je ne sais si cette plume sera la plus adaptée à son écriture. Vous...
- Aucune inquiétude, Limonov-sensei, l'interrompit Kaitlin d'un air amusé. Le pupitre est du côté mur, et écarté légèrement. Vous n'aurez pas à y faire attention pour vous déplacer, et si votre invité ne le souhaite pas, cette tâche ni le meuble ne viendront vous embêter. Et oui, je m'absenterai durant sa présence, une fois guidée au salon.
Anja, plissa son nez, ouvrant un instant la bouche comme pour protester devant cette annonce, pour mieux la refermer. Elle lui avait sûrement déjà dit cela avant, même plusieurs fois, en prenant tellement de pincettes pour ne pas blesser cette femme qui venait tant et plus à son aide, qu'elle en perdait le fil. Pendant des années, les seules personnes qui avaient été invités chez la pianiste étaient ceux liés à la musique classique, qui venaient jouer et répéter avec elle, dans un cadre de simple divertissement et jeu, ou de préparation de concert. Et là, depuis son arrivée, en deux semaines, c'était déjà deux hôtes qu'elle faisait venir, pour le simple plaisir de les rencontrer, et de deviser avec elles.
Pour passer les derniers temps qui restaient, elle glissa sur son siège de piano, ses pieds nus s'agrippant aux pédales. Et l'air s'éleva à nouveau, sans but précis. Passant d'un air à l'autre, glissant sur les morceaux et les armures sans en avoir l'air. Patientant juste en s'amusant.
Et contrairement aux autres fois, où la conscience de la pianiste vaguait hors du monde physique pour se plonger dans ceux qu'elle créait, rêveries variées, dès que la sonnette résonna, le piano s'arrêta, pour seulement quelque touches et accords de patiences. Comme annoncé, c'était Kaitlin, femme plutôt grande, qui vint ouvrir à Rosalie.
- Bienvenue, par ici, accueilli-t-elle la chanteuse de jazz en se décalant sur le côté pour la laisser rentrer. La Maîtresse de maison vous attend, faites comme chez-vous jusque là, je suis congédiée pour ce qui reste de temps.
Dans son ton, seulement un doux amusement. Ne restait qu'à Rosalie de faire comme chez elle, et de rejoindre Anja.
Tirée hors de son monde musical, elle en avait reconnu le ton de Kaitlin. Ce n'était pas "une lettre". C'était celle qu'elle attendait. Avec un petit couinement bienheureux, elle vint la chercher, sans l'ouvrir encore. Elle en reconnaissait le papier, ou même l'odeur. Et sa chère aide n'avait pu que confirmer ce qu'elle soupçonnait. Malheureusement, celle-ci ne pourrait suivre cet échange épistolaire plus longtemps : Anja l'avait promis et posé sur papier, sa lectrice allait changer. Au moins pour cette fois.
C'était alors qu'elle avait repensé à cette femme, aux allures si nobles, aux airs passionnés, au chant qui atteignait d'une façon différente de sa propre voix, les âmes. Elle prendrait son mal en patience, et s'occuperait. Le rendez-vous, au téléphone avait été posé tant bien que mal, l'humaine ne cachant que peu son excitation. Et de pouvoir entendre ce que la Princesse avait pu écrire, et de revoir cette femme qui avait enchanté, pendant un instant qui n'avait été que sien, le public qui s'étendait devant une scène d'un nouveau bar. Ou d'une boite, Anja ne savait pas vraiment.
Alors, elle s'était remise, en attendant, à chanter. A jouer. Devant ses fenêtres ouvertes, aux âmes égarées qui voulaient bien l'entendre, elle célébrait la présence juste. Et la nuit, et les étoiles, et les nuages en foule écoutaient la chanson divine. Elle chantait les félicités des esprits liés, à l'ombre des jardins d'une cour bruyante... Elle chantait sa princesse, et sa louange n'était pas feinte. Elle avait beau toujours avoir l'impression de n'être qu'une âme jeune en sa comparaison, au monde de tristesses et de pleurs, l'empreinte de son chant sans parole avait pourtant réussi à embaumer son coeur, au sien lié. Dans sa pensée, au moment donné, les chansons ennuyeuses terrestres ne pouvaient alors remplacer les sons célestes qui lui étaient dédiées.
Et si la dévotion venait du coeur, son exercice par son art eut le bon ton de soulager la chanteuse de l'impatience qui la taraudait. Le jour arriva enfin où le rendez-vous avait été placé. Kaitlin avait tout préparé pour que ce rendez-vous pourtant si simple, et si particulier en même temps, se déroule bien. Une nouvelles fois, quelques petites pâtisseries, avaient été déposés sur le plateau d'argent habituel, et aux abords de la table basse, un pupitre en bois vernis, aux arabesques compliquées sur le côté, était posé. Une plume d'un côté avec son encrier, une feuille de l'autre. Avec la fameuse lettre.
- Peut-être aurais-je dû la prévenir. Ce n'est pas forcément quelque chose qui se fait habituellement, Kaitlin-san, soupira Anja en laissant ses doigts glisser sur les touches d'un des deux pianos qui traînaient dans la pièce. Et je ne sais si cette plume sera la plus adaptée à son écriture. Vous...
- Aucune inquiétude, Limonov-sensei, l'interrompit Kaitlin d'un air amusé. Le pupitre est du côté mur, et écarté légèrement. Vous n'aurez pas à y faire attention pour vous déplacer, et si votre invité ne le souhaite pas, cette tâche ni le meuble ne viendront vous embêter. Et oui, je m'absenterai durant sa présence, une fois guidée au salon.
Anja, plissa son nez, ouvrant un instant la bouche comme pour protester devant cette annonce, pour mieux la refermer. Elle lui avait sûrement déjà dit cela avant, même plusieurs fois, en prenant tellement de pincettes pour ne pas blesser cette femme qui venait tant et plus à son aide, qu'elle en perdait le fil. Pendant des années, les seules personnes qui avaient été invités chez la pianiste étaient ceux liés à la musique classique, qui venaient jouer et répéter avec elle, dans un cadre de simple divertissement et jeu, ou de préparation de concert. Et là, depuis son arrivée, en deux semaines, c'était déjà deux hôtes qu'elle faisait venir, pour le simple plaisir de les rencontrer, et de deviser avec elles.
Pour passer les derniers temps qui restaient, elle glissa sur son siège de piano, ses pieds nus s'agrippant aux pédales. Et l'air s'éleva à nouveau, sans but précis. Passant d'un air à l'autre, glissant sur les morceaux et les armures sans en avoir l'air. Patientant juste en s'amusant.
Et contrairement aux autres fois, où la conscience de la pianiste vaguait hors du monde physique pour se plonger dans ceux qu'elle créait, rêveries variées, dès que la sonnette résonna, le piano s'arrêta, pour seulement quelque touches et accords de patiences. Comme annoncé, c'était Kaitlin, femme plutôt grande, qui vint ouvrir à Rosalie.
- Bienvenue, par ici, accueilli-t-elle la chanteuse de jazz en se décalant sur le côté pour la laisser rentrer. La Maîtresse de maison vous attend, faites comme chez-vous jusque là, je suis congédiée pour ce qui reste de temps.
Dans son ton, seulement un doux amusement. Ne restait qu'à Rosalie de faire comme chez elle, et de rejoindre Anja.
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Lun 2 Déc 2019 - 22:07
Tandis que je descendais de la Berline noire et congédiais le chauffeur, je remarquai la présence de la petite Prius plus discrète qui se garait contre le trottoir d'en face. Sacré Bradley… Avec les années, j'avais pris l'habitude d'être toujours suivie. Quand Rider, notre lycan chef de la sécurité, ne me servait pas officiellement de garde du corps, c'était qu'il y avait des vampires du clan dans le coin. Au début, cela m'agaçait sérieusement et avait été le sujet de nombreuses disputes, mais j'avais fini par m'y faire. Après tout, malgré mon statut de représentante du clan Dwight Hodgkin au Sénat, et plus généralement de diplomate, je restai une level D. Autrement dit, j'étais une cible idéale pour toute personne qui cherchait à énerver le chef américain, ou juste pour qui la conjugaison de mon statut dans la société et de mon réel rang vampirique était une insulte. Je me dirigeai vers la porte faisant claquer mes talons sur le bitume, ignorant ceux qui devait m'observer à travers les vitres sombres.
Je ne m'attendais pas à ce que la jeune Limonov me rappelât. Le concert du Hell's Night n'était pas notre première rencontre, mais ce jour-là, elle n'avait pas semblé s'en souvenir. Je m'étais dit que cela n'était pas plus mal. La pianiste n'était probablement pas au courant de l'existance des vampires. Il n'était pas plus mal qu'elle évitât de tirer des liens entre une petite chanteuse de cabaret de Nakanoto et la princesse Izbranova. Aussi n'avais-je pas mentionné le passé. Aujourd'hui, elle m'avait proposé de passer pour deviser. Avait-elle eu quelque réminiscence ? A moins qu'elle n'eût juste pas préféré parler de la vampire russe au milieu de tout le monde. En tout cas, m'ennuyant beaucoup en dehors des séances au Sénat et de mes concerts, j'avais pour principe d'accepter toute invitation de confrères musiciens. Celle-ci n'avait donc pas fait exception à la règle, d'autant que cette histoire m'intriguait au moins un peu. Je me demandais ce que pouvait bien faire une protégée humaine de la cheffe de clan à l'endroit-même où se tenait le Sénat alors que cette dernière n'y s'y trouvait pas, une aveugle qui plus était. Nakanoto accueillait nombres de touristes, mais contrairement à la clientèle de l'université, ceux-ci ne venaient pas d'au-delà des mers. La coïncidence était trop forte.
J'entendais le piano derrière la porte, virtuose et délicat à la fois. Il semblait dériver un peu au hasard des notes, sans logique directe même si je reconnaissais par moment certains airs connus. C'était décidément une perle, mais en même temps, Yesfir ne s'offrait que les meilleurs artistes. Lorsque je pressai la sonnette, les notes s'interrompirent dans un écho suspendu. Des pas résonnèrent dans l'entrée. Ce ne fut pas Miss Limonov elle-même qui ouvrit. La jaugeant du regard, je supposai qu'il s'agissait de son aide. Je souris et la saluai. Elle avait donc congédiée son aide pour la soirée. Quel sujet voulait-elle donc aborder ? Je commençais à me dire qu'elle était peut-être au courant pour les vampires tout compte fait.
Je remarquai les chaussons posés à l'entrée, manifestement préparés pour moi. C'était une habitude japonaise que je n'avais guère l'habitude de respecter. La plupart des gens que je fréquentais ici n'étaient pas vraiment des autochtones. C'était d'ailleurs assez surprenant dans la maison d'une pianiste russe. Mais soit, je troquai mes talons aiguilles contre les pantoufles. Sans eux, je me sentais comme nue. Je ne les quittais généralement que lorsque je me déshabillais. Les traditions japonaises manquaient rarement d'élégance, mais en l’occurrence, celle-ci n'était pas ma tasse de thé.
Je me glissai dans le salon d'un pas feutré et y trouvai la maîtresse de maison toujours assise sur le tabouret du piano. La décoration était quasiment inexistante dans la pièce, mais il n'était pas très compliqué de comprendre pourquoi. Il n'y avait que des objets utilitaires ou des supports artistiques comme des livres ou des disques. Cependant, le son résonnait étrangement sur ces murs vides. On ne pouvait pas dire que je fusse parfaitement à mon aise. Je pris la parole d'un ton mondain, un sourire charmeur dans la voix :
"Bien le bonsoir, Miss Limonov. Que me vaut donc cette délicate invitation ?"
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Mar 3 Déc 2019 - 14:21
La sonnette qui sonnait. Son aide qui aidait. Son aide qui partait. Et l'attente d'entendre, lue, la réponse d'une certaine Princesse étrangère, qui diminuait visiblement de seconde en seconde. Excitée par le moment à venir, les notes glissaient et sonnaient comme autant de perles joyeuses, pluie fine et dorée dans un salon couvert. Des talons attendus, ce ne fut que des pas feutrés. Elle ne s'attendait pas particulièrement à ce que cette Femme prenne le pas d'accepter cette coutume étrange pour certains.
Anja se décala de son piano, laissant son pied droit enfoncé sur la pédale se relever doucement, pour faire mourir le son qu'elle venait de terminer à la venue de Rosalie - elle n'allait pas interrompre en plein milieu une phrase musicale après tout. Se levant enfin, tapotant sa tenue brièvement, robe noire simple aux divers lanières créant des schémas compliqués dans son dos, elle vint à la rencontre de son invitée, un sourire aux lèvres difficilement contenu.
- Rosalie-san ! Je suis heureuse, sincèrement, que vous ayez accepté mon invitation. Je suis simplement désolée qu'elle soit venue si tard, mais les obligations et divers... interruptions ne l'ont rendue possible que maintenant.
Emportée, elle se recula d'un pas, faisant voleter autour d'elle les pans de sa robe, pour désigner le canapé, ou le piano, de ses mains. Comparé à la dernière fois, Anja avait une meilleure allure. En mai dernier, cela faisait seulement peu de temps qu'elle était retournée au Japon, et son état de santé n'était pas des plus admirable. Et même si l'on pouvait encore remarquer une pâleur et une certaine maigreur, elle s'était peut-être un peu remplumée.
Et cet étange oiseau aveugle se déplaçait pieds-nus sans jamais rien cogner. Miracle de la connaissance et de l'habitude.
- Mais quoi que mon intention première était simplement de vous inviter pour vous remercier de m'avoir fait l'honneur de poser votre sublime voix sur mon piano -entre autre-, il est venu une lettre. Et si vous jouer du piano, et vous entendre chanter, pour le simple et pur plaisir de jouer en votre compagnie, je vous serai aussi redevable, Rosalie-san, si vous pouviez accepter de me lire cette lettre. Voire d'en écrire une réponse par la suite. Normalement, le tout devrait être en japonais convenable... Je pense.
Elle parlait bien, elle parlait vite. Un peu trop peut-être. Mais sa joie était aussi bien visible dans ses gestes que dans sa voix ou même ses yeux sans éclat. Sa main se décala de façon un peu moins certaines pour désigner vers le pupitre où était déposée la précieuse lettre.
- Il s'agit d'une lettre d'une ... douce amie, voire plus. Et bien que je sois aveugle, et que tant de technologies existent et peuvent facilement aider à la communication voire la sublimer... Il s'agit parfois de ces relations étranges, où l'effort de l'écrit, et où le glissement d'une plume sur un parchemin, offre un goût supplémentaire, à l'écrit même. Et ce, même si moi, je ne peux pas vraiment le voir.
Anja souriait, mais se calmait pour devenir un peu plus sérieuse. C'était là son exercice pour elle. De ses lettres, il n'y avait jamais qu'un seul jet. De ses mots, qu'une seule trace. Et celles-là impliquaient parfois des ratures ou des hésitations, mais c'était ce qui faisait aussi leur charme.
- Pourriez-vous, je vous prie, être mes yeux, et ma main, pour cette seule soirée ?
Anja se décala de son piano, laissant son pied droit enfoncé sur la pédale se relever doucement, pour faire mourir le son qu'elle venait de terminer à la venue de Rosalie - elle n'allait pas interrompre en plein milieu une phrase musicale après tout. Se levant enfin, tapotant sa tenue brièvement, robe noire simple aux divers lanières créant des schémas compliqués dans son dos, elle vint à la rencontre de son invitée, un sourire aux lèvres difficilement contenu.
- Rosalie-san ! Je suis heureuse, sincèrement, que vous ayez accepté mon invitation. Je suis simplement désolée qu'elle soit venue si tard, mais les obligations et divers... interruptions ne l'ont rendue possible que maintenant.
Emportée, elle se recula d'un pas, faisant voleter autour d'elle les pans de sa robe, pour désigner le canapé, ou le piano, de ses mains. Comparé à la dernière fois, Anja avait une meilleure allure. En mai dernier, cela faisait seulement peu de temps qu'elle était retournée au Japon, et son état de santé n'était pas des plus admirable. Et même si l'on pouvait encore remarquer une pâleur et une certaine maigreur, elle s'était peut-être un peu remplumée.
Et cet étange oiseau aveugle se déplaçait pieds-nus sans jamais rien cogner. Miracle de la connaissance et de l'habitude.
- Mais quoi que mon intention première était simplement de vous inviter pour vous remercier de m'avoir fait l'honneur de poser votre sublime voix sur mon piano -entre autre-, il est venu une lettre. Et si vous jouer du piano, et vous entendre chanter, pour le simple et pur plaisir de jouer en votre compagnie, je vous serai aussi redevable, Rosalie-san, si vous pouviez accepter de me lire cette lettre. Voire d'en écrire une réponse par la suite. Normalement, le tout devrait être en japonais convenable... Je pense.
Elle parlait bien, elle parlait vite. Un peu trop peut-être. Mais sa joie était aussi bien visible dans ses gestes que dans sa voix ou même ses yeux sans éclat. Sa main se décala de façon un peu moins certaines pour désigner vers le pupitre où était déposée la précieuse lettre.
- Il s'agit d'une lettre d'une ... douce amie, voire plus. Et bien que je sois aveugle, et que tant de technologies existent et peuvent facilement aider à la communication voire la sublimer... Il s'agit parfois de ces relations étranges, où l'effort de l'écrit, et où le glissement d'une plume sur un parchemin, offre un goût supplémentaire, à l'écrit même. Et ce, même si moi, je ne peux pas vraiment le voir.
Anja souriait, mais se calmait pour devenir un peu plus sérieuse. C'était là son exercice pour elle. De ses lettres, il n'y avait jamais qu'un seul jet. De ses mots, qu'une seule trace. Et celles-là impliquaient parfois des ratures ou des hésitations, mais c'était ce qui faisait aussi leur charme.
- Pourriez-vous, je vous prie, être mes yeux, et ma main, pour cette seule soirée ?
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Dim 22 Déc 2019 - 15:09
L’attitude de l’aveugle était bien différente dans cet espace qui lui était si familier que lors des deux occasions où je l’avais déjà rencontrée. Ici, elle semblait connaître par coeur le moindre détail de la pièce, se déplaçant avec aisance. En voyant ses pieds-nus, je regrettai d’avoir enfilé les chaussons. Je n’étais pas du genre à me défaire de mon élégance, même une fois rentrée chez moi, et les pantoufles duveteuses m’étaient de ce fait un contact totalement étranger et malaisant. J’aurais préféré garder mes talons, mais je trouvai un compromis en ôtant les chaussons et en les glissant près de la porte, hors du passage. Son aide les rangerait quand elle reviendrait.
Une lettre ? Je levai un sourcil dubitatif. Elle m’avait fait venir pour lire une lettre ? L’idée semblait réjouir la jeune humaine au plus haut point, mais si elle était si pressée que cela de la lire, pourquoi son aide ne l’avait-elle pas déjà fait ? Moi, Rosalie Archet, représentante au Sénat d’un des sept plus puissants vampires de la planète, je devrais lire une lettre à une aveugle alors qu’elle payait quelqu’un pour s’occuper d’elle ? J’esquissai une moue exaspérée. Bien sûr que j’allais refuser. Je n’étais pas une servante.
Cependant, mon avis changea lorsque Miss Limonov indiqua le pupitre de la main. Cette écriture ne m’était pas étrangère… Je m’approchai à pas feutrés du meuble. En effet, je connaissais bien cette élégante écriture, bien que la plupart du temps, ce fût dans un autre alphabet. J’avais suffisamment échangé de courrier avec la princesse Izbranova pour cela. Une « douce amie, voire plus », hein ? Je connaissais déjà la bissexualité de la vampire russe et pour cause : il m’était déjà arrivé de partager sa couche, lors d’une nuit fort plaisante, je le reconnaissais. Cependant, au vu des positions du clan à propos des humains, il était bien étonnant qu’elle se rapprochât de l’une d’entre eux à ce point. Un amour à sens unique, peut-être ? En tout cas, il n’était pas impossible que le contenu de cette lettre m’intéressa, ainsi que Bradley. Rien ne le garantissait, mais d’un coup, suivre les échanges d’Izbranova et de sa potentielle amante aveugle me paraissait plus attrayant.
De ce que je comprenais, c’était parce qu’elle aimait ma voix que Miss Limonov souhaitait m’entendre lire celle de son aimée, et parce qu’elle pensait que j’aurais une belle écriture. Quelle ironie qu’elle le demandât à une de ses amantes d’une nuit. Soit. Je serais donc sa scribe d’une nuit puisqu’elle le souhaitait. J’esquissai un sourire en coin et répondit d’un ton amical.
« Fort bien, Anja-san. Il se trouve que j’ai quelque talent pour la calligraphie. Cela tombe bien. »
Elle ne pouvait pas savoir que c’était parce que j’avais appris à écrire avec une plume et de l’encre, quand j’étais encore une petite fille sage dans une école bourgeoise de Lyon. Je n’avais pas perdu cette habitude depuis. Je n’avais jamais aimé le contact du stylo bille sur le papier après sa création. Encore une chose qui manquait d’élégance dans notre monde moderne. Je pris délicatement l’enveloppe et la glissai entre les mains de l’aveugle.
« Sans doute souhaitez-vous l’ouvrir vous-même ? »
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Dim 22 Déc 2019 - 19:30
Qu'est-ce qu'elle avait parlé. Qu'est-ce qu'elle rayonnait aussi, en cet instant, presque dansante dans ce salon si bien organisé bien qu'un peu dépouillé. Concernant ce dernier point, elle l'admettait volontiers. Mais, présente depuis finalement assez peu de temps, il était logique qu'il n'y ait pas encore les éventuelles peintures qui n'auraient aucun sens pour la jeune femme, ou les divers cadeaux qu'elle avait pu recevoir de ceux qui avaient loué ses doigts pour une soirée.
Peut-être un jour. Mais pour le moment, elle tentait de retrouver un calme tranquille. S'arrêtant finalement près du piano, alors que son hôte s'était approchée du pupitre, Anja glissa ses mains sur une touche pour faire raisonner son son cristallin. Un long soupir, une longue respiration jusqu'à en perdre doucement le souffle. Cela faisait longtemps qu'elle ne s'était pas autant laissée aller, encore plus face à une personne qu'elle ne connaissait que de la musique.
A l'accord de celle-ci, pour sa demande singulière, l'humaine lui adressa un large sourire.
- Je vous en remercie sincèrement, Rosalie-san. Et je vous offre mon entière confiance pour votre écriture.
Elle n'avait pas vraiment le choix, de faire confiance, à cause de cette étrange façon que Yesfir et elle avaient d'échanger. Des lettres avec une aveugle. Adieu l'intimité et la surprise. Adieu le mot choisi, et les ratures. Mais elle s'y était faite, lettres après lettres. Lieux après lieux. Mais que son invitée admette un talent dans ce domaine était une heureuse surprise.
La lettre dans ses mains, elle hésita un instant, puis avec un petit soupir, la pianiste lacha son précieux instrument pour venir s'asseoir, sur le canapé, tâtonnant un peu pour être sûre de ne rien écraser. Parcourant l'enveloppe de la pulpe ses doigts, elle finit par trouver le pli, et par petits à-coups, déchira minutieusement la partie haute.
- Oh, Rosalie-san. Si vous voulez quoi que ce soit, thé, café, petits biscuits ou autre boisson. N'hésitez surtout pas. Kaitlin a tout arrangé, je n'aurai qu'à aller chercher ce que vous souhaitez, sourit-elle avec douceur. Cette fois, elle n'en a pas trop fait.
Elle se rappelait, après le départ d'une certaine lycane, avoir dû offrir à des voisins quelques biscuits et gâteaux. Ce n'était pas Anja et son estomac de moineau qui auraient pu se débarrasser de toutes ces préparations, et gâcher était hors de question. Néanmoins, Kaitlin mettait toujours un point d'honneur à bien recevoir, il suffisait ensuite de faire honneur à ses efforts... Toujours est-il qu'avec de grandes précautions, et pour ne pas abîmer sa précieuse lettre, et pour ne pas se couper, la musicienne sortie quelues feuillets de l'enveloppe, pour ensuite les tendre vers Rosalie.
- Je suis désolée de vous demander cette tâche ingrate. Et d'autant plus heureuse que vous ayez accepté, Rosalie-san. Je vous en prie, lisez à haute voix. Normalement les termes russes ne seront pas trop présents, ajouta-t-elle d'un air un peu soucieux.
Plus elle y pensait, plus sa demande lui paraissait déplacée, et ses joues gagnèrent une petite roseur de gêne. Mais Rosalie avait accepté, et Anja avait déjà été patiente, pour se retenir de demander à son aide de la lui lire. Une promesse était une promesse, et la poétesse amateur appréciait le poids des mots.
Droite sur le canapé, légèrement tournée vers son hôte, Anja entrelaça ses doigts sur ses cuisses, attentive.
Peut-être un jour. Mais pour le moment, elle tentait de retrouver un calme tranquille. S'arrêtant finalement près du piano, alors que son hôte s'était approchée du pupitre, Anja glissa ses mains sur une touche pour faire raisonner son son cristallin. Un long soupir, une longue respiration jusqu'à en perdre doucement le souffle. Cela faisait longtemps qu'elle ne s'était pas autant laissée aller, encore plus face à une personne qu'elle ne connaissait que de la musique.
A l'accord de celle-ci, pour sa demande singulière, l'humaine lui adressa un large sourire.
- Je vous en remercie sincèrement, Rosalie-san. Et je vous offre mon entière confiance pour votre écriture.
Elle n'avait pas vraiment le choix, de faire confiance, à cause de cette étrange façon que Yesfir et elle avaient d'échanger. Des lettres avec une aveugle. Adieu l'intimité et la surprise. Adieu le mot choisi, et les ratures. Mais elle s'y était faite, lettres après lettres. Lieux après lieux. Mais que son invitée admette un talent dans ce domaine était une heureuse surprise.
La lettre dans ses mains, elle hésita un instant, puis avec un petit soupir, la pianiste lacha son précieux instrument pour venir s'asseoir, sur le canapé, tâtonnant un peu pour être sûre de ne rien écraser. Parcourant l'enveloppe de la pulpe ses doigts, elle finit par trouver le pli, et par petits à-coups, déchira minutieusement la partie haute.
- Oh, Rosalie-san. Si vous voulez quoi que ce soit, thé, café, petits biscuits ou autre boisson. N'hésitez surtout pas. Kaitlin a tout arrangé, je n'aurai qu'à aller chercher ce que vous souhaitez, sourit-elle avec douceur. Cette fois, elle n'en a pas trop fait.
Elle se rappelait, après le départ d'une certaine lycane, avoir dû offrir à des voisins quelques biscuits et gâteaux. Ce n'était pas Anja et son estomac de moineau qui auraient pu se débarrasser de toutes ces préparations, et gâcher était hors de question. Néanmoins, Kaitlin mettait toujours un point d'honneur à bien recevoir, il suffisait ensuite de faire honneur à ses efforts... Toujours est-il qu'avec de grandes précautions, et pour ne pas abîmer sa précieuse lettre, et pour ne pas se couper, la musicienne sortie quelues feuillets de l'enveloppe, pour ensuite les tendre vers Rosalie.
- Je suis désolée de vous demander cette tâche ingrate. Et d'autant plus heureuse que vous ayez accepté, Rosalie-san. Je vous en prie, lisez à haute voix. Normalement les termes russes ne seront pas trop présents, ajouta-t-elle d'un air un peu soucieux.
Plus elle y pensait, plus sa demande lui paraissait déplacée, et ses joues gagnèrent une petite roseur de gêne. Mais Rosalie avait accepté, et Anja avait déjà été patiente, pour se retenir de demander à son aide de la lui lire. Une promesse était une promesse, et la poétesse amateur appréciait le poids des mots.
Droite sur le canapé, légèrement tournée vers son hôte, Anja entrelaça ses doigts sur ses cuisses, attentive.
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Dim 19 Jan 2020 - 22:09
Je me saisis de la lettre avec curisoité. A en juger sa gêne, soit la jeune femme se demandait si elle avait bien fait de confier une lecture possiblement intime à une presqu’inconnu, soit elle se rendait enfin compte de la teneur absurde de demander une telle chose à une femme de mon statut. En soit, elle ne savait cependant pas grand-chose de ce que j’étais. Une chanteuse de jazz parmi d’autres, avec une renommée toute locale. Une jeune aveugle, toute musicienne de talent qu’elle fût, ne pouvait pas se douter que j’avais été à une époque proche de marquer l’histoire du jazz, ni même que j’étais profondément impliquée dans la politique des Etats-Unis, si ce n’était mondiale.
Je pris la parole d’une voix posée. En toute vérité, en lisant ces lignes, je ne pouvais m’empêcher d’imaginer la princesse Izbranova les formuler à sa manière, adoptant sans forcément le faire exprès un peu de sa manière de s’exprimer.
« Douce Anja,
Laissez-moi débuter cette lettre en vous demandant sincèrement pardon. Je ne peux qu'avouer avoir été débordée depuis la dernière fois où je vous ai écrit ; il me fut difficile de prendre un peu de temps à l'écart de mes responsabilités afin de me poser, réfléchir et écrire. Il semblerait que plusieurs des entreprises organisées par ma cour nécessitent ma supervision, que plusieurs de ses membres aient besoin de mes conseils. Ainsi, vous aurez compris ce qui m'a tenue loin de ma plume et son encre. »
Yesfir Izbranova demandait pardon à une humaine ? Voilà qui était pour le moins original, pour elle qui régnait sur son empire glacé d’une main de fer. A ma connaissance, le culte construit autour du clan Izabranov plaçait les humains tout en bas de la pyramide, à un statut plus proche des animaux que des plus faibles vampires, puisqu’il se basait sur l’importance de la présence du sang des premiers vampires dans les veines de chacun. De ce fait, les sang-purs comme elle étaient vénérés presque comme des dieux, car leur sang était immaculé de toute souillure extérieure. Une secte assez répugnante, si vous voulez mon avis. Que l’équivalent de leur papesse écrivît ces mots avaient quelque chose d’ironique.
« A cette heure, je n'ai pas le temps de questionner ce que vous me racontez. Je ne tiens qu'à m'assurer que vous vous remettez de votre blessure comme il se doit. Il serait compliqué de cacher à quel point la révélation m'a surprise, puis inquiétée, lorsque j'ai lu votre réponse pour la première fois, aussi avais-je eu l'envie de sauter dans le premier avion quittant mon pays en direction du Japon afin de m'assurer moi-même de votre bien-être. Cependant, vous comprendrez que mon rôle au sein de ma cour et de la communauté qui l'entoure ne me laisse point le loisir de voyager à ma guise. Je ne peux qu'espérer que, depuis ce temps, vous ayez retrouvé un minimum de votre santé, et que cette blessure n'ait pas été si grave qu'elle ait ruiné quoi que ce soit. »
Alors, elle ressentait vraiment quelque chose pour Anja Limonov ? Je ne voyais pas trop en quoi il lui serait utile de tromper une petite aveugle sur ses sentiments. C’était une information de choix, cela dit. Si cette relation progressait, on pouvait attendre de la chef de clan une attitude plus progressive concernant les humains. J’avais cru comprendre que ceux faisant partie de sa secte n’était qu’un genre de cheptel près à sacrifier leur sang tandis qu’on leur faisait miroiter la possibilité de devenir des level D. Quel naïveté de leur part… Mais quand on craignait la mort, l’immortalité avait, il était vrai, un certain charme.
« Oh, ma chère, malgré mes inquiétudes et les doutes qui m'ont préoccupée depuis réception de votre lettre, celle-ci n'a point manqué d'alléger mon humeur si maussade. Vos anecdotes ont le don de rehausser mes journées grises. Je me retrouve impatiente de connaître celles que vous me raconterez ensuite ; il est si fascinant de comprendre votre perspective des choses. Je ne peux que sourire en lisant ces passages écrits par votre main innocente, faute de pouvoir le faire vous-même ; malgré que vous ne soyez pas celle qui écrivez vos réponses, je sais que les mots inscrits noirs sur blanc sont les vôtres. Et cette seule pensée suffit à égayer mes jours, bien qu'entendre votre voix à nouveau serait certainement ce qui me rendrait la plus heureuse.
Cela dit, veuillez me pardonner mon manque de... Questions ? J'ai dû poser ma plume un long moment afin de réfléchir à ce que vous m'avez dit. Les vampires, les lycanthropes... Croyez-le ou non, je me doute de leur existence depuis fort longtemps. Si je n'ai jamais mentionné le sujet, c'était en particulier car je ne souhaitais pas vous alarmer, douce Anja ; il y a déjà tant de dangers en ce monde qu'est le nôtre, qui le sont davantage pour vous au vu de votre cécité, que je ne voulais point lancer ce sujet, à la fois par peur de vous effrayer et par peur de passer pour une sorte de folle aux théories étranges. Mais je sais également que vous êtes l'une des rares personnes dotées d'un courage à toute épreuve, aussi me suis-je dit que cette information ne vous ralentirait point dans votre désir de quitter votre petit cocon au profit de vous aventurer un tant soit peu. Peut-être ai-je jugé futile de vous faire part de mes doutes ; je vois maintenant que j'ai eu tort, et espère sincèrement que vous me pardonnerez mon grave manque de jugement. »
Oh, alors Miss Limonov se posait des questions sur l’existence de créatures surnaturelles à Nakanoto ? Rien de surprenant, cela dit. Toute la population était désormais au courant de l’existence des lycans, puisque de nombreux meurtres de ces créatures devenues folles lui faisait craindre de sortir une fois la nuit tombée. De leurs yeux, ils ne savaient pas qu’elles n’étaient pas dans leur état normal, leur faisait penser être entouré de créatures dangereuses et assoiffées de sang. Ils se trompait ici de mythe, dans ce cas précis. Les vampires étaient en mon sens bien plus dangereux pour les humains que les lycans sains de cette ville, et devaient rivaliser avec les malades. Ces derniers étaient juste moins subtiles et discrets. Les habitants du coin avaient de la chance qu’il existât un accord tacite entre les clans pour ne pas faire trop de grabuge dans le coin, afin que l’emplacement du Sénat restât discret.
« Je compte me déplacer bientôt de Ryazan à Nakanoto, en vue d'une affaire importante à y régler. Si vous le souhaitez, vous seriez la bienvenue à séjourner à mon domaine, en périphérie de la ville ; c'est un endroit calme et isolé, où vous seriez en sécurité. Je mets cet endroit à votre disposition dès maintenant, si vous le désirez ; votre main innocente est la bienvenue, également. Les domestiques qui maintiennent l'état de mon domaine seront également prêts à vous assister au besoin. »
Je supposai qu’elle parlait ici de la séance du Sénat auquel Metuselah nous avait tous convoqué, qui aurait lieu ce mardi. Oui, pas invité. La lettre d’invitation avait été fort irrespectueuse et avait passablement agacé mon cher maître qui ne portait déjà peu le vieux japonais dans son cœur. Je ne m’attendais pas à ce que la princesse se déplaçât en personne pour y répondre. Cependant, étant en partie responsable de la création des lycans, le clan de Yesfir Izbranova était qu’elle le voulût ou non déjà profondément impliqué dans cette affaire, bien qu’il n’y eût aucune preuve de leur participation. Peu étaient dupes, mais elle avait finement joué dans cette histoire, car si tous savaient, personne ne pouvait l’en accuser directement.
« Douce Anja, je vous en prie, assurez-vous de demeurer dans un endroit sécuritaire, au moins jusqu'à mon arrivée en ville. Je tiens à vous comme à la prunelle de mes yeux ; après un incident pareil, et si la blessure qui en a résulté est aussi grave que vous me l'avez décrite, vous devez absolument prendre du repos afin de guérir au mieux. Dès que je serai en mesure de venir vous rejoindre, je m'assurerai personnellement de votre guérison et vous n'échapperez pas à ma vigilance. Comme je vous l'ai mentionné précédemment, si l'envie vous prend d'emménager au domaine, mes employés s'assureront de vous assister si vous en faites la demande, et je vous assure que vous serez entre de bonnes mains.
En espérant, malgré les circonstances, que cette réponse vous trouve en meilleure forme,
Navsegda tvoy.
Lady Yesfir Izbranova »
Un silence plana. J’avais peut-être quelque peu écorché les mots de russe. Je ne connaissais pas grand-chose de cette langue, même si je savais déchiffrer son alphabet et connaissait à peu près sa prononciation. En tout cas, c’était plus instructif que je ne l’aurais cru. Je pourrais au moins rapporter à Bradley la très potentielle aventure romantique de la princesse avec une humaine et sa présence future à la séance du Sénat. Si je n’étais pas aussi incisive pour avoir échangé quelques doux moments avec elle, Bradley détestait cordialement son homologue russe. Toute information était bonne à prendre.
Invité
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Lun 20 Jan 2020 - 12:53
A l'écoute de la lettre, dont elle reconnaissait presque les intonations familières, à ceci près que seule la voix était différente, Anja se décala sur le canapé pour s'y asseoir plus confortablement, soudainement sage. Ses longs doigts entrelacés, posés sur ses cuisses, elle écoutait religieusement la voix admirable de sa compagne. Pas un mot, pas un bruit. Même sa respiration s'était faite discrète, pour ne pas déranger cette intonation qui lui avait manqué.
Et les derniers mots de la Princesse s'élevèrent par les lèvres d'une toute autre Reine, chanteuse elle. Reprenant une respiration courte, un sourire attendri aux lèvres, Anja s'inclina vers Rosalie, une longue seconde avant de se redresser.
- Je vous remercie sincèrement pour cette lecture. Au ton utilisé, il me semblait presque l'entendre. L'auriez-vous, par chance déjà rencontrée ?
Elle leva une main pour l'arrêter directement avant qu'elle ne réponde.
- Attendez, je vous prie. Plutôt que de deviser sur ce que vous venez de lire, si vous le désirez, j'aimerais déposer ma réponse sur papier, avant que les mots qui viennent d'être prononcés ne s'échappent de ma mémoire. Il y a là, divers moyen d'écriture, ne connaissant pas votre affinité. Plume, stylo... Ou autre.
Normalement, Kaitlin avait dû déposer proprement tout un tas de choses qu'Anja ne pouvait utiliser. Mais au moins, parmi ce fatras très rangé, il fallait espérer que Rosalie y trouve son compte. Elle patienta légèrement, pour laisser la femme s'installer au pupitre, et poussa un long soupir, se plongeant dans ses pensées.
Et de commencer d'une voix assez lente, que Rosalie puisse écrire par le même temps.
« Lettre à l'adresse de la Princesse Izbranova, écrite le 18 Juin 2018
De la part de la pianiste, chanteuse et poétesse Anja Limonov
Écrite par une main d'un chant autre, la Dame Rosalie, dite Bloody Rose, rencontre admirable lors d'une ouverture d'un club, de Monsieur Tibalt Wishmaker
Chère Yesfir,
Le temps est malheureusement le poids de votre position, et jamais je ne retiendrai rancœur contre de telles raisons. Alors que vous vous échappiez loin de regards traîtres d'habitués de cour, pour me rejoindre à l'ombre de la nuit, je connaissais une partie du chemin que nous allions emprunter. Et même alors, dans l'ignorance crasse où je me trouve, parfois douchée par des torrents quand une digue de connaissance cède son secret, je ne compte pas me détourner de cette voie. Je vous le dois. Et j'en suis heureuse. Notez enfin, qu'aux révélations de votre lettre, confirmation si elle était nécessaire, de l'existence de ce monde qui m'est étranger, la lettre risque d'être décousue. Pardonnez-moi, je vous en prie.
Et je serai heureuse de même de vous offrir ce repos à votre âme, la peau de ma jambe a bien cicatrisé, et si je ne virevolte pas comme une danseuse, la noble main m'accompagnant peut en juger, je suis une aveugle sur ses jambes. Et si l'on peut sentir sous les doigts une trace presque disparue, de cette blessure malheureuse, il n'en sera bientôt plus qu'un souvenir caché par d'autres, plus joyeux. Alors, gardez-vous bien, je vous prie, de venir me rejoindre pour une telle raison. D'autres seraient plus acceptables et appréciées, que l'inquiétude d'une Reine. [Je vous prie, Rosalie-san, ici, la majuscule à "reine" a un intérêt.]
Je suis curieuse, cependant, Yesfir, de connaître la possible aventure vous ayant mené à la connaissance de ce que je pouvais appeler avant le surnaturel, quoi qu'il soit sûrement étrange de le nommer ainsi, tant il a voulu prendre une de mes jambes. Je pense, -je redoute, j'appréhende avec excitation de- connaître la nature de cette aventure. Et la vôtre par le même temps. Mais de tout cela, si vous passez par Nakanoto, je serai heureuse de vous en parler de vive voix ; la privation de la votre, et cet entêtement à vouloir passer par des lettres n'est qu'injustice, dont je compte bien vous faire payer le prix, vous serez mise à contribution.
Mais qu'importent ici, ces mondes étranges, qui me fascinent autant qu'ils m'effraient. Quoi que vous me pensiez forte, il est des obstacles que seule, je ne pourrai franchir. Et cette fois-là, plus que d'autres, je me suis vue presque mourir. Si je ne la crains pas particulièrement, ce n'est plus quelque chose que je recherche depuis un certain temps, et encore moins déchiquetée par une Bête affamée. Ainsi, je pense que je répondrai à l'invitation à votre domaine, quand vous y serez, et à ce moment seulement. Alors mettons de côté ces détails, ces peurs et ces nouvelles, car vous demandiez d'autres anecdotes. Il y en aura deux, dans cette lettre.
Cette fois-ci, à nouveau la Russie sera la cible de l'histoire à venir, mais pour l'inspiration seulement, car ces mots vous seront dédiés.
Dès le commencement du monde, votre image fut gravée dans mon âme, elle se montrait à moi, dans les immensités désertes des plateaux infinis. Vous êtes celle que j'écoutais dans le calme des nuits, celle dont la pensée parlait doucement à mon âme ; celle dont je voyais l'image dans mes songes, quoi qu'une image puisse être, et dont je devinais la teneur avec peine. Alors, je jure par le premier jour de la Création, je jure par son dernier jour, je jure par notre rencontre, et les séparations car vous êtes Reine en votre domaine. Je veux croire au monde que vous m'offrirez, aux morceaux que vous m'inspirerez. Et pour les paroles consacrées, j'attendrai votre voix comme un don, et je donnerai l'éternité pour un regard. Pour votre amour.
Inspirée ici du Démon de Lermontov. Il me semblait intéressant, et terriblement vrai dans notre cas. Qu'êtes-vous exactement, aimée Yesfir ? Cette question n'aura, je pense, pas de réponse par lettre.
Pour le second propos que je tenais à vous partager, il s'agit à nouveau d'un évènement curieux. Il y deux jours de cela, pour un concert à venir, dont la date n'est pas encore posée mais viendra sûrement le mois prochain, j'officiais dans une salle de concert, pour préparer le son. Et la providence a amené, sous la direction d'une employée affolée, un violoniste qui passait ; mon compagnon originel s'était fait porter pâle, et ne pouvait venir pour ces derniers réglages. Le nouvel arrivant, un français, Raphael de la Roche, s'était retrouvé là, quelque peu embêté. Et celui dont le bras était bloqué par quelques sentiments trop présents, s'est finalement remis à jouer. L'émotion peut être un frein, mais ici le son parfait de son instrument -je ne sais quel est son violon, mais quelle magnificence-, s'est fait sublimer par cette première. Et si une main était parfois tremblante, ou hésitante sur les notes à suivre, il avait là une pianiste modeste pour le soutenir derrière.
La musique garde son pouvoir éternel.
Tant et si bien, que si le sort continue ainsi, nous jouerons à nouveau. Et j'espère, chère Princesse Izbranova, que vous accepterez l'invitation que je glisserai à vos oreilles, quand nous nous verrons.
Nous avons encore beaucoup à nous dire.
Navsegda tvoy,
Anja Limonov »
Un autre soupir s'échappa des lèvres de la jeune pianiste, alors que ses épaules s'affaissèrent. Portée par l'inspiration, limitée par le manque de réflexion associée, elle avait dit ce qui lui passait par la tête, là n'était peut-être plus la qualité de la précédente, ni même à la hauteur de la réponse de son aimée.
Se secouant la tête pour reprendre ses esprits, Anja se tourna vers Rosalie.
- Qu'en pensez-vous ?
Et les derniers mots de la Princesse s'élevèrent par les lèvres d'une toute autre Reine, chanteuse elle. Reprenant une respiration courte, un sourire attendri aux lèvres, Anja s'inclina vers Rosalie, une longue seconde avant de se redresser.
- Je vous remercie sincèrement pour cette lecture. Au ton utilisé, il me semblait presque l'entendre. L'auriez-vous, par chance déjà rencontrée ?
Elle leva une main pour l'arrêter directement avant qu'elle ne réponde.
- Attendez, je vous prie. Plutôt que de deviser sur ce que vous venez de lire, si vous le désirez, j'aimerais déposer ma réponse sur papier, avant que les mots qui viennent d'être prononcés ne s'échappent de ma mémoire. Il y a là, divers moyen d'écriture, ne connaissant pas votre affinité. Plume, stylo... Ou autre.
Normalement, Kaitlin avait dû déposer proprement tout un tas de choses qu'Anja ne pouvait utiliser. Mais au moins, parmi ce fatras très rangé, il fallait espérer que Rosalie y trouve son compte. Elle patienta légèrement, pour laisser la femme s'installer au pupitre, et poussa un long soupir, se plongeant dans ses pensées.
Et de commencer d'une voix assez lente, que Rosalie puisse écrire par le même temps.
« Lettre à l'adresse de la Princesse Izbranova, écrite le 18 Juin 2018
De la part de la pianiste, chanteuse et poétesse Anja Limonov
Écrite par une main d'un chant autre, la Dame Rosalie, dite Bloody Rose, rencontre admirable lors d'une ouverture d'un club, de Monsieur Tibalt Wishmaker
Chère Yesfir,
Le temps est malheureusement le poids de votre position, et jamais je ne retiendrai rancœur contre de telles raisons. Alors que vous vous échappiez loin de regards traîtres d'habitués de cour, pour me rejoindre à l'ombre de la nuit, je connaissais une partie du chemin que nous allions emprunter. Et même alors, dans l'ignorance crasse où je me trouve, parfois douchée par des torrents quand une digue de connaissance cède son secret, je ne compte pas me détourner de cette voie. Je vous le dois. Et j'en suis heureuse. Notez enfin, qu'aux révélations de votre lettre, confirmation si elle était nécessaire, de l'existence de ce monde qui m'est étranger, la lettre risque d'être décousue. Pardonnez-moi, je vous en prie.
Et je serai heureuse de même de vous offrir ce repos à votre âme, la peau de ma jambe a bien cicatrisé, et si je ne virevolte pas comme une danseuse, la noble main m'accompagnant peut en juger, je suis une aveugle sur ses jambes. Et si l'on peut sentir sous les doigts une trace presque disparue, de cette blessure malheureuse, il n'en sera bientôt plus qu'un souvenir caché par d'autres, plus joyeux. Alors, gardez-vous bien, je vous prie, de venir me rejoindre pour une telle raison. D'autres seraient plus acceptables et appréciées, que l'inquiétude d'une Reine. [Je vous prie, Rosalie-san, ici, la majuscule à "reine" a un intérêt.]
Je suis curieuse, cependant, Yesfir, de connaître la possible aventure vous ayant mené à la connaissance de ce que je pouvais appeler avant le surnaturel, quoi qu'il soit sûrement étrange de le nommer ainsi, tant il a voulu prendre une de mes jambes. Je pense, -je redoute, j'appréhende avec excitation de- connaître la nature de cette aventure. Et la vôtre par le même temps. Mais de tout cela, si vous passez par Nakanoto, je serai heureuse de vous en parler de vive voix ; la privation de la votre, et cet entêtement à vouloir passer par des lettres n'est qu'injustice, dont je compte bien vous faire payer le prix, vous serez mise à contribution.
Mais qu'importent ici, ces mondes étranges, qui me fascinent autant qu'ils m'effraient. Quoi que vous me pensiez forte, il est des obstacles que seule, je ne pourrai franchir. Et cette fois-là, plus que d'autres, je me suis vue presque mourir. Si je ne la crains pas particulièrement, ce n'est plus quelque chose que je recherche depuis un certain temps, et encore moins déchiquetée par une Bête affamée. Ainsi, je pense que je répondrai à l'invitation à votre domaine, quand vous y serez, et à ce moment seulement. Alors mettons de côté ces détails, ces peurs et ces nouvelles, car vous demandiez d'autres anecdotes. Il y en aura deux, dans cette lettre.
Cette fois-ci, à nouveau la Russie sera la cible de l'histoire à venir, mais pour l'inspiration seulement, car ces mots vous seront dédiés.
Dès le commencement du monde, votre image fut gravée dans mon âme, elle se montrait à moi, dans les immensités désertes des plateaux infinis. Vous êtes celle que j'écoutais dans le calme des nuits, celle dont la pensée parlait doucement à mon âme ; celle dont je voyais l'image dans mes songes, quoi qu'une image puisse être, et dont je devinais la teneur avec peine. Alors, je jure par le premier jour de la Création, je jure par son dernier jour, je jure par notre rencontre, et les séparations car vous êtes Reine en votre domaine. Je veux croire au monde que vous m'offrirez, aux morceaux que vous m'inspirerez. Et pour les paroles consacrées, j'attendrai votre voix comme un don, et je donnerai l'éternité pour un regard. Pour votre amour.
Inspirée ici du Démon de Lermontov. Il me semblait intéressant, et terriblement vrai dans notre cas. Qu'êtes-vous exactement, aimée Yesfir ? Cette question n'aura, je pense, pas de réponse par lettre.
Pour le second propos que je tenais à vous partager, il s'agit à nouveau d'un évènement curieux. Il y deux jours de cela, pour un concert à venir, dont la date n'est pas encore posée mais viendra sûrement le mois prochain, j'officiais dans une salle de concert, pour préparer le son. Et la providence a amené, sous la direction d'une employée affolée, un violoniste qui passait ; mon compagnon originel s'était fait porter pâle, et ne pouvait venir pour ces derniers réglages. Le nouvel arrivant, un français, Raphael de la Roche, s'était retrouvé là, quelque peu embêté. Et celui dont le bras était bloqué par quelques sentiments trop présents, s'est finalement remis à jouer. L'émotion peut être un frein, mais ici le son parfait de son instrument -je ne sais quel est son violon, mais quelle magnificence-, s'est fait sublimer par cette première. Et si une main était parfois tremblante, ou hésitante sur les notes à suivre, il avait là une pianiste modeste pour le soutenir derrière.
La musique garde son pouvoir éternel.
Tant et si bien, que si le sort continue ainsi, nous jouerons à nouveau. Et j'espère, chère Princesse Izbranova, que vous accepterez l'invitation que je glisserai à vos oreilles, quand nous nous verrons.
Nous avons encore beaucoup à nous dire.
Navsegda tvoy,
Anja Limonov »
Un autre soupir s'échappa des lèvres de la jeune pianiste, alors que ses épaules s'affaissèrent. Portée par l'inspiration, limitée par le manque de réflexion associée, elle avait dit ce qui lui passait par la tête, là n'était peut-être plus la qualité de la précédente, ni même à la hauteur de la réponse de son aimée.
Se secouant la tête pour reprendre ses esprits, Anja se tourna vers Rosalie.
- Qu'en pensez-vous ?
Invité
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Sam 22 Fév 2020 - 18:14
J’allais faire une réponse évasive à sa question lorsqu’elle leva la main pour m’interrompre, m’irritant passablement. J’étais une bonne chrétienne, certes, mais je n’étais pas assez charitable pour continuer à jouer les scribes d’une aveugle. De toute façon, dès que Yesfir Izbranova saurait qui avait écrit cette lettre, il n’y aurait plus une seule information croustillante à rapporter à Bradley. On ne m’y reprendrait plus, merci. Avec une moue désapprobatrice et un regard exaspéré que je lui savais invisibles, je m’installai au bureau et me saisit de la plume que je trempai dans l’encre. Le contact m’était familier. On ne se débarrasse pas de ses vieilles habitudes. J’écrivais à la plume depuis que j’avais appris à l’utiliser à l’école il y avait presque un siècle de cela. Toutes mes chansons originales avaient été posées sur le papier de cette manière. Il était surprenant de voir un tel accessoire chez une femme de cet âge. L’outil glissa avec grâce sur le papier.
« Lettre à l'adresse de la Princesse Izbranova, écrite le 18 Juin 2018
De la part de la pianiste, chanteuse et poétesse Anja Limonov
Écrite par une main d'un chant autre, la Dame Rosalie, dite Bloody Rose, rencontre admirable lors d'une ouverture d'un club, de Monsieur Tibalt Wishmaker »
Encore une personne bien étonnante que ce Monsieur Wishmaker. J’ignorai toujours ce qu’il était. Mon nez et donc ma raison me disaient qu’il était humain, mais mon intuition me disait qu’il était probablement un peu plus que cela. Au vu de son influence à l’international, il serait fort amusant que la princesse russe l’eût aussi déjà rencontré. Quant à la mention de mon nom, je doutais qu’elle me connût sous ce pseudonyme de Bloody Rose, mais elle était très intelligente. Je ne doutais pas qu’elle ferait rapidement le lien entre mon prénom, l’ironie de mon nom de scène et ma passion pour le jazz.
« Chère Yesfir,
Le temps est malheureusement le poids de votre position, et jamais je ne retiendrai rancœur contre de telles raisons. Alors que vous vous échappiez loin de regards traîtres d'habitués de cour, pour me rejoindre à l'ombre de la nuit, je connaissais une partie du chemin que nous allions emprunter. Et même alors, dans l'ignorance crasse où je me trouve, parfois douchée par des torrents quand une digue de connaissance cède son secret, je ne compte pas me détourner de cette voie. Je vous le dois. Et j'en suis heureuse. Notez enfin, qu'aux révélations de votre lettre, confirmation si elle était nécessaire, de l'existence de ce monde qui m'est étranger, la lettre risque d'être décousue. Pardonnez-moi, je vous en prie.
Et je serai heureuse de même de vous offrir ce repos à votre âme, la peau de ma jambe a bien cicatrisé, et si je ne virevolte pas comme une danseuse, la noble main m'accompagnant peut en juger, je suis une aveugle sur ses jambes. Et si l'on peut sentir sous les doigts une trace presque disparue, de cette blessure malheureuse, il n'en sera bientôt plus qu'un souvenir caché par d'autres, plus joyeux. Alors, gardez-vous bien, je vous prie, de venir me rejoindre pour une telle raison. D'autres seraient plus acceptables et appréciées, que l'inquiétude d'une Reine. [Je vous prie, Rosalie-san, ici, la majuscule à "reine" a un intérêt.] »
Oh, si elle savait que son aimée régnait d’une poigne de fer sur nombre de vampire. Et si elle savait que celle-ci entretenait une secte comprenant aussi des humains autour du culte de sa personne… Il n’y avait pas de plus grande reine en ce monde que Yesfir Izbranova, unique femme parmi les chefs de clan vampires actuels. La patriarchie était encore bien marquée chez mes confrères. Elle avait sûrement récupéré la place car il n’y avait pas d’héritier mâle du même rang qu’elle, et cela ne me surprendrait pas si d’autres level A dotés d’un chromosome Y avaient actuellement des vues sur le trône. Cela ne leur plaisait généralement pas trop d’être dirigés par des femmes, même si la puissance de sang primait sur le sexe. Imaginez donc la tête des Sénateurs quand moi, une level D, m’était assise pour la première fois sur le siège de Bradley Dwight Hodkin.
« Je suis curieuse, cependant, Yesfir, de connaître la possible aventure vous ayant mené à la connaissance de ce que je pouvais appeler avant le surnaturel, quoi qu'il soit sûrement étrange de le nommer ainsi, tant il a voulu prendre une de mes jambes. Je pense, -je redoute, j'appréhende avec excitation de- connaître la nature de cette aventure. Et la vôtre par le même temps. Mais de tout cela, si vous passez par Nakanoto, je serai heureuse de vous en parler de vive voix ; la privation de la vôtre, et cet entêtement à vouloir passer par des lettres n'est qu'injustice, dont je compte bien vous faire payer le prix, vous serez mise à contribution. »
Je me demandais bien ce que pourrait lui raconter son aimée à ce sujet. Lui apprendrait-elle sa nature vampirique ? Et l’humaine accepterait cet état de fait par amour ou par fascination, ou fuirait-elle à toute jambe ? Ce serait tout à fait légitime. Nous sommes avant tout des prédateurs. Tout en nous, notre apparence, notre force, notre voix suave, était fait pour chasser les humains. Raison pour laquelle les déclarations de la russe à son amante humaine étaient tout à fait surprenantes, d’ailleurs.
« Mais qu'importent ici, ces mondes étranges, qui me fascinent autant qu'ils m'effraient. Quoi que vous me pensiez forte, il est des obstacles que seule, je ne pourrai franchir. Et cette fois-là, plus que d'autres, je me suis vue presque mourir. Si je ne la crains pas particulièrement, ce n'est plus quelque chose que je recherche depuis un certain temps, et encore moins déchiquetée par une Bête affamée. Ainsi, je pense que je répondrai à l'invitation à votre domaine, quand vous y serez, et à ce moment seulement. Alors mettons de côté ces détails, ces peurs et ces nouvelles, car vous demandiez d'autres anecdotes. Il y en aura deux, dans cette lettre. »
Oh, c’était donc plus que des doutes. Elle avait rencontré quelque chose. Serait-ce un vampire ou plutôt un lycan malade ? Au vu des termes employés, je penchais plutôt pour le deuxième, même si pour moi, tous deux n’étaient que des bêtes affamées. En tant que croyante, je n’avais pas grande estime pour la condition vampirique.
« Cette fois-ci, à nouveau la Russie sera la cible de l'histoire à venir, mais pour l'inspiration seulement, car ces mots vous seront dédiés.
Dès le commencement du monde, votre image fut gravée dans mon âme, elle se montrait à moi, dans les immensités désertes des plateaux infinis. Vous êtes celle que j'écoutais dans le calme des nuits, celle dont la pensée parlait doucement à mon âme ; celle dont je voyais l'image dans mes songes, quoi qu'une image puisse être, et dont je devinais la teneur avec peine. Alors, je jure par le premier jour de la Création, je jure par son dernier jour, je jure par notre rencontre, et les séparations car vous êtes Reine en votre domaine. Je veux croire au monde que vous m'offrirez, aux morceaux que vous m'inspirerez. Et pour les paroles consacrées, j'attendrai votre voix comme un don, et je donnerai l'éternité pour un regard. Pour votre amour.
Inspirée ici du Démon de Lermontov. Il me semblait intéressant, et terriblement vrai dans notre cas. Qu'êtes-vous exactement, aimée Yesfir ? Cette question n'aura, je pense, pas de réponse par lettre. »
C’était joliment écrit. Je n’arrivais pas à décider si ce déferlement de poésie et de compliments me paraissait beau ou niais. Sans doute un peu des deux. Je n’étais pas très versée dans les choses de l’amour. Je connaissais encore et encore des histoires de passion charnelle volontairement brèves, car je ne voulais pas m’engager dans quoi que ce fût. J’aurais aimé être une grande romantique, mais je ne l’étais pas et ne le serait probablement jamais, car je n’avais pas suffisamment confiance, en l’autre, et en moi-même pour rester constante dans mes sentiments. Les débuts étaient beaux. On se languissait de l’autre, on désespérait de parvenir à le séduire. Puis, quand le but était enfin atteint, combien de temps fallait-il pour se lasser ? Je préférais donc ne pas m’attacher et en rester à de belles aventures d’une nuit. Cela me suffisait amplement.
« Pour le second propos que je tenais à vous partager, il s'agit à nouveau d'un évènement curieux. Il y deux jours de cela, pour un concert à venir, dont la date n'est pas encore posée mais viendra sûrement le mois prochain, j'officiais dans une salle de concert, pour préparer le son. Et la providence a amené, sous la direction d'une employée affolée, un violoniste qui passait ; mon compagnon originel s'était fait porter pâle, et ne pouvait venir pour ces derniers réglages. Le nouvel arrivant, un français, Raphael de la Roche, s'était retrouvé là, quelque peu embêté. Et celui dont le bras était bloqué par quelques sentiments trop présents, s'est finalement remis à jouer. L'émotion peut être un frein, mais ici le son parfait de son instrument -je ne sais quel est son violon, mais quelle magnificence-, s'est fait sublimer par cette première. Et si une main était parfois tremblante, ou hésitante sur les notes à suivre, il avait là une pianiste modeste pour le soutenir derrière. »
Quelle nouvelle coïncidence amusante… De la Roche était également un vampire, et pas n’importe lequel : c’était un Sénateur, le bras-droit de Junya Ryan. C’était une des rares personnes que j’appréciais dans cette assemblée bien qu’il fût un peu trop sage à mon goût. Izbranova ne pouvait que reconnaître ce nom. Mais quelle idée aussi, de laisser son amante s’installer ainsi dans le plus gros nid de vampire de la planète.
« La musique garde son pouvoir éternel.
Tant et si bien, que si le sort continue ainsi, nous jouerons à nouveau. Et j'espère, chère Princesse Izbranova, que vous accepterez l'invitation que je glisserai à vos oreilles, quand nous nous verrons.
Nous avons encore beaucoup à nous dire.
Navsegda tvoy,
Anja Limonov »
Je fus tentée d’ajouter un petit message personnelle à l’intention de la princesse, mais je m’en retins. Après tout, le message serait déjà passé dès qu’elle aurait lu l’entête de cette lettre. Inutile d’en faire trop. J’imaginais bien l’agacement de la vampire à l’idée de savoir sa correspondance privée infiltrée par le bras-droit de Bradley. S’inquiéterait-elle de savoir sa conquête si mal entourée, je me le demandais. Je n’étais pas cruelle, pas quand je ne gardais pas de rancune en tout cas. Faire du mal à cette jeune aveugle juste parce que cela pourrait perturber cette vieille amie ne me ressemblait pas. Mais cela m’amusait qu’elle pût y voir une menace sous-jacente. Cela lui serait difficile de croire à un hasard, ce qui était pourtant le cas.
Ah, elle voulait savoir ce que je pensais maintenant ? D’un point de vue d’écrivain, je ne pouvais nier que le style était élégant, bien qu’un peu trop à l’eau de rose à mon goût. Mais j’avais d’autres questions qui m’intéressaient. Je mimai un intérêt quelque peu inquiet.
« Très joliment tourné, Anja-san. Mais je ne peux nier que quelque chose m’intrigue. Quelle est donc cette bête affamée que vous mentionnez ? Avez-vous rencontré une créature dangereuse ? »
Si c’était un lycan fou, savoir où se situait son terrain de chasse et donc les environs où il devait se cacher durant la journée était intéressant pour le bien de l’enquête, mais aussi pour des raisons de protection. Un lycan fou maîtrisé était un lycan qui ne pourrait pas répandre le virus ou tuer d’autres créatures.
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