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Ven 8 Nov 2019 - 14:34
En dehors de ce théâtre, dans la soirée qui tombait, illuminé par le soleil se couchant et par les lampadaires déjà allumés, une femme à l'air tendu observait la foule qui passait. Ses yeux glissaient de personnes en personnes, tentant d'apercevoir celle qui serait salvatrice pour la répétition à venir. Celle-ci était là pour ajuster tous les derniers détails d’acoustique pour le concert à venir un soir prochain. Mais le violoniste normalement présent, s'était fait porté pâle, malade, cloué dans un lit au mauvais moment.
Cela faisait déjà une bonne heure que Limonov-sensei, la pianiste, était arrivée, et jouait tranquillement dans la salle, en attendant de pouvoir faire la brève répétitions, mais impossible de vraiment l'entamer sans un violoniste capable. Et même si la pianiste avait dit ne pas être dérangée d'attendre un peu tant qu'elle pouvait jouer selon son bon plaisir -et qu'elle s'y était directement mise-, il n'était certainement pas correct de laisser autant passer de temps. Elle ne pouvait pas se le permettre, en tant qu'agente, cadre du théâtre.
Mais alors qu'un soupçon de désespoir se déposait sur ses épaules, les faisant ployer sous son poids, son regard acéré se fixa sur un homme. Blond, un étranger. Mais ce qui avait attiré son attention n'était pas sa démarche assurée ou pressée, vu l'heure, ni sa blondeur ni ses yeux ou sa belle frimousse. Mais ce qu'il tenait précieusement dans sa main : un étui à violon. Victoire ! Profitant peut-être du fait que ce fut un étranger, l'agente se dirigea d'un pas vif vers lui, s'inclinant avant de l'attraper par le bras.
- Kazuhide-sama soit loué ! Vous êtes parfaits. Vous avez du temps pour aider ? Oui ? Merci !
Et sans attendre de réponse, l'intense soulagement se lisant parfaitement dans sa voix et sur son visage, la femme entraîna l'homme d'un pas vif tout en parlant.
- Si vous saviez de quelle façon vous m'allégez l'esprit. Ne vous inquiétez pas, rien de bien compliqué ne vous sera demandé ! Limonov-sensei est déjà au piano depuis une bonne heure maintenant. Je vous prierai juste de rester silencieux jusqu'à ce qu'elle relève ses mains du piano. Il n'est jamais bon d'interrompre en son plein milieu n'est-ce-pas ?
Souriant doucement, elle passa un doigt sur ses lèvres pour signifier, que déjà était le moment de se taire, alors qu'elle poussa une lourde porte qui étouffait tout son entrant ou sortant. Dès lors, quelques notes d'un piano distant firent leur apparition. Douces, marquant la fin d'une phrase ou d'un mouvement, c'était comme si la jeune femme assise au piano accueillait le violoniste tant espéré par une nouvelle expression du morceau en cours.
A peine la porte fut refermée, Anja commença le dernier mouvement de la sonate n°1 de Chopin*. Et rapidement, l'océan de note submergea la salle. Dans le mineur de cette pièce écrite il y a un peu moins de deux siècles, au milieu de la vie du compositeur, l'humaine exprimait tant et plus. Sa détresse, sa virtuosité, son amour du monde, qu'elle criait par ces notes qui dégringolaient comme une pluie sur le monde. Et chaque reflet des notes exprimait alors un paysage, une fraction du monde que la pianiste aveugle pouvait imaginer. Un moment, la lourdeur d'une phrase enserrait le coeur, tellement que la femme qui accompagnait le violoniste improvisé en avait de la peine à respirer, les yeux fixés sur la pianiste. Le moment d'après, c'était le soulagement, offert par cette même artiste, qui libérait l'âme, dans une douceur digne du plus léger des satins.
Et même dans ce dernier mouvement, presto, les phrases tournaient et changeant, offrant tout une palette d'émotions qu'Anja se plaisait à dévoiler. Un moment, une brève colère, aussitôt pardonnée. Un instant, une terreur nocturne, aussitôt éclairée. Une seconde, la solitude, aussitôt effacée. La rencontre semblait toujours se faire au moment où on avait peur de la perdre. Qu'il était toujours impressionnant de voir que ce petit bout de femme, trop fine pour être vraiment en bonne santé, arrivait à instiguer autant de puissance et de vivacité dans ses morceaux, sans jamais faillir.
Puis ce fut la fin, dans une dernière envolée le dernier accord tenu retrouva le silence d'un coup de pédale levée. Le silence envahit la salle de concert, pour qu'un petit applaudissement brise le sort, ramenant tout le petit monde dans l'instant présent. Anja tourna sur son tabouret de piano, pour incliner doucement la tête avec un sourire fatigué, le rouge aux joues sous l'effort.
- Limonov-sensei, osa l'agente doucement, alors qu'elle tenait toujours l'inconnu par un bras, depuis le début du dernier mouvement. J'ai pu trouver un remplacent à Olah-sensei. Je vous laisse vous accorder comme vous le souhaitez.
Sursautant presque alors qu'elle remarquait qu'elle l'avait tenu tout ce temps, elle le relâcha, et battit en retraite bien vite, pour ne laisser dans la pièce, qu'un homme tout au fond, qui gérait l’acoustique, dans l'ombre, l'homme lâché, juste devant la scène, et Anja, qui sourit à nouveau, pour mieux s'incliner, bas, de son siège.
- Je vous suis infiniment reconnaissante, pour votre venue ici, souffla-t-elle doucement dans un japonais sans accent. Je suis Anja Limonov. Visiblement pianiste à mes heures trouvées. Comment puis-je vous appeler ?
Ses yeux, bien évidemment, n'était pas fixé sur quoi que ce soit, même si sa tête était tournée vers l'homme, il pouvait facilement clair pour celui-là, que la jeune femme était non-voyante.
*mouvement de la sonate joué
Cela faisait déjà une bonne heure que Limonov-sensei, la pianiste, était arrivée, et jouait tranquillement dans la salle, en attendant de pouvoir faire la brève répétitions, mais impossible de vraiment l'entamer sans un violoniste capable. Et même si la pianiste avait dit ne pas être dérangée d'attendre un peu tant qu'elle pouvait jouer selon son bon plaisir -et qu'elle s'y était directement mise-, il n'était certainement pas correct de laisser autant passer de temps. Elle ne pouvait pas se le permettre, en tant qu'agente, cadre du théâtre.
Mais alors qu'un soupçon de désespoir se déposait sur ses épaules, les faisant ployer sous son poids, son regard acéré se fixa sur un homme. Blond, un étranger. Mais ce qui avait attiré son attention n'était pas sa démarche assurée ou pressée, vu l'heure, ni sa blondeur ni ses yeux ou sa belle frimousse. Mais ce qu'il tenait précieusement dans sa main : un étui à violon. Victoire ! Profitant peut-être du fait que ce fut un étranger, l'agente se dirigea d'un pas vif vers lui, s'inclinant avant de l'attraper par le bras.
- Kazuhide-sama soit loué ! Vous êtes parfaits. Vous avez du temps pour aider ? Oui ? Merci !
Et sans attendre de réponse, l'intense soulagement se lisant parfaitement dans sa voix et sur son visage, la femme entraîna l'homme d'un pas vif tout en parlant.
- Si vous saviez de quelle façon vous m'allégez l'esprit. Ne vous inquiétez pas, rien de bien compliqué ne vous sera demandé ! Limonov-sensei est déjà au piano depuis une bonne heure maintenant. Je vous prierai juste de rester silencieux jusqu'à ce qu'elle relève ses mains du piano. Il n'est jamais bon d'interrompre en son plein milieu n'est-ce-pas ?
Souriant doucement, elle passa un doigt sur ses lèvres pour signifier, que déjà était le moment de se taire, alors qu'elle poussa une lourde porte qui étouffait tout son entrant ou sortant. Dès lors, quelques notes d'un piano distant firent leur apparition. Douces, marquant la fin d'une phrase ou d'un mouvement, c'était comme si la jeune femme assise au piano accueillait le violoniste tant espéré par une nouvelle expression du morceau en cours.
A peine la porte fut refermée, Anja commença le dernier mouvement de la sonate n°1 de Chopin*. Et rapidement, l'océan de note submergea la salle. Dans le mineur de cette pièce écrite il y a un peu moins de deux siècles, au milieu de la vie du compositeur, l'humaine exprimait tant et plus. Sa détresse, sa virtuosité, son amour du monde, qu'elle criait par ces notes qui dégringolaient comme une pluie sur le monde. Et chaque reflet des notes exprimait alors un paysage, une fraction du monde que la pianiste aveugle pouvait imaginer. Un moment, la lourdeur d'une phrase enserrait le coeur, tellement que la femme qui accompagnait le violoniste improvisé en avait de la peine à respirer, les yeux fixés sur la pianiste. Le moment d'après, c'était le soulagement, offert par cette même artiste, qui libérait l'âme, dans une douceur digne du plus léger des satins.
Et même dans ce dernier mouvement, presto, les phrases tournaient et changeant, offrant tout une palette d'émotions qu'Anja se plaisait à dévoiler. Un moment, une brève colère, aussitôt pardonnée. Un instant, une terreur nocturne, aussitôt éclairée. Une seconde, la solitude, aussitôt effacée. La rencontre semblait toujours se faire au moment où on avait peur de la perdre. Qu'il était toujours impressionnant de voir que ce petit bout de femme, trop fine pour être vraiment en bonne santé, arrivait à instiguer autant de puissance et de vivacité dans ses morceaux, sans jamais faillir.
Puis ce fut la fin, dans une dernière envolée le dernier accord tenu retrouva le silence d'un coup de pédale levée. Le silence envahit la salle de concert, pour qu'un petit applaudissement brise le sort, ramenant tout le petit monde dans l'instant présent. Anja tourna sur son tabouret de piano, pour incliner doucement la tête avec un sourire fatigué, le rouge aux joues sous l'effort.
- Limonov-sensei, osa l'agente doucement, alors qu'elle tenait toujours l'inconnu par un bras, depuis le début du dernier mouvement. J'ai pu trouver un remplacent à Olah-sensei. Je vous laisse vous accorder comme vous le souhaitez.
Sursautant presque alors qu'elle remarquait qu'elle l'avait tenu tout ce temps, elle le relâcha, et battit en retraite bien vite, pour ne laisser dans la pièce, qu'un homme tout au fond, qui gérait l’acoustique, dans l'ombre, l'homme lâché, juste devant la scène, et Anja, qui sourit à nouveau, pour mieux s'incliner, bas, de son siège.
- Je vous suis infiniment reconnaissante, pour votre venue ici, souffla-t-elle doucement dans un japonais sans accent. Je suis Anja Limonov. Visiblement pianiste à mes heures trouvées. Comment puis-je vous appeler ?
Ses yeux, bien évidemment, n'était pas fixé sur quoi que ce soit, même si sa tête était tournée vers l'homme, il pouvait facilement clair pour celui-là, que la jeune femme était non-voyante.
*mouvement de la sonate joué
Raphaël de La Roche#102327#102327#102327#102327#102327#102327#102327
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Lun 2 Déc 2019 - 16:01
En ce début de soirée, le ciel se parrait de rose et d’orangé, à mesure que le soleil déclinait derrière l’horizon, pour ne rester plus qu’un mince filet de lumière dans l’obscurité naissante. Les luminaires des ruelles s’allumaient tandis que je progressais, les sens aux aguets. Non pas que je me sentisse en danger, mais avec cette affaire de lycans fous, je prenais des précautions. J’étais sortis pour porter mon violon en entretien annuel chez l’artisan luthier de la ville, que je connaissais bien maintenant. Je sentais le regard du vieil homme se poser sur moi chaque fois que j’entrais dans sa boutique, scrutateur, inquisiteur. Il ne disait rien, mais n’en pensait pas moins quant à mon éternelle jeunesse. Car en dix ans, je n’avais point changé, quand lui avait gagné de nouvelles rides.
Mon pauvre instrument devait se lasser de reposer au fond de son étuis. Je n’avais pas sorti un son depuis deux mois, paralysé par une angoisse que je ne m’expliquais pas. La simple idée de jouer m’étreignait le coeur, et c’était pire en m’imaginant devant un public. J’avais bien tenté à plusieurs reprises de confronter cette peur irrationnelle ; en vain. Ma main s’immobilisait chaque fois à quelques millimètres des cordes, tremblant comme si l’archet pesait une tonne. Et à chaque fois, je rangeais mon instrument dans sa protection en velours, résigné. Puisque je ne pouvais dépasser ce blocage, j’avais décidé de l’emporter chez l’artisan pour entretenir son bois et l’accorder comme à l’acoutumée. J’aurais pu m’y rendre par téléportation, pour apparaître dans un recoin à l’abri des regards non loin de la boutique, cependant j’appréciais de marcher, surtout la nuit, étant un être nocturne.
Je tournai à l’angle de la rue du théâtre pour rejoindre le quartier commerçant. Encore plongé dans mes pensées, je fus surpris lorsqu’une jeune femme m’approcha à vive allure. Je fronçai les sourcils et m’arrêtai, méfiant ; son odeur était humaine cependant, et elle n’était pas armée. Par ailleurs, son sourire avenant me rassura quelque peu. Il n’y avait ni haine ni intention malhonnête dans son regard. Je n’eus pas le temps de répondre à son salut ; elle m’attrapa le bras pour m’entraîner avec elle.
- Mais, que...
Pris au dépourvu je ne me débatis même pas, peinant à croire qu’une humaine pût emporter avec lui un parfait inconnu, à la nuit tombée, en dépit des événements récents. La situation était totalement surréaliste. Peut-être aussi était-ce mon âme généreuse qui m’empêcher de repousser cette femme qui, visiblement, voyait en moi le sauveur du siècle. Je n’étais pas spécialement pressé, aussi je pouvais perdre quelques minutes pour la suivre, voir ce qu’il en était, et l’aider si c’était en mon pouvoir.
Je fronçai les sourcils ; Limonov ? Je connaissais ce nom. C’était celui d’une jeune pianiste, dotée d’un véritable don. J’avais déjà eu l’occasion d’écouter l’un de ses récitales, qui m’avait ramené bien des décennies en arrière, lorsque mon jumeau jouait avec entrain. J’ignorais qu’elle était ici… cependant, ces deux derniers mois, je n’avais guère prêté attention aux vas-et-viens. Cependant, je m’interrogeai sur mon rôle dans cette histoire. En quoi avait-on besoin de moi ? Je commençais à redouter la réponse.
Dès lors que nous franchîmes les portes du théâtres, les notes d’un piano à queue me parvenir, d’une justesse et d’une assurance comme il en existait peu. Mon accompagnatrice n’eut pas réellement besoin de me faire signe ; j’avais déjà renoncé à prononcer le moindre mot. Je reconnus aussitôt le dernier mouvement de la sonate n°1 de Chopin, l’un des compositeurs préférés de mon frère. Son plus grand regret était d’être nés une décennie trop tard pour le connaître. Lorsque j’aperçus la musicienne, je m’immobilisai, glissant ma main libre dans la poche de ma veste beige. Je l’observais jouer ; son visage exprimait à merveille les intentions du compositeur. Ses doigts volaient d’une note à l’autre avec légèreté, et pas une fois ne se trompèrent. En un siècle et demi, j’avais connu maints artistes ; mais presque aucun avec un tel talent. A dire vrai, je ne voyais que mon frère qui aurait pu la surpasser.
Je clignai des yeux, ému, pour chasser l’humidité naissante. Puis la musicienne se tourna vers nous pour saluer son public, et le détail me frappa lorsqu’elle se redressa ; ses yeux voilés fixaient un point invisible derrière mon épaule. Anja Limonov aveugle ; cette rumeur était donc vraie. Elle avait appris à jouer sans jamais lire une partition… Je m’humectai les lèvres alors que l’agente libérait enfin mon bras et s’éloignait en toute hâte. Abandonné à mon sort, je n’avais plus d’autres choix que d’adresser la parole à la pianiste, dont la reconnaissance me laissa un étrange goût amer dans la bouche.
- Bonsoir, Mademoiselle Limonov. C’est un plaisir de faire votre connaissance. Je m’appelle Raphaël de La Roche, mais vous pouvez m’appeler simplement Raphaël.
Je jetai un oeil à la salle ; le technicien du son terré dans l’ombre ne m’avait pas échappé. Je savais reconnaître une future salle de concert en préparation. J’avalai ma salive, la gorge sèche, pressentant la suite. Je préférais toutefois jouer la carte de la diplomatie et de la prudence. Je me tournai de nouveau vers l’humaine, l’air navré, quand bien même elle ne pouvait le voir.
- Ne me remerciez pas trop vite, je vous en prie… A dire vrai, on ne m’a donné aucune information en dehors de votre nom en m’amenant ici. J’ai cru comprendre que vous recherchiez un remplaçant de dernière minute, pour… eh bien, je l’ignore justement. Je ne voudrais pas vous causer une fausse joie.
C’était une demi-vérité. Etant donné le contexte, je commençais à comprendre ce que l’on attendait de moi, avec désolation. Je décidai toutefois de jouer l’ignorance jusqu’au bout, avec l’espoir que ma venue ici ne fût pas en vain.
- Pourriez-vous me dire en quoi vous avez besoin de moi ?
Mon pauvre instrument devait se lasser de reposer au fond de son étuis. Je n’avais pas sorti un son depuis deux mois, paralysé par une angoisse que je ne m’expliquais pas. La simple idée de jouer m’étreignait le coeur, et c’était pire en m’imaginant devant un public. J’avais bien tenté à plusieurs reprises de confronter cette peur irrationnelle ; en vain. Ma main s’immobilisait chaque fois à quelques millimètres des cordes, tremblant comme si l’archet pesait une tonne. Et à chaque fois, je rangeais mon instrument dans sa protection en velours, résigné. Puisque je ne pouvais dépasser ce blocage, j’avais décidé de l’emporter chez l’artisan pour entretenir son bois et l’accorder comme à l’acoutumée. J’aurais pu m’y rendre par téléportation, pour apparaître dans un recoin à l’abri des regards non loin de la boutique, cependant j’appréciais de marcher, surtout la nuit, étant un être nocturne.
Je tournai à l’angle de la rue du théâtre pour rejoindre le quartier commerçant. Encore plongé dans mes pensées, je fus surpris lorsqu’une jeune femme m’approcha à vive allure. Je fronçai les sourcils et m’arrêtai, méfiant ; son odeur était humaine cependant, et elle n’était pas armée. Par ailleurs, son sourire avenant me rassura quelque peu. Il n’y avait ni haine ni intention malhonnête dans son regard. Je n’eus pas le temps de répondre à son salut ; elle m’attrapa le bras pour m’entraîner avec elle.
- Mais, que...
Pris au dépourvu je ne me débatis même pas, peinant à croire qu’une humaine pût emporter avec lui un parfait inconnu, à la nuit tombée, en dépit des événements récents. La situation était totalement surréaliste. Peut-être aussi était-ce mon âme généreuse qui m’empêcher de repousser cette femme qui, visiblement, voyait en moi le sauveur du siècle. Je n’étais pas spécialement pressé, aussi je pouvais perdre quelques minutes pour la suivre, voir ce qu’il en était, et l’aider si c’était en mon pouvoir.
Je fronçai les sourcils ; Limonov ? Je connaissais ce nom. C’était celui d’une jeune pianiste, dotée d’un véritable don. J’avais déjà eu l’occasion d’écouter l’un de ses récitales, qui m’avait ramené bien des décennies en arrière, lorsque mon jumeau jouait avec entrain. J’ignorais qu’elle était ici… cependant, ces deux derniers mois, je n’avais guère prêté attention aux vas-et-viens. Cependant, je m’interrogeai sur mon rôle dans cette histoire. En quoi avait-on besoin de moi ? Je commençais à redouter la réponse.
Dès lors que nous franchîmes les portes du théâtres, les notes d’un piano à queue me parvenir, d’une justesse et d’une assurance comme il en existait peu. Mon accompagnatrice n’eut pas réellement besoin de me faire signe ; j’avais déjà renoncé à prononcer le moindre mot. Je reconnus aussitôt le dernier mouvement de la sonate n°1 de Chopin, l’un des compositeurs préférés de mon frère. Son plus grand regret était d’être nés une décennie trop tard pour le connaître. Lorsque j’aperçus la musicienne, je m’immobilisai, glissant ma main libre dans la poche de ma veste beige. Je l’observais jouer ; son visage exprimait à merveille les intentions du compositeur. Ses doigts volaient d’une note à l’autre avec légèreté, et pas une fois ne se trompèrent. En un siècle et demi, j’avais connu maints artistes ; mais presque aucun avec un tel talent. A dire vrai, je ne voyais que mon frère qui aurait pu la surpasser.
Je clignai des yeux, ému, pour chasser l’humidité naissante. Puis la musicienne se tourna vers nous pour saluer son public, et le détail me frappa lorsqu’elle se redressa ; ses yeux voilés fixaient un point invisible derrière mon épaule. Anja Limonov aveugle ; cette rumeur était donc vraie. Elle avait appris à jouer sans jamais lire une partition… Je m’humectai les lèvres alors que l’agente libérait enfin mon bras et s’éloignait en toute hâte. Abandonné à mon sort, je n’avais plus d’autres choix que d’adresser la parole à la pianiste, dont la reconnaissance me laissa un étrange goût amer dans la bouche.
- Bonsoir, Mademoiselle Limonov. C’est un plaisir de faire votre connaissance. Je m’appelle Raphaël de La Roche, mais vous pouvez m’appeler simplement Raphaël.
Je jetai un oeil à la salle ; le technicien du son terré dans l’ombre ne m’avait pas échappé. Je savais reconnaître une future salle de concert en préparation. J’avalai ma salive, la gorge sèche, pressentant la suite. Je préférais toutefois jouer la carte de la diplomatie et de la prudence. Je me tournai de nouveau vers l’humaine, l’air navré, quand bien même elle ne pouvait le voir.
- Ne me remerciez pas trop vite, je vous en prie… A dire vrai, on ne m’a donné aucune information en dehors de votre nom en m’amenant ici. J’ai cru comprendre que vous recherchiez un remplaçant de dernière minute, pour… eh bien, je l’ignore justement. Je ne voudrais pas vous causer une fausse joie.
C’était une demi-vérité. Etant donné le contexte, je commençais à comprendre ce que l’on attendait de moi, avec désolation. Je décidai toutefois de jouer l’ignorance jusqu’au bout, avec l’espoir que ma venue ici ne fût pas en vain.
- Pourriez-vous me dire en quoi vous avez besoin de moi ?
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Mar 3 Déc 2019 - 13:46
La pianiste se leva de son siège, les lèvres légèrement entrouvertes et le souffle encore excité par l'effort et l'émotion passée dans le morceau. Elle lissa de ses mains par un geste d'habitude sa robe toute blanche, puis glissa ses doigts sur les touches d'albâtre, simple contact rassurant : elle ne connaissait pas assez bien la scène pour se permettre d'y marcher sans canne, une chute serait bien trop vite arrivée.
- Oh, je suis... sincèrement désolée, Roche-san. Ou doit-on dire, de La Roche-san ? Les noms français sont parfois bien étonnant à composer avec notre langue, sourit-elle d'un air un peu contrit en s'inclinant bas, une longue seconde.
'Notre langue', venant d'une personne aussi pâle qu'elle, c'était pourtant bien ces mots qu'elle prononçait. Anja avait mis un sacré bout de temps à pouvoir le penser, mais aussi bien aimait-elle la Russie -et certaines personnes y vivant-, elle était née et avait été élevée au japon. Et son piano, et sa musique, elle le devait bien à ce pays. Même si le son pouvait s'y élever de façon étrange. Et c'était bien là toute la question.
- Nous préparons un concert sous peu, mais le violoniste qui devait m'accompagner pour une partie de ce concert s'est fait porté pâle, alors que nous devions vérifier les acoustiques. Et bien que jouer un récital ne me dérange pas, je préfère tout de même prendre toutes les possibilités pour régler chaque parcelle de son. Il serait bien dommge, que celui-là ne résonne pas correctement pour chacun des sièges, non ?
Elle pencha la tête sur un côté, un instant seulement, pour réfléchir. Ce qu'avait fait l'employée de la salle de théâtre était assez déplacé, et Anja ne pouvait pas faire grand chose sur ce côté là. Peut-être juste tenter de rassurer l'homme ? Elle ne connaissait ni son niveau, ni même ses possibilités après tout.
- Il s'agirait juste de jouer quelques notes. Quoi que vous glissiez, et quelles que soient les notes que votre archet, et vous, ressortirez, je serai là pour vous accompagner. Ne vous inquiétez pas, et... "Amusez-vous ?"
La musicienne sourit plus largement, d'un visage qui transpirait de félicité. Après tout, elle parlait musique, jouait musique, et vivait musique en cet instant même. Étendant son bras, elle désigna le côté de la scène pour enchaîner directement.
- Si vous le pouvez, et uniquement si vous le pouvez, de La Roche-san, il y a un petit escalier sur le côté de la scène de ce côté. Mais dites-moi, en attendant, si vous le voulez-bien. Y a-t-il quelconque morceau que vous aimeriez entendre ?
Tout en gardant la tête tournée à moitié vers l'homme, le regard toujours aussi vide d'éclat, Anja se posa sur le tabouret rembourré, faisant attention à sa robe, et glissa ses doigts sur quelques notes, pour enchaîner quelques airs pianissimo, pour ne pas déranger une quelconque parole en cours. Juste un fond dans l'air. Tout en enchaînant les airs, cependant, elle avait un petit but secret, entendre une quelconque réaction. Une respiration retenue, une exclamation silencieuse, un pas hors du rythme. Quoi que ce soit, qui pourrait lui indiquer une préférence, ou un souvenir que l'homme cacherait quelque part.
A défaut de pouvoir s'excuser, si elle pouvait tenter de faire remonter quelques mémoires qu'elle espérait heureuses ou simplement enfouies. Cela ferait peut-être un premier début. C'était pour elle un des pouvoirs de la musique, et un de ceux qu'elle appréciait le plus, même malgré ceux qui remontaient pour elle-même. Dans les quelques airs enchaînés d'une main virtuose et légère, les compositeurs passaient les uns après les autres.
- Oh, je suis... sincèrement désolée, Roche-san. Ou doit-on dire, de La Roche-san ? Les noms français sont parfois bien étonnant à composer avec notre langue, sourit-elle d'un air un peu contrit en s'inclinant bas, une longue seconde.
'Notre langue', venant d'une personne aussi pâle qu'elle, c'était pourtant bien ces mots qu'elle prononçait. Anja avait mis un sacré bout de temps à pouvoir le penser, mais aussi bien aimait-elle la Russie -et certaines personnes y vivant-, elle était née et avait été élevée au japon. Et son piano, et sa musique, elle le devait bien à ce pays. Même si le son pouvait s'y élever de façon étrange. Et c'était bien là toute la question.
- Nous préparons un concert sous peu, mais le violoniste qui devait m'accompagner pour une partie de ce concert s'est fait porté pâle, alors que nous devions vérifier les acoustiques. Et bien que jouer un récital ne me dérange pas, je préfère tout de même prendre toutes les possibilités pour régler chaque parcelle de son. Il serait bien dommge, que celui-là ne résonne pas correctement pour chacun des sièges, non ?
Elle pencha la tête sur un côté, un instant seulement, pour réfléchir. Ce qu'avait fait l'employée de la salle de théâtre était assez déplacé, et Anja ne pouvait pas faire grand chose sur ce côté là. Peut-être juste tenter de rassurer l'homme ? Elle ne connaissait ni son niveau, ni même ses possibilités après tout.
- Il s'agirait juste de jouer quelques notes. Quoi que vous glissiez, et quelles que soient les notes que votre archet, et vous, ressortirez, je serai là pour vous accompagner. Ne vous inquiétez pas, et... "Amusez-vous ?"
La musicienne sourit plus largement, d'un visage qui transpirait de félicité. Après tout, elle parlait musique, jouait musique, et vivait musique en cet instant même. Étendant son bras, elle désigna le côté de la scène pour enchaîner directement.
- Si vous le pouvez, et uniquement si vous le pouvez, de La Roche-san, il y a un petit escalier sur le côté de la scène de ce côté. Mais dites-moi, en attendant, si vous le voulez-bien. Y a-t-il quelconque morceau que vous aimeriez entendre ?
Tout en gardant la tête tournée à moitié vers l'homme, le regard toujours aussi vide d'éclat, Anja se posa sur le tabouret rembourré, faisant attention à sa robe, et glissa ses doigts sur quelques notes, pour enchaîner quelques airs pianissimo, pour ne pas déranger une quelconque parole en cours. Juste un fond dans l'air. Tout en enchaînant les airs, cependant, elle avait un petit but secret, entendre une quelconque réaction. Une respiration retenue, une exclamation silencieuse, un pas hors du rythme. Quoi que ce soit, qui pourrait lui indiquer une préférence, ou un souvenir que l'homme cacherait quelque part.
A défaut de pouvoir s'excuser, si elle pouvait tenter de faire remonter quelques mémoires qu'elle espérait heureuses ou simplement enfouies. Cela ferait peut-être un premier début. C'était pour elle un des pouvoirs de la musique, et un de ceux qu'elle appréciait le plus, même malgré ceux qui remontaient pour elle-même. Dans les quelques airs enchaînés d'une main virtuose et légère, les compositeurs passaient les uns après les autres.
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Dim 8 Déc 2019 - 10:05
La jeune pianiste me surprit avec son discours. “Notre langue” ? Elle se considérait visiblement plus comme japonaise que russe. En y réfléchissant, elle s’exprimait parfaitement, sans accent. Elle vivait certainement ici depuis de nombreuses années. Sans doute plus longtemps que moi. Même si, dans mon cas, je visitais mon grand-père occasionnellement depuis ma plus tendre enfance. Ce qui ne m’empêchait pas de conserver un très léger accent français, audible uniquement pour les oreilles averties.
- Vous pouvez m’appeler Roche-san, c’est plus simple et facile à prononcer.
Je l’écoutais me livrer la raison de ma présence ici. Comme je m’en doutais, elle préparait un futur concert, et avec une grande rigueur, je trouvais. Aller jusqu’à soigner le moindre détail sonore, voilà qui était assidu. Je souris à sa question rhétorique. Pour avoir joué en premier violon dans plusieurs orchestres, j’étais bien placé pour savoir que l’acoustique était primordiale dans le rendu d’une oeuvre musicale.
- Effectivement. Je comprends votre minutie.
Néanmoins, elle confirma mes craintes par la suite. Elle voulait donc que je jouasse quelques notes de violon. Mon coeur se serra. Cette pauvre pianiste pensait avoir trouvé la solution miracle, mais elle ignorait à quel point elle se trompait. J’étais loin d’être l’homme de la situation, actuellement. Elle n’obtint pour seule réponse que mon silence, témoin de mon malaise. Elle dût le percevoir, car elle se montra plus délicate dans ses propos. Mon regard se posa sur l’escalier lorsqu’elle en fit mention. Hélas, je le voulais bien, mais j’en étais incapable. Ou plutôt je m’en sentais incapable.
La jeune artiste se lança sur un petit air de piano assez doux, comme pour m’encourager à me lancer. Cependant, je restais immobile, ne sachant comment réagir. Elle ne s’arrêta cependant pas là, enchaînant sur un autre registre, Tchaïkovski puis Chopin, avec sa sonate au clair de lune que j’affectionnais particulièrement, comme beaucoup de gens d’ailleurs. Anja Limonov se mit ensuite sur quelques nocturnes, notamment la neuf numéro un. Ces nombreuses notes me rappelèrent des souvenirs heureux, aussi agréables que douloureux, lorsque je m’exerçais avec mon frère.
Toutefois, ce fut l’adaptation de l’Eté qui m’atteignit le plus. L’extrémité de mes doigts, habitués à le jouer au violon, s’anima, battant la mesure. Nul ne pouvait le contester ; la jeune femme possédait un talent inouï. Hélas… Celui-ci ne suffirait pas à m’arracher de l’angoisse qui me paralysait depuis quelques temps. Mon sourire s’effaça au profit d’une expression peinée. N’osant pas interrompre son récital exotique, j’attendis un silence pour prendre la parole.
- Vous avez vraiment beaucoup de talent, Limonov-san. Rien ne semble hors de votre portée. Vous me rappelez mon frère sur certains points…
Je poussai un long soupir. Elle qui s’était lancée à coeur joie dans cette composition inédite, ça me faisait mal au coeur de jouer le rabat-joie. Pourtant, je me devais d’être honnête avec elle. Je posai mon étui au sol avec délicatesse.
- En toute sincérité, j’ai peur de ne pas être l’homme de la situation. Je suis violoniste, il est vrai. J’étais sur le chemin du luthier pour l’entretien annuel de mon violon, lorsque votre agente m’a abordé. Cependant…
Je marquai une pause, la gorge serrée. Ce que je m’apprêtais à lui révéler était loin d’être évident à avouer lorsqu’on était un artiste depuis sa plus tendre enfance. J’en tirais presque un sentiment de honte. Comment pouvait-on se retrouver incapable de jouer, quand la musique ne vous quittait plus depuis vos six ans ? C’était difficile à admettre, encore plus à confesser. Mais la sincérité et l'engouement de la pianiste m’avait touchés. Je me sentais comme obligé de lui dire la vérité. Comme si je la lui devais. Je passai une main sur mon visage, le coeur lourd.
- Il semblerait que ma muse m’ait quitté, je repris, la voix basse, à peine audible. Je n’ai pas produit une seule note en deux mois. Ce n’est pas l’envie de jouer qui me manque, mais… Mes doigts se paralysent sur les cordes et mon bras d’archet se fige dans les airs, à quelques centimètres de l’instrument.
Je levai ma main gauche devant moi tout en parlant, observant ces extrémités rebelles. Je baissai ensuite mon bras en même temps que mon regard, avant de poser mes yeux sur la silhouette gracile de la musicienne.
- Je suis désolé, Limonov-san, mais je doute de pouvoir vous aider.
Je ne peux déjà pas m’aider moi-même...
- Vous pouvez m’appeler Roche-san, c’est plus simple et facile à prononcer.
Je l’écoutais me livrer la raison de ma présence ici. Comme je m’en doutais, elle préparait un futur concert, et avec une grande rigueur, je trouvais. Aller jusqu’à soigner le moindre détail sonore, voilà qui était assidu. Je souris à sa question rhétorique. Pour avoir joué en premier violon dans plusieurs orchestres, j’étais bien placé pour savoir que l’acoustique était primordiale dans le rendu d’une oeuvre musicale.
- Effectivement. Je comprends votre minutie.
Néanmoins, elle confirma mes craintes par la suite. Elle voulait donc que je jouasse quelques notes de violon. Mon coeur se serra. Cette pauvre pianiste pensait avoir trouvé la solution miracle, mais elle ignorait à quel point elle se trompait. J’étais loin d’être l’homme de la situation, actuellement. Elle n’obtint pour seule réponse que mon silence, témoin de mon malaise. Elle dût le percevoir, car elle se montra plus délicate dans ses propos. Mon regard se posa sur l’escalier lorsqu’elle en fit mention. Hélas, je le voulais bien, mais j’en étais incapable. Ou plutôt je m’en sentais incapable.
La jeune artiste se lança sur un petit air de piano assez doux, comme pour m’encourager à me lancer. Cependant, je restais immobile, ne sachant comment réagir. Elle ne s’arrêta cependant pas là, enchaînant sur un autre registre, Tchaïkovski puis Chopin, avec sa sonate au clair de lune que j’affectionnais particulièrement, comme beaucoup de gens d’ailleurs. Anja Limonov se mit ensuite sur quelques nocturnes, notamment la neuf numéro un. Ces nombreuses notes me rappelèrent des souvenirs heureux, aussi agréables que douloureux, lorsque je m’exerçais avec mon frère.
Toutefois, ce fut l’adaptation de l’Eté qui m’atteignit le plus. L’extrémité de mes doigts, habitués à le jouer au violon, s’anima, battant la mesure. Nul ne pouvait le contester ; la jeune femme possédait un talent inouï. Hélas… Celui-ci ne suffirait pas à m’arracher de l’angoisse qui me paralysait depuis quelques temps. Mon sourire s’effaça au profit d’une expression peinée. N’osant pas interrompre son récital exotique, j’attendis un silence pour prendre la parole.
- Vous avez vraiment beaucoup de talent, Limonov-san. Rien ne semble hors de votre portée. Vous me rappelez mon frère sur certains points…
Je poussai un long soupir. Elle qui s’était lancée à coeur joie dans cette composition inédite, ça me faisait mal au coeur de jouer le rabat-joie. Pourtant, je me devais d’être honnête avec elle. Je posai mon étui au sol avec délicatesse.
- En toute sincérité, j’ai peur de ne pas être l’homme de la situation. Je suis violoniste, il est vrai. J’étais sur le chemin du luthier pour l’entretien annuel de mon violon, lorsque votre agente m’a abordé. Cependant…
Je marquai une pause, la gorge serrée. Ce que je m’apprêtais à lui révéler était loin d’être évident à avouer lorsqu’on était un artiste depuis sa plus tendre enfance. J’en tirais presque un sentiment de honte. Comment pouvait-on se retrouver incapable de jouer, quand la musique ne vous quittait plus depuis vos six ans ? C’était difficile à admettre, encore plus à confesser. Mais la sincérité et l'engouement de la pianiste m’avait touchés. Je me sentais comme obligé de lui dire la vérité. Comme si je la lui devais. Je passai une main sur mon visage, le coeur lourd.
- Il semblerait que ma muse m’ait quitté, je repris, la voix basse, à peine audible. Je n’ai pas produit une seule note en deux mois. Ce n’est pas l’envie de jouer qui me manque, mais… Mes doigts se paralysent sur les cordes et mon bras d’archet se fige dans les airs, à quelques centimètres de l’instrument.
Je levai ma main gauche devant moi tout en parlant, observant ces extrémités rebelles. Je baissai ensuite mon bras en même temps que mon regard, avant de poser mes yeux sur la silhouette gracile de la musicienne.
- Je suis désolé, Limonov-san, mais je doute de pouvoir vous aider.
Je ne peux déjà pas m’aider moi-même...
Invité
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Dim 8 Déc 2019 - 15:14
Si souvent, en musique, pour Anja, les silences étaient ce qui composait la musique, celui de Roche-san, ne faisait pas exception à cette règle. Seulement, sa musique était toute autre. Le silence révélait ce qui n'était pas dit, ce qui était tue, pour le mettre en avant, curieusement. Et Anja avait eu beau l'inviter à grimper au moins quelques marches pour la rejoindre, alors que ses doigts traînaient sur le piano. Il ne s'était que muré sur place, à l'écouter.
Alors, elle avait joué, comme tant d'autres fois. Recherchant chez ce public unique ce qui pouvait l'animer. Et peu à peu, airs après airs et morceaux après morceaux, elle en était tombé sur un. Anja, malgré tout son talent ne pourrait jamais rivaliser avec un orchestre symphonique, et les possibilités de son du piano, s'il avait la plus grande envergure -ou peu s'en fallait-, restaient limitées. Mais malgré cela, l'été gardait le plus de nuances possibles.
Contrairement à ce à quoi beaucoup associaient l'été, celui de Vivaldi n'était pas le joyeux couvert de chant d'oiseaux. Ceux-là n'était présent qu'au début, avec le coucou et son chant caractéristique de notes effrénées, régulièrement ponctuées d'un intervalle de tierce descendante. Puis venaient la tourterelle et le chardonneret. Mais rapidement, si tôt dans cette pièce, le vent se levait, piano. Puis en bourrasques tournoyantes fortes. La ligne mélodique, sinueuse, créait des dissonances entre les mouvements chromatiques descendants, comme chant plaintif d'un berger subissant ce temps orageux. Et ce dernier succédait à la plainte, dans un fortissimo puissant.
Et là n'avait été que le premier mouvement. C'était toujours impressionnant, de voir l'énergie que dépensait la pianiste aveugle, habitée par la musique. Des gammes octaviées descendantes, aux fulgurantes montées, suivies des plaintes lancinantes, comme échappées dans l'orage qui habitait l'été, tout y était passé. Puis enfin le silence.
Un silence qui offrait à la musicienne tant d'autres questions qu'elle n'osait les poser à un inconnu. Mais celui-là prit parole. Mais au delà des compliments qu'elle accueillit avec un signe de tête humble accompagné d'un léger sourire, continuait sur cette phrase en suspens terminée par un soupir. Anja tourna sur son siège pour mieux faire face au musicien peiné, glissant ses mains sur ses genoux, entrelaçant ses longs doigts.
Elle se gardait, à son tour, de parler, lui laissant tout le temps qu'il souhaitait. Chacun avait ses blessures, et s'il y avait une sorte de fantaisie du tout venant, à croire que celles-là embellissaient la musique, Anja pensait en partie le contraire. Elle voulait bien admettre que l'expérience d'une vie compliquée pouvait se répercuter dans les notes, et ainsi toucher parfois certaines âmes. Mais quoi qu'elle apporte à la musique. Une blessure pour un musicien, restait une blessure, comme pour n'importe qui. Et ce français n'en faisait pas exception non plus.
Anja prit un petit mouchoir posé sur le coin du piano, pour se tapoter le front, en sueur sous l'effort, et sourit tristement à ses paroles, comme partageant sa peine si forte.
- Vous n'avez pas à être désolé le moins du monde, Roche-san, souffla-t-elle à voix basse. Je ne sais quel évènement a perché votre muse hors d'atteinte, dans des cieux bercés de nuages, mais... Même s'il est candide de ma part de dire cela, je ne peux qu'espérer qu'une éclaircie viendra la faire redescendre pour vous ramener votre état de Grâce.
La jeune femme se redressa, lissant brièvement sa robe sans y porter d'attention, pour se rapprocher du bord de la scène. Ses pas frôlaient doucement le sol, jusqu'à ce qu'elle sente le vide. Ramenant son pied en arrière, sur le sol de bois, elle s'assit au bord de l'estrade, laissant ses jambes se balancer dans le vide, faisant voleter le bas de son vêtement.
- Je ne sais vraiment s'il y a des mots pouvant convenir. Viennent à moi quelques poètes français, russes, voire d'autres japonais. Et faire un choix entre tous ceux-là m'est compliqué. En espérant ne pas alourdir un poids qui vous mine, Roche-san.
Je l’attends dans la plaine sombre ;
Au loin je vois blanchir une ombre,
Une ombre qui vient doucement…
Eh non ! — trompeuse espérance —
C’est un vieux saule qui balance
Son tronc desséché et luisant.
Je me penche et longtemps j’écoute :
Je crois entendre sur la route
Le son qu’un pas léger produit…
Non, ce n’est rien ! C’est dans la mousse
Le bruit d’une feuille que pousse
Le vent parfumé de la nuit.
Rempli d’une amère tristesse,
Je me couche dans l’herbe épaisse
Et m’endors d’un sommeil profond…
Tout à coup, tremblant, je m’éveille :
Sa voix me parlait à l’oreille,
Sa bouche me baisait au front.
A son tour, elle poussa un long soupir, embué de souvenirs. Elle connaissait son mal, du moins, elle l'avait ressenti. Les causes étaient peut-être différentes. Et leur façon de traité cette douleur l'avait été. Elle, aux souvenirs du feu et des cris, s'était enfermée dans la musique. A tel point qu'on l'avait considéré comme un prodige. Mais à l'époque, combien de fois, elle était en terreur face au silence qui n'était plus masqué par le piano. Combien aurait-elle préféré ne pas perdre ce qu'elle avait, de famille, et restée une jeune enfant, aveugle, amusée par le piano ? Cela lui avait passé, mais il restait toujours les stigmates de ce temps-là. Si lui était pour le moment incapable de poser son archet sur les cordes tendues. Elle se retrouvait encore parfois incapable d'enlever ses mains des touches.
- Je ne sais, reprit-elle de cette voix toujours murmurée, douce, si les voix qui ne sont plus peuvent nous parler à l'oreille encore. Ni même si les rêves et les souvenirs peuvent suffire à nous réveiller de cette terrible torpeur qui scient nos inspirations ou nous envies. Je ne sais, finalement, si Lermontov pouvait étendre cette attente, de quelque chose qui vient, à autre chose, perdu à jamais. Mais je ne doute pas, Roche-san, que votre violon sous vos doigts, résonneront à nouveau. Peut-être dans une semaine. Peut-être dans un mois. Ou bien dans dix ans. Ou plus. Mais... notre muse ne nous abandonne au final jamais complètement.
Alors, elle avait joué, comme tant d'autres fois. Recherchant chez ce public unique ce qui pouvait l'animer. Et peu à peu, airs après airs et morceaux après morceaux, elle en était tombé sur un. Anja, malgré tout son talent ne pourrait jamais rivaliser avec un orchestre symphonique, et les possibilités de son du piano, s'il avait la plus grande envergure -ou peu s'en fallait-, restaient limitées. Mais malgré cela, l'été gardait le plus de nuances possibles.
Contrairement à ce à quoi beaucoup associaient l'été, celui de Vivaldi n'était pas le joyeux couvert de chant d'oiseaux. Ceux-là n'était présent qu'au début, avec le coucou et son chant caractéristique de notes effrénées, régulièrement ponctuées d'un intervalle de tierce descendante. Puis venaient la tourterelle et le chardonneret. Mais rapidement, si tôt dans cette pièce, le vent se levait, piano. Puis en bourrasques tournoyantes fortes. La ligne mélodique, sinueuse, créait des dissonances entre les mouvements chromatiques descendants, comme chant plaintif d'un berger subissant ce temps orageux. Et ce dernier succédait à la plainte, dans un fortissimo puissant.
Et là n'avait été que le premier mouvement. C'était toujours impressionnant, de voir l'énergie que dépensait la pianiste aveugle, habitée par la musique. Des gammes octaviées descendantes, aux fulgurantes montées, suivies des plaintes lancinantes, comme échappées dans l'orage qui habitait l'été, tout y était passé. Puis enfin le silence.
Un silence qui offrait à la musicienne tant d'autres questions qu'elle n'osait les poser à un inconnu. Mais celui-là prit parole. Mais au delà des compliments qu'elle accueillit avec un signe de tête humble accompagné d'un léger sourire, continuait sur cette phrase en suspens terminée par un soupir. Anja tourna sur son siège pour mieux faire face au musicien peiné, glissant ses mains sur ses genoux, entrelaçant ses longs doigts.
Elle se gardait, à son tour, de parler, lui laissant tout le temps qu'il souhaitait. Chacun avait ses blessures, et s'il y avait une sorte de fantaisie du tout venant, à croire que celles-là embellissaient la musique, Anja pensait en partie le contraire. Elle voulait bien admettre que l'expérience d'une vie compliquée pouvait se répercuter dans les notes, et ainsi toucher parfois certaines âmes. Mais quoi qu'elle apporte à la musique. Une blessure pour un musicien, restait une blessure, comme pour n'importe qui. Et ce français n'en faisait pas exception non plus.
Anja prit un petit mouchoir posé sur le coin du piano, pour se tapoter le front, en sueur sous l'effort, et sourit tristement à ses paroles, comme partageant sa peine si forte.
- Vous n'avez pas à être désolé le moins du monde, Roche-san, souffla-t-elle à voix basse. Je ne sais quel évènement a perché votre muse hors d'atteinte, dans des cieux bercés de nuages, mais... Même s'il est candide de ma part de dire cela, je ne peux qu'espérer qu'une éclaircie viendra la faire redescendre pour vous ramener votre état de Grâce.
La jeune femme se redressa, lissant brièvement sa robe sans y porter d'attention, pour se rapprocher du bord de la scène. Ses pas frôlaient doucement le sol, jusqu'à ce qu'elle sente le vide. Ramenant son pied en arrière, sur le sol de bois, elle s'assit au bord de l'estrade, laissant ses jambes se balancer dans le vide, faisant voleter le bas de son vêtement.
- Je ne sais vraiment s'il y a des mots pouvant convenir. Viennent à moi quelques poètes français, russes, voire d'autres japonais. Et faire un choix entre tous ceux-là m'est compliqué. En espérant ne pas alourdir un poids qui vous mine, Roche-san.
Je l’attends dans la plaine sombre ;
Au loin je vois blanchir une ombre,
Une ombre qui vient doucement…
Eh non ! — trompeuse espérance —
C’est un vieux saule qui balance
Son tronc desséché et luisant.
Je me penche et longtemps j’écoute :
Je crois entendre sur la route
Le son qu’un pas léger produit…
Non, ce n’est rien ! C’est dans la mousse
Le bruit d’une feuille que pousse
Le vent parfumé de la nuit.
Rempli d’une amère tristesse,
Je me couche dans l’herbe épaisse
Et m’endors d’un sommeil profond…
Tout à coup, tremblant, je m’éveille :
Sa voix me parlait à l’oreille,
Sa bouche me baisait au front.
A son tour, elle poussa un long soupir, embué de souvenirs. Elle connaissait son mal, du moins, elle l'avait ressenti. Les causes étaient peut-être différentes. Et leur façon de traité cette douleur l'avait été. Elle, aux souvenirs du feu et des cris, s'était enfermée dans la musique. A tel point qu'on l'avait considéré comme un prodige. Mais à l'époque, combien de fois, elle était en terreur face au silence qui n'était plus masqué par le piano. Combien aurait-elle préféré ne pas perdre ce qu'elle avait, de famille, et restée une jeune enfant, aveugle, amusée par le piano ? Cela lui avait passé, mais il restait toujours les stigmates de ce temps-là. Si lui était pour le moment incapable de poser son archet sur les cordes tendues. Elle se retrouvait encore parfois incapable d'enlever ses mains des touches.
- Je ne sais, reprit-elle de cette voix toujours murmurée, douce, si les voix qui ne sont plus peuvent nous parler à l'oreille encore. Ni même si les rêves et les souvenirs peuvent suffire à nous réveiller de cette terrible torpeur qui scient nos inspirations ou nous envies. Je ne sais, finalement, si Lermontov pouvait étendre cette attente, de quelque chose qui vient, à autre chose, perdu à jamais. Mais je ne doute pas, Roche-san, que votre violon sous vos doigts, résonneront à nouveau. Peut-être dans une semaine. Peut-être dans un mois. Ou bien dans dix ans. Ou plus. Mais... notre muse ne nous abandonne au final jamais complètement.
Raphaël de La Roche#102452#102452#102452#102452#102452#102452#102452
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Lun 23 Déc 2019 - 9:54
La pianiste m’écouta en silence, son regard voilé porté sur un point inexistant au dessus de mon épaule. Finalement, elle s’épongea le front ; je tournai légèrement la tête, assez tôt pour repérer un sourire navré sur ses lèvres. Elle paraissait sincèrement touchée par ma délicate situation. En tant que musicienne, elle comprenait certainement qu’il fallait un véritable drame, ou un traumatisme, pour bloquer à ce point l’âme d’un artiste, l’enfermer dans le royaume de son art, là où il était le roi, et les spectateurs ses sujets. Je notai sa façon de s’exprimer, très soutenue, par métaphore et poésie. En plus des talents de pianiste, elle était très certainement une véritable littéraire. La suite me le confirma avec un poème récité spontanément. Je ne reconnus pas l’auteur ; c’était mon jumeau, le plus poète des deux, et il n’était plus là pour me souffler le nom à l’oreille.
Ces quelques vers reflétaient bien mon état d’esprit actuel. Elle espérait ne pas alourdir mon coeur ; hélas, j’étais encore au stade précoce du deuil, là où la moindre allusion à l’être aimé ou au malheur qui nous affligeait suffisait à replonger un peu plus dans l’abîme du chagrin. Toutefois, le profond soupir qui suivit sa déclamation m’alerta. Je tournai de nouveau la tête vers elle et notai une expression lourde de sens sur son visage. Et bien qu’elle fut aveugle et que je ne pouvais me fier à son regard, je la sentis, l’espace d’un moment, très loin de moi, plongée dans des souvenirs certainement douloureux.
L’on disait que pour être un artiste, il fallait avoir une âme tourmentée. C’était probablement une légende urbaine ; après tout, Mickaël y avait échappé, lui. Mais parfois, je me demandais s’il n’était pas l’exception confirmant la règle. Car chaque confrère et consoeur que je croisais semblait affligé de la même malédiction. Finalement, elle termina par quelques mots qui se voulaient rassurant. Je laissai quelques secondes de silence avant d’enchaîner.
- Merci pour votre sollicitude, ça me touche. Je sais que je finirais par m’y remettre. Du moins je l’espère. Mais, vous imaginez bien à quel point c’est angoissant d’être ainsi privé de ce qui projette un artiste dans l’avenir. C’est comme un alpiniste subitement atteint de vertige ; il devient incapable de s’élever à plus de quelques mètres sur cet univers qu’il dominait pourtant depuis des années.
La comparaison me semblait bien représentative. Il en existait certainement d’autres, mais c’était la seule qui m’était venue à l’esprit. Peut-être car le musicien grimpait, lui aussi, chacune des notes, se hissant sur les symphonies pour s’élever jusqu’au sommet de son art. Et de la cime la plus haute, il pouvait admirer ce royaume qui s’étendait à ses pieds, et ces regards admiratifs que lui adressaient ses supporteurs. Après quelques secondes de réflexion, je me surpris à la rejoindre sur le bord de l’estrade ; à ce point lancé dans les confidences, je me sentais prompt à les porter un peu plus loin. On disait qu’il était souvent plus facile de parler à un inconnu, car alors libéré du regard de l’autre.
- Je me demande parfois si ma Muse ne s’est pas simplement éteinte, disparue en même temps que... ma fiancée.
Je marquai une pause pour inspirer profondément et juguler l’émotion qui me nouait la gorge. C’était la première fois que j’abordais la mort d’Emeraude aussi vite dans une conversation. C’était peut-être bon signe ; avançais-je finalement sur le chemin du deuil ?
- C’est ce que je crains le plus, et c’est probablement cette peur irrationnelle qui retient mon archet. On dit que lorsqu’on tombe de cheval, il faut remonter en selle aussitôt. J’aurais peut-être dû jouer immédiatement, comme la première fois. Mais je ne m’en sentais ni l’envie, ni la force, car le violon me rappelait ces moments partagés avec elle. Elle s’y était mise en secret pour mieux me comprendre et m’atteindre, et j’avais décidé de poursuivre son enseignement moi-même.
Un triste sourire étira mes lèvres alors que je me replongais dans ces souvenirs doux et heureux. Je nous revoyais dans la salle de musique à la villa, elle qui déchiffrait la partition, moi qui guidait sa main et son bras sur l’instrument pour adopter la bonne position. Plus d’une fois nous nous étions déconcentrés, trop amoureux pour résister à une étreinte chaleureuse, mais jamais je n’avais failli pour lui apprendre un morceau. Ces moments de partage me manquaient terriblement ; elle me manquait terriblement. Sa voix mélodieuse, son rire cristallin, ses yeux pétillant de vie, son grand coeur, sa bonne humeur...
Jess me hurlerait probablement dessus si elle me voyait comme ça. Je savais ce qu’elle me dirait ; qu’il était bon de se souvenir des morts, mais qu’il fallait s’occuper des vivants. Réalisant que je m’étais égaré, je me raclai la gorge, un peu gêné. J’essuyai discrètement d’un doigt la larme qui perlait au coin de mon oeil.
- Excusez-moi, je ne sais pourquoi je vous raconte tout ça. Vous avez certainement vos propres tourments et je ne devrais pas vous ennuyer davantage avec les miens.
Ces quelques vers reflétaient bien mon état d’esprit actuel. Elle espérait ne pas alourdir mon coeur ; hélas, j’étais encore au stade précoce du deuil, là où la moindre allusion à l’être aimé ou au malheur qui nous affligeait suffisait à replonger un peu plus dans l’abîme du chagrin. Toutefois, le profond soupir qui suivit sa déclamation m’alerta. Je tournai de nouveau la tête vers elle et notai une expression lourde de sens sur son visage. Et bien qu’elle fut aveugle et que je ne pouvais me fier à son regard, je la sentis, l’espace d’un moment, très loin de moi, plongée dans des souvenirs certainement douloureux.
L’on disait que pour être un artiste, il fallait avoir une âme tourmentée. C’était probablement une légende urbaine ; après tout, Mickaël y avait échappé, lui. Mais parfois, je me demandais s’il n’était pas l’exception confirmant la règle. Car chaque confrère et consoeur que je croisais semblait affligé de la même malédiction. Finalement, elle termina par quelques mots qui se voulaient rassurant. Je laissai quelques secondes de silence avant d’enchaîner.
- Merci pour votre sollicitude, ça me touche. Je sais que je finirais par m’y remettre. Du moins je l’espère. Mais, vous imaginez bien à quel point c’est angoissant d’être ainsi privé de ce qui projette un artiste dans l’avenir. C’est comme un alpiniste subitement atteint de vertige ; il devient incapable de s’élever à plus de quelques mètres sur cet univers qu’il dominait pourtant depuis des années.
La comparaison me semblait bien représentative. Il en existait certainement d’autres, mais c’était la seule qui m’était venue à l’esprit. Peut-être car le musicien grimpait, lui aussi, chacune des notes, se hissant sur les symphonies pour s’élever jusqu’au sommet de son art. Et de la cime la plus haute, il pouvait admirer ce royaume qui s’étendait à ses pieds, et ces regards admiratifs que lui adressaient ses supporteurs. Après quelques secondes de réflexion, je me surpris à la rejoindre sur le bord de l’estrade ; à ce point lancé dans les confidences, je me sentais prompt à les porter un peu plus loin. On disait qu’il était souvent plus facile de parler à un inconnu, car alors libéré du regard de l’autre.
- Je me demande parfois si ma Muse ne s’est pas simplement éteinte, disparue en même temps que... ma fiancée.
Je marquai une pause pour inspirer profondément et juguler l’émotion qui me nouait la gorge. C’était la première fois que j’abordais la mort d’Emeraude aussi vite dans une conversation. C’était peut-être bon signe ; avançais-je finalement sur le chemin du deuil ?
- C’est ce que je crains le plus, et c’est probablement cette peur irrationnelle qui retient mon archet. On dit que lorsqu’on tombe de cheval, il faut remonter en selle aussitôt. J’aurais peut-être dû jouer immédiatement, comme la première fois. Mais je ne m’en sentais ni l’envie, ni la force, car le violon me rappelait ces moments partagés avec elle. Elle s’y était mise en secret pour mieux me comprendre et m’atteindre, et j’avais décidé de poursuivre son enseignement moi-même.
Un triste sourire étira mes lèvres alors que je me replongais dans ces souvenirs doux et heureux. Je nous revoyais dans la salle de musique à la villa, elle qui déchiffrait la partition, moi qui guidait sa main et son bras sur l’instrument pour adopter la bonne position. Plus d’une fois nous nous étions déconcentrés, trop amoureux pour résister à une étreinte chaleureuse, mais jamais je n’avais failli pour lui apprendre un morceau. Ces moments de partage me manquaient terriblement ; elle me manquait terriblement. Sa voix mélodieuse, son rire cristallin, ses yeux pétillant de vie, son grand coeur, sa bonne humeur...
Jess me hurlerait probablement dessus si elle me voyait comme ça. Je savais ce qu’elle me dirait ; qu’il était bon de se souvenir des morts, mais qu’il fallait s’occuper des vivants. Réalisant que je m’étais égaré, je me raclai la gorge, un peu gêné. J’essuyai discrètement d’un doigt la larme qui perlait au coin de mon oeil.
- Excusez-moi, je ne sais pourquoi je vous raconte tout ça. Vous avez certainement vos propres tourments et je ne devrais pas vous ennuyer davantage avec les miens.
Invité
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Mar 24 Déc 2019 - 11:08
- Le chant des muses disparues est bien souvent semblable au chant des sirènes. Si un être disparaissait en même temps que ma musique. Je pense que j'y céderai bien aussi.
A cette déclaration funeste, pleine de compréhension, de compassion et d'une crainte apparaissait à la fin, succéda un silence de la part de la pianiste. Au delà des souvenirs, sa gestion de toutes ses émotions passait d'abord par la musique. Que ce soit un chant, bouffé par les émois, ou des doigts s'écrasant sur les touches d'un piano. La musique était son principal vecteur. Et sans celui-là... Plus d'une fois, quelques amis auxquels elle tenait avaient préféré rejoindre une muse perdue, dans un élan de désespoir. Et elle ne pouvait que les comprendre.
Machinalement, et peut-être par réflexe, ses doigts tapotèrent ses cuisses en un requiem muet, ou bien de chair. Elle n'y pensait pas, c'était simplement... ça. Un chant pour les morts, un souvenir pour les vivants. Silencieuse, elle l'écoutait, appréciait les émotions qu'elle arrivait si simplement à attraper : elle en connaissait la plupart. Elle en craignait toujours la plupart.
Comme si elle pouvait le voir, ses lèvres s'étirèrent leur tour, en écho, en un sourire bien triste, tandis qu'elle partageait ce moment silencieux. Chacun dans ses souvenirs, chacun dans ses errances. Même si ses parents étaient partis trop tôt pour qu'il n'en résulte autre chose qu'un flou artistique, il y avait parfois ces flash qui revenaient. Cette découverte d'un piano, et de cette première note qui avait envahi l'espace d'un simple appui. Puis il y avait tous ces autres, les proches dont elle avait évoqué les muses disparues. Ces moments frappés par une harmonie angélique, qui n'avaient été finalement qu'un passage.
Le raclement de gorge de l'homme la ramena à la réalité, et sans discrétion, passa ses mains sur ses joues et yeux, effaçant quelques traces d'une larme ou deux.
- Mes tourments sont passés, Roche-san. Et quoi que vous pensiez, ce n'est certainement pas les vôtres, qui m'ennuieront un seul instant. D'autant que notre réaction a été différente, pour gérer ces pertes. Je me suis enfoncée dans la musique, à en oublier mon corps, à en oublier ma vie, pour leur faire venir ce qu'ils ne pouvaient entendre. J'ai toujours pensé...
Elle prit une petite pause reniflant une fois.
- J'ai toujours pensé, qu'une partie des âmes des disparus s'offrent à ceux qu'ils ont aimé, et que c'était pour cela, que la notre s'alourdissait, de ce rare honneur. Et je pense aussi que la musique dans ses instants les plus purs, arrive à dépasser les limites du naturel. Et au moins, arrive à atteindre les âmes.
Anja lâcha un petit rire, moqueur contre elle-même. C'était naïf, bête. Et pourtant elle continuait à jouer et à oublier son corps. Après tout, elle était revenue au japon pour se reposer, juste retourner chez elle et prendre soin de son corps. Et à la place, elle n'avait fait que jouer, encore et encore. Et rencontrer des êtres surnaturels, qui ne faisaient guère de sens à ses oreilles.
- Pouvez-vous crier votre douleur, par l'archet ? Offrir aux fragments de l'âme de votre aimée, une nouvelle envolée, une nouvelle danse ? A chaque son, lui faire plaisir. Et si aujourd'hui, c'est un échec. Ressayez demain. Pas pour vous. Mais pour cette âme alourdie. Et si ça ne fonctionne toujours pas. Encore. Chaque jour, chaque heure... Réessayez ?
La pianiste poussa un long soupir, pour se redresser sur l'estrade, se frottant les yeux une nouvelle fois, revenant vers l'homme avec une moue plus résolue, patiente.
A cette déclaration funeste, pleine de compréhension, de compassion et d'une crainte apparaissait à la fin, succéda un silence de la part de la pianiste. Au delà des souvenirs, sa gestion de toutes ses émotions passait d'abord par la musique. Que ce soit un chant, bouffé par les émois, ou des doigts s'écrasant sur les touches d'un piano. La musique était son principal vecteur. Et sans celui-là... Plus d'une fois, quelques amis auxquels elle tenait avaient préféré rejoindre une muse perdue, dans un élan de désespoir. Et elle ne pouvait que les comprendre.
Machinalement, et peut-être par réflexe, ses doigts tapotèrent ses cuisses en un requiem muet, ou bien de chair. Elle n'y pensait pas, c'était simplement... ça. Un chant pour les morts, un souvenir pour les vivants. Silencieuse, elle l'écoutait, appréciait les émotions qu'elle arrivait si simplement à attraper : elle en connaissait la plupart. Elle en craignait toujours la plupart.
Comme si elle pouvait le voir, ses lèvres s'étirèrent leur tour, en écho, en un sourire bien triste, tandis qu'elle partageait ce moment silencieux. Chacun dans ses souvenirs, chacun dans ses errances. Même si ses parents étaient partis trop tôt pour qu'il n'en résulte autre chose qu'un flou artistique, il y avait parfois ces flash qui revenaient. Cette découverte d'un piano, et de cette première note qui avait envahi l'espace d'un simple appui. Puis il y avait tous ces autres, les proches dont elle avait évoqué les muses disparues. Ces moments frappés par une harmonie angélique, qui n'avaient été finalement qu'un passage.
Le raclement de gorge de l'homme la ramena à la réalité, et sans discrétion, passa ses mains sur ses joues et yeux, effaçant quelques traces d'une larme ou deux.
- Mes tourments sont passés, Roche-san. Et quoi que vous pensiez, ce n'est certainement pas les vôtres, qui m'ennuieront un seul instant. D'autant que notre réaction a été différente, pour gérer ces pertes. Je me suis enfoncée dans la musique, à en oublier mon corps, à en oublier ma vie, pour leur faire venir ce qu'ils ne pouvaient entendre. J'ai toujours pensé...
Elle prit une petite pause reniflant une fois.
- J'ai toujours pensé, qu'une partie des âmes des disparus s'offrent à ceux qu'ils ont aimé, et que c'était pour cela, que la notre s'alourdissait, de ce rare honneur. Et je pense aussi que la musique dans ses instants les plus purs, arrive à dépasser les limites du naturel. Et au moins, arrive à atteindre les âmes.
Anja lâcha un petit rire, moqueur contre elle-même. C'était naïf, bête. Et pourtant elle continuait à jouer et à oublier son corps. Après tout, elle était revenue au japon pour se reposer, juste retourner chez elle et prendre soin de son corps. Et à la place, elle n'avait fait que jouer, encore et encore. Et rencontrer des êtres surnaturels, qui ne faisaient guère de sens à ses oreilles.
- Pouvez-vous crier votre douleur, par l'archet ? Offrir aux fragments de l'âme de votre aimée, une nouvelle envolée, une nouvelle danse ? A chaque son, lui faire plaisir. Et si aujourd'hui, c'est un échec. Ressayez demain. Pas pour vous. Mais pour cette âme alourdie. Et si ça ne fonctionne toujours pas. Encore. Chaque jour, chaque heure... Réessayez ?
La pianiste poussa un long soupir, pour se redresser sur l'estrade, se frottant les yeux une nouvelle fois, revenant vers l'homme avec une moue plus résolue, patiente.
Raphaël de La Roche#102490#102490#102490#102490#102490#102490#102490
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Dim 5 Jan 2020 - 11:59
La pianiste me comprenait plus que je ne l’aurais pensé en premier lieu. Et les premiers commentaires qu’elle fit après ma confession me laissèrent songeur. Pour un profane, ça n’aurait été que des paroles énigmatiques prononcées par la bouche d’une artiste. Mais j’avais bien saisi le sens caché. Je baissai les yeux sur mes mains. Avais-je déjà souhaité la rejoindre ? Peut-être. Sûrement. Il arrivait que la douleur était si insoutenable qu’on accepterait n’importe quoi pour la faire cesser -y compris expirer son dernier souffle. Pour autant… Les rares fois où je m’étais enfoncé si profondément dans mon chagrin, j’en avais tiré une grande culpabilité, une fois les idées de nouveau claires. Car je ne pouvais infliger ma propre perte à ceux qui tenaient encore à moi, sur cette terre. Je m’étais alors fait la promesse de ne jamais céder à cette tentation égoïste tant qu’il resterait quelqu’un pour m’aimer ici bas.
Mon regard capta le mouvement des doigts de Limonov-san. Ils jouaient une symphonie silencieuse, dont mon ouïe sensible distinguait pourtant le rythme. Et il était tentant d’y répondre. Je sentais ces fourmillements dans mes mains, emplies d’énergie, qui ne demandaient qu’à rejoindre leurs camarades. Pourtant, je restais immobile. Et finalement, l’humaine répondit à mes excuses par la négative. J’esquissai un sourire navré ; elle était bien gentille de me dire ça.
Là où le silence avait remplacé le chant des muses après la mort d’Emeraude, Anja Limonov s’était au contraire laissée porter par cette douce mélodie, jusqu’à s’oublier, tout pour apporter à ses disparus, dans une naïveté candide, la musique qu’ils n’entendraient plus. Dépasser les limites du naturel… Elle ne savait pas à quel point elle pouvait avoir raison. Je n’avais aucune emprise sur les sons, mais j’avais déjà connu un autre musicien parmi mes congénères qui en était capable. Et dans son con, cette métaphore prenait tout son sens.
- Aimer reviendrait à s’offrir mutuellement une part de nous-même… C’est une vision poétique qui me plait bien. Je souhaite que vous ayez raison.
Dans mon cas, c’était encore plus véridique. Car à l’agonie, mon frère jumeau avait usé de ses dernières forces pour projeter une part de sa magie en moi, par le biais de sa projection astrale. Avec le temps, sa présence s’effaçait, pourtant il me semblait encore l’entendre, parfois, me faire la morale.
Anja me tira de ma rêverie par ses conseils avisés. Crier ma douleur… Je l’avais déjà fait après la mort de Sophie et Mickaël. Pour combler ce gouffre béant qu’ils avaient laissé dans mon coeur. Mon regard glissa sur l’étui posé à côté de moi. Chaque fois que je l’avais saisi, je m’étais trouvé trop submergé par les émotions pour me sentir capable de jouer. Alors j’avais renoncé, chaque fois. Mais j’avais peut-être pris le problème à l’envers. Et si la clé n’était pas dans la maîtrise, mais dans la soumission ? S’il s’agissait uniquement d’accepter ce flot émotionnel et de s’y fondre pour atteindre le delta de l’inspiration ?
- ça a l’air si simple dit comme ça…
Je levai ma sénestre pour caresser le velours qui recouvrait l’étui. Je souhaitais qu’elle eût raison ; que je pus retrouver le fil de la musique par la simple persévérance. Le doute planait encore dans mon esprit ; mais je ne pourrais en avoir le coeur net si je n’essayais pas. Alors, je fis sauter les loquets qui maintenaient l’écrin clos et soulevai la partie supérieure, pour révéler au grand jour ce qu’il protégeait. Un authentique Stradivarius, un violon fabriqué dans l’atelier du luthier italien de ses propres mains, l’un des derniers. Mon père me l’avait offert pour mes cinq ans, peu de temps après la découverte de mon talent. Selon la tradition, il portait un nom ; le Rossignol. Je l’avais baptisé ainsi dans ma tendre enfance, car le son qu’il produisait m’évoquait le chant de l’oiseau. Pur, mélodieux, enchanteur. On qualifiait souvent le Soil comme le meilleur violon du monde ; mais pour moi, il n’y avait pas meilleur instrument que le mien. Mais je n’étais pas objectif.
J’attrapai mon violon par le manche de la main gauche, tandis que la droite saisissait l’archet. Je marquai un temps de pause, alors que les sensations habituelles s’invitaient. L’écorce d’érable sycomore vernis sous la paume gauche, qui soutenait les cordes en intestin grêle de mouton. L’archet, avec la baguette en bois de pernambouc et la mèche en crin d’étalon, que je vins caresser du pouce. Ces petits rituels me rappelaient de nombreux souvenirs, heureux pour la plupart. Après un sourire nostalgique, je positionnai l’instrument sur ma clavicule gauche et plaçai mon menton sur le coussin.
J’en arrivais donc à mon point de chute ; là où mes bras se figeaient, incapable de produire le moindre son, retenus par une force invisible. L’angoisse m’étreignait le coeur ; et j’aurais probablement renoncé, si j’avais été seul. Mais la présence de la pianiste était comme une piqûre de rappel ; il serait indigne de s’arrêter là, devant une artiste de sa trempe, pour un musicien comme moi. Je fermai donc les yeux et pris une profonde inspiration, y cherchant la force de lutter. Non. Pas de lutter… de chevaucher ce torrent d’émotion qui fusait. Et, faisant fi des tremblements qui agitaient mon bras d’archet, j’abaissai la baguette, l’index gauche positionné sur la corde sol.
Le La déchira le silence du théâtre, telle la complainte désespérée d’un oiseau aux ailes brisées, porteur de mon chagrin et de ma douleur, amplifiés par mon vibrato exceptionnel. Le chant du rossignol s’éteignit après cinq secondes, qui me parurent pourtant une éternité. Le coeur lourd et la respiration difficile, je dus reposer l’instrument sur mes cuisses, tandis que l’émotion me nouait la gorge. Je sentais les larmes naître aux coins de mes yeux, mais cette fois, je ne cherchais pas à les effacer. C’était le premier son qui sortait du violon depuis deux mois ; le seul que j’avais réussi à produire jusqu’à présent. Encouragé par cette première réussite, je décidai d’entamer le premier mouvement du concerto pour violon de Beethoven. Hélas, après quelques secondes, mes doigts ripèrent sur le premier enchaînement dynamique, écorchant sauvagement l’oeuvre du défunt. Je suspendis alors mon geste, les yeux clos. C’était une douche froide sur l’espoir renaissant dans mon coeur endolori.
- Je suis désolé, c’est une médiocre performance, qui ne vaut guère plus que celle d’un enfant en début d’apprentissage…
Et je pesais mes mots ; tout petit, il ne m’avait fallu que quelques semaines pour apprivoiser cet instrument, pourtant réputé comme des plus capricieux. J’avais bien connu quelques difficultés sur certains opus particulièrement complexes, mais jamais une telle déconvenue. Enfin… je ne devais pas être si pessimiste ; au moins, la muse ne m’avait pas quitté. Elle était encore là, tapis quelque part dans l’ombre du deuil, enchaînée par la souffrance. Elle ne demandait qu’à être libérée ; et seul moi en étais capable.
Mon regard capta le mouvement des doigts de Limonov-san. Ils jouaient une symphonie silencieuse, dont mon ouïe sensible distinguait pourtant le rythme. Et il était tentant d’y répondre. Je sentais ces fourmillements dans mes mains, emplies d’énergie, qui ne demandaient qu’à rejoindre leurs camarades. Pourtant, je restais immobile. Et finalement, l’humaine répondit à mes excuses par la négative. J’esquissai un sourire navré ; elle était bien gentille de me dire ça.
Là où le silence avait remplacé le chant des muses après la mort d’Emeraude, Anja Limonov s’était au contraire laissée porter par cette douce mélodie, jusqu’à s’oublier, tout pour apporter à ses disparus, dans une naïveté candide, la musique qu’ils n’entendraient plus. Dépasser les limites du naturel… Elle ne savait pas à quel point elle pouvait avoir raison. Je n’avais aucune emprise sur les sons, mais j’avais déjà connu un autre musicien parmi mes congénères qui en était capable. Et dans son con, cette métaphore prenait tout son sens.
- Aimer reviendrait à s’offrir mutuellement une part de nous-même… C’est une vision poétique qui me plait bien. Je souhaite que vous ayez raison.
Dans mon cas, c’était encore plus véridique. Car à l’agonie, mon frère jumeau avait usé de ses dernières forces pour projeter une part de sa magie en moi, par le biais de sa projection astrale. Avec le temps, sa présence s’effaçait, pourtant il me semblait encore l’entendre, parfois, me faire la morale.
Anja me tira de ma rêverie par ses conseils avisés. Crier ma douleur… Je l’avais déjà fait après la mort de Sophie et Mickaël. Pour combler ce gouffre béant qu’ils avaient laissé dans mon coeur. Mon regard glissa sur l’étui posé à côté de moi. Chaque fois que je l’avais saisi, je m’étais trouvé trop submergé par les émotions pour me sentir capable de jouer. Alors j’avais renoncé, chaque fois. Mais j’avais peut-être pris le problème à l’envers. Et si la clé n’était pas dans la maîtrise, mais dans la soumission ? S’il s’agissait uniquement d’accepter ce flot émotionnel et de s’y fondre pour atteindre le delta de l’inspiration ?
- ça a l’air si simple dit comme ça…
Je levai ma sénestre pour caresser le velours qui recouvrait l’étui. Je souhaitais qu’elle eût raison ; que je pus retrouver le fil de la musique par la simple persévérance. Le doute planait encore dans mon esprit ; mais je ne pourrais en avoir le coeur net si je n’essayais pas. Alors, je fis sauter les loquets qui maintenaient l’écrin clos et soulevai la partie supérieure, pour révéler au grand jour ce qu’il protégeait. Un authentique Stradivarius, un violon fabriqué dans l’atelier du luthier italien de ses propres mains, l’un des derniers. Mon père me l’avait offert pour mes cinq ans, peu de temps après la découverte de mon talent. Selon la tradition, il portait un nom ; le Rossignol. Je l’avais baptisé ainsi dans ma tendre enfance, car le son qu’il produisait m’évoquait le chant de l’oiseau. Pur, mélodieux, enchanteur. On qualifiait souvent le Soil comme le meilleur violon du monde ; mais pour moi, il n’y avait pas meilleur instrument que le mien. Mais je n’étais pas objectif.
J’attrapai mon violon par le manche de la main gauche, tandis que la droite saisissait l’archet. Je marquai un temps de pause, alors que les sensations habituelles s’invitaient. L’écorce d’érable sycomore vernis sous la paume gauche, qui soutenait les cordes en intestin grêle de mouton. L’archet, avec la baguette en bois de pernambouc et la mèche en crin d’étalon, que je vins caresser du pouce. Ces petits rituels me rappelaient de nombreux souvenirs, heureux pour la plupart. Après un sourire nostalgique, je positionnai l’instrument sur ma clavicule gauche et plaçai mon menton sur le coussin.
J’en arrivais donc à mon point de chute ; là où mes bras se figeaient, incapable de produire le moindre son, retenus par une force invisible. L’angoisse m’étreignait le coeur ; et j’aurais probablement renoncé, si j’avais été seul. Mais la présence de la pianiste était comme une piqûre de rappel ; il serait indigne de s’arrêter là, devant une artiste de sa trempe, pour un musicien comme moi. Je fermai donc les yeux et pris une profonde inspiration, y cherchant la force de lutter. Non. Pas de lutter… de chevaucher ce torrent d’émotion qui fusait. Et, faisant fi des tremblements qui agitaient mon bras d’archet, j’abaissai la baguette, l’index gauche positionné sur la corde sol.
Le La déchira le silence du théâtre, telle la complainte désespérée d’un oiseau aux ailes brisées, porteur de mon chagrin et de ma douleur, amplifiés par mon vibrato exceptionnel. Le chant du rossignol s’éteignit après cinq secondes, qui me parurent pourtant une éternité. Le coeur lourd et la respiration difficile, je dus reposer l’instrument sur mes cuisses, tandis que l’émotion me nouait la gorge. Je sentais les larmes naître aux coins de mes yeux, mais cette fois, je ne cherchais pas à les effacer. C’était le premier son qui sortait du violon depuis deux mois ; le seul que j’avais réussi à produire jusqu’à présent. Encouragé par cette première réussite, je décidai d’entamer le premier mouvement du concerto pour violon de Beethoven. Hélas, après quelques secondes, mes doigts ripèrent sur le premier enchaînement dynamique, écorchant sauvagement l’oeuvre du défunt. Je suspendis alors mon geste, les yeux clos. C’était une douche froide sur l’espoir renaissant dans mon coeur endolori.
- Je suis désolé, c’est une médiocre performance, qui ne vaut guère plus que celle d’un enfant en début d’apprentissage…
Et je pesais mes mots ; tout petit, il ne m’avait fallu que quelques semaines pour apprivoiser cet instrument, pourtant réputé comme des plus capricieux. J’avais bien connu quelques difficultés sur certains opus particulièrement complexes, mais jamais une telle déconvenue. Enfin… je ne devais pas être si pessimiste ; au moins, la muse ne m’avait pas quitté. Elle était encore là, tapis quelque part dans l’ombre du deuil, enchaînée par la souffrance. Elle ne demandait qu’à être libérée ; et seul moi en étais capable.
Invité
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Dim 5 Jan 2020 - 13:28
Il était parfois dangereux de n'exister que par la musique. Sans une rencontre d'il y a quelques années, une certaine Russe, peut-être Anja serait-elle passée de vie à trépas depuis ce temps. Il fut un temps où elle s'était tant perdue dans la musique, que rien d'autres ne comptaient. Oh, les gens avaient mis en avant son talent, sa virtuosité. Une prodige, disait-on, sans voir que derrière tout cela, Anja n'existait même plus pour elle-même. C'était une sorte de syndrome du sauveur, mais version musique. Et si elle s'en était extraite, d'au moins un pas, elle n'était certainement pas sortie d'affaire. C'était, après tout, la première raison de son retour au Japon. Et même là, discutant musique, chagrins, morts et muses, ses doigts ne pouvaient s'empêcher de pianoter sur ses jambes...
Elle sourit avec douceur devant l’amabilité de son compagnon de scène, de ne pas juste rejeter sa naïve vision, voire même de l'apprécier. Ce n'était pas souvent qu'elle abordait ce genre de pensées, encore plus avec un inconnu, ramené de force pour un test acoustique. Elle pouffa de rire de cette douce ironie. Définitivement, le destin de la musique jouait des tours parfois facétieux à ceux qui entraient dans son éternelle danse.
- Il m'arrive de croire, parfois, que tout ce que je vis a une étrange vision poétique. Le sort offre de surprenantes rencontres.
C'était un souffle, gardant le même ton, avant qu'elle n'enchaîna sur sa dernière demande. Peut-être était-ce une sorte de conseil, mais elle ne pouvait se permettre de le formuler ainsi. Le Violoniste avait quelque chose de noble, sans vraiment arriver à mettre le doigt sur le bon mot, c'était le seul qui était resté pour désigner cet homme. Ainsi, elle ne pouvait vraiment se permettre de formuler de telles paroles. Mais à sa sincère surprise La Roche-san sa main pour le déposer sur l'étui de son violon.
Anja retint presque sa respiration, pour laisser ce moment s'écouler, lorsqu'elle entendit sauter les loquets. Même ses doigts avaient cessé de tapoter ses cuisses pour laisser au violoniste ce moment entier. Et bien qu'elle ne pouvait voir, l'odeur de l'âge lui était perceptible. La musicienne sourit sans un mot, heureuse. Un instrument entretenu en disait aussi beaucoup sur l'amour que lui portait son propriétaire. Surtout quand il traversait une telle période. Alors, elle lui en était simplement reconnaissante.
Il était en position, elle en entendait les frottements habituels. Puis après un moment qui lui sembla éternité, il y eu finalement une note. Un La qui lui tira un couinement de joie. Ce n'était qu'un premier son. Mais quel son. Et quel violon. Et quelle âme. Sans les effacer, elle non plus, quelques larmes de félicité et de compassion coulèrent le long de ses joues pâles. Au silence qui suivit, elle ne dit mot. Ramenant juste ses genoux contre elle, les talons contre le bord de l'estrade, Anja entoura juste ses jambes de ses bras, reposant son menton sur ses genoux.
Et le son reprit, bien trop court à son goût. Pourquoi s'arrêter à une erreur ?! Se retournant vers l'homme, Anja se redressa avec une moue désapprobatrice. Au diable la noblesse de l'homme.
- Roche-san. Si ceci est une médiocre performance. Alors vous êtes stupide, grogna-t-elle en se dirigeant vers la piano qui trônait derrière. Il n'y avait là que beauté, et croyez-moi. Imaginez que durant une symphonie, à la moindre faute, une musicien s'arrête de jouer ? Rien n'aurait plus de sens. Les fautes rendent la chose unique, si vous préférez. Vous ne dénaturez rien, par le travail. Vous ne faites qu'avancer.
Elle tâtonna un peu jusqu'à trouver le siège devant le piano pour s'y asseoir.
- Mais si vous pensez ne guère valoir plus qu'un enfant en début d'apprentissage. Cela me sied très bien.
Plaquant les premiers accords du Liebeslied de Kriesler, elle gardait la tête tournée vers l'homme, ou ce qu'elle pensait être sa position.
- Acceptez alors, cette tâche, Ô Enfant à la muse doucement retrouvée. La musique ne se soumet pas aussi facilement que vous semblez le penser. Et son jeu s'entretient, quoi que l'on en pense. Travaillez cette pièce. Travaillez en d'autres. Premier mouvement de la sonate pour violon de Beethoven, vu que vous semblez l'apprécier ? Je vous accompagnerai. Et si durant un morceau, vos doigts ne suivent pas, je serai là, au piano pour rattraper. Je serai là pour relever ces doigts qui ont oublié leur chemin. Car vous avez fait un premier et si beau pas Roche-k...san. Vous avez joué.
Elle souffla du nez, de façon plus assurée qu'elle ne l'était. Mais pour quelqu'un qui travaillait tant et plus, voir appeler sa dernière performance de "médiocre", n'était pas pour lui plaire.
- Vous avez joué, que diable ! grogna la jeune femme, pensant à haute voix, et d'une voix qui tremblait presque de fierté et de joie.
Elle sourit avec douceur devant l’amabilité de son compagnon de scène, de ne pas juste rejeter sa naïve vision, voire même de l'apprécier. Ce n'était pas souvent qu'elle abordait ce genre de pensées, encore plus avec un inconnu, ramené de force pour un test acoustique. Elle pouffa de rire de cette douce ironie. Définitivement, le destin de la musique jouait des tours parfois facétieux à ceux qui entraient dans son éternelle danse.
- Il m'arrive de croire, parfois, que tout ce que je vis a une étrange vision poétique. Le sort offre de surprenantes rencontres.
C'était un souffle, gardant le même ton, avant qu'elle n'enchaîna sur sa dernière demande. Peut-être était-ce une sorte de conseil, mais elle ne pouvait se permettre de le formuler ainsi. Le Violoniste avait quelque chose de noble, sans vraiment arriver à mettre le doigt sur le bon mot, c'était le seul qui était resté pour désigner cet homme. Ainsi, elle ne pouvait vraiment se permettre de formuler de telles paroles. Mais à sa sincère surprise La Roche-san sa main pour le déposer sur l'étui de son violon.
Anja retint presque sa respiration, pour laisser ce moment s'écouler, lorsqu'elle entendit sauter les loquets. Même ses doigts avaient cessé de tapoter ses cuisses pour laisser au violoniste ce moment entier. Et bien qu'elle ne pouvait voir, l'odeur de l'âge lui était perceptible. La musicienne sourit sans un mot, heureuse. Un instrument entretenu en disait aussi beaucoup sur l'amour que lui portait son propriétaire. Surtout quand il traversait une telle période. Alors, elle lui en était simplement reconnaissante.
Il était en position, elle en entendait les frottements habituels. Puis après un moment qui lui sembla éternité, il y eu finalement une note. Un La qui lui tira un couinement de joie. Ce n'était qu'un premier son. Mais quel son. Et quel violon. Et quelle âme. Sans les effacer, elle non plus, quelques larmes de félicité et de compassion coulèrent le long de ses joues pâles. Au silence qui suivit, elle ne dit mot. Ramenant juste ses genoux contre elle, les talons contre le bord de l'estrade, Anja entoura juste ses jambes de ses bras, reposant son menton sur ses genoux.
Et le son reprit, bien trop court à son goût. Pourquoi s'arrêter à une erreur ?! Se retournant vers l'homme, Anja se redressa avec une moue désapprobatrice. Au diable la noblesse de l'homme.
- Roche-san. Si ceci est une médiocre performance. Alors vous êtes stupide, grogna-t-elle en se dirigeant vers la piano qui trônait derrière. Il n'y avait là que beauté, et croyez-moi. Imaginez que durant une symphonie, à la moindre faute, une musicien s'arrête de jouer ? Rien n'aurait plus de sens. Les fautes rendent la chose unique, si vous préférez. Vous ne dénaturez rien, par le travail. Vous ne faites qu'avancer.
Elle tâtonna un peu jusqu'à trouver le siège devant le piano pour s'y asseoir.
- Mais si vous pensez ne guère valoir plus qu'un enfant en début d'apprentissage. Cela me sied très bien.
Plaquant les premiers accords du Liebeslied de Kriesler, elle gardait la tête tournée vers l'homme, ou ce qu'elle pensait être sa position.
- Acceptez alors, cette tâche, Ô Enfant à la muse doucement retrouvée. La musique ne se soumet pas aussi facilement que vous semblez le penser. Et son jeu s'entretient, quoi que l'on en pense. Travaillez cette pièce. Travaillez en d'autres. Premier mouvement de la sonate pour violon de Beethoven, vu que vous semblez l'apprécier ? Je vous accompagnerai. Et si durant un morceau, vos doigts ne suivent pas, je serai là, au piano pour rattraper. Je serai là pour relever ces doigts qui ont oublié leur chemin. Car vous avez fait un premier et si beau pas Roche-k...san. Vous avez joué.
Elle souffla du nez, de façon plus assurée qu'elle ne l'était. Mais pour quelqu'un qui travaillait tant et plus, voir appeler sa dernière performance de "médiocre", n'était pas pour lui plaire.
- Vous avez joué, que diable ! grogna la jeune femme, pensant à haute voix, et d'une voix qui tremblait presque de fierté et de joie.
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Dim 5 Jan 2020 - 18:45
Du coin de l’oeil, j’avais vu Limonov-san se recroqueviller contre l’estrade, visiblement touchée par l’unique note qui s’était propagée en écho dans la salle, soulignant la performance de son acoustique. Si une seule note pouvait provoquer un tel effet… alors je n’avais peut-être rien perdu ? Malheureusement, je déchantai par la suite, lorsque mon instrument protesta férocement par un cri qui me vrilla les tympans. J’avais espéré que ma conversation avec Anja, et ses conseils avisés, auraient suffi à retrouver le fil artistique. Mais il n’en était rien ; voilà que mes doigts avaient fourché à un endroit où je ne m’étais encore jamais trompé.
La réaction radicale de la pianiste me prit de cours. Je lui jetai un regard interloqué, stupéfait. Venait-elle vraiment de me traiter de stupide ? Guère habitué à ce genre d’emportement, je ne sus que répondre. D’ordinaire, les gens se contentaient de me faire remarquer mes torts avec diplomatie, craignant sans doute, pour mes paires, d’outrepasser leurs droits, moi qui venait de la fine fleur de l’aristocratie. Et mes professeurs, dans ma jeunesse, s’étaient toujours conduits avec beaucoup de déférence. En fait, il n’y avait que Jess capable de me remonter les bretelles de cette façon. Je retins un rire nerveux, qu’Anja aurait pu mal interpréter.
Elle me faisait la leçon ; elle avait pris ma remarque au pied de la lettre. Ou bien insistait-elle avec dessein pour me faire réagir ? Seito se serait certainement étranglé en l’entendant me parler sur ce ton. Mais je n’étais pas offusqué. En fait… C’était probablement le meilleur moyen de me secouer les puces.
- Vous avez joué, que diable !
Interdit, je la fixai en clignant des yeux. Son élan passionné fit place à un silence religieux pendant plusieurs secondes. Je me retrouvais bien bête, la bouche entrouverte, incapable de rétorquer. Si je m’attendais à ça… Moi, me faire enguirlander ainsi, avant de recevoir une leçon de musique. Elle avait même buté sur mon nom, juste avant ; il s’en était fallu de peu pour qu’elle me traitât vraiment comme un enfant japonais. Le ridicule de la situation eut finalement raison de moi et je partis dans un éclat de rire.
- Oui, vous avez raison… répondis-je lorsque je fus un peu calmé. Excusez-moi, je n’ai pas l’habitude de ce genre de remontrances, mais j’avoue que ça rafraîchit les idées. Même mes professeurs n’ont jamais osé…
Hum, ma langue dérapait. Ce genre de détails sur ma vie risquait d’attirer un peu trop l’attention. Je fis passer mon archet dans la même main qui tenait déjà l’instrument, avant de me relever en me massant les côtes, endolories par ce fou rire passager.
- Vous me trouvez trop dur avec moi-même… Mais, n’est-ce pas le propre des musiciens ? S’il n’y avait pas cette rigueur et ce perfectionnisme, pourrions-nous vraiment nous hisser au sommet ?
Je souris, même si elle ne pouvait pas le voir. Les artistes étaient toujours très critiques sur leur travail, et je n’échappais pas à la règle. Peut-être Limonov-san se montrait plus tolérante sur ses propres compétences. Mais je m’étais toujours fixé des objectifs très hauts. C’était pour ça que j’avais ressenti une telle déception, proche du découragement, lorsque les cordes avaient crissé.
- Mais d’accord. Je vais tâcher d’y aller pas à pas et suivre vos consignes, Limonov-sensei.
J’insistai volontairement sur le suffixe, m’amusant de ma propre déconvenue. Elle avait bien failli m’appeler “Roche-kun”, un attribut réservé en général pour les enfants, lorsqu’on ne connaissait pas son interlocuteur. Mon expression se para d’un soupçon d’espièglerie, avant de retrouver un semblant de sérieux.
- Trêve de plaisanterie… Limonov-san. Vous m’avez aidé à surmonter ce cap. Par votre écoute et votre sagesse, vous m’avez donné ce déclic qui me manquait. Le ton de ma voix se rapprocha de l’amusement. Et vous savez remettre les idées en place quand la situation l’exige… Alors, même s’il me reste encore beaucoup de chemin à parcourir... merci.
Je m’inclinai pour appuyer ma reconnaissance. Encore une fois, sa cécité la privait de cette démonstration, cependant je savais les aveugles particulièrement clairvoyants. J’imaginais donc aisément qu’elle aurait perçu le froissement caractéristique du tissu. Et après ? J’avais reçu une bonne leçon ; j’avais de quoi repartir et remplir mes journées. Il ne faisait aucun doute à ce qu’elle comptait bien suivre ma progression. Pourtant, je n’avais pas envie de m’arrêter là. Comme si, alors que j’avais enfin effleuré du bout du doigt la muse qui me fuyait depuis deux mois, je craignais qu’elle ne repartît se terrer encore plus profondément. Je repris donc mon archet dans la main droite et positionnai l’instrument sur ma clavicule.
- Donc vous m’accompagnerez ? Je vous prends au mot.
Si effectivement elle comptait suivre chaque étape de ma résurrection, en ce cas, je l’attendrais au tournant. L’archet caressa doucement les cordes pour quelques notes de Beethoven, avant de s’arrêter pour chercher son piano. Je lui jetai un oeil ; sa cécité perturbait mes habitudes. D’ordinaire, je cherchais un contact visuel avec mes partenaires, bref, mais intense, pour entamer certaines mesures. Mais je trouverais bien autre chose pour établir une connexion avec la pianiste. Ce n’était qu’un obstacle parmi tant d’autres, et je comptais bien tous les surmonter.
La réaction radicale de la pianiste me prit de cours. Je lui jetai un regard interloqué, stupéfait. Venait-elle vraiment de me traiter de stupide ? Guère habitué à ce genre d’emportement, je ne sus que répondre. D’ordinaire, les gens se contentaient de me faire remarquer mes torts avec diplomatie, craignant sans doute, pour mes paires, d’outrepasser leurs droits, moi qui venait de la fine fleur de l’aristocratie. Et mes professeurs, dans ma jeunesse, s’étaient toujours conduits avec beaucoup de déférence. En fait, il n’y avait que Jess capable de me remonter les bretelles de cette façon. Je retins un rire nerveux, qu’Anja aurait pu mal interpréter.
Elle me faisait la leçon ; elle avait pris ma remarque au pied de la lettre. Ou bien insistait-elle avec dessein pour me faire réagir ? Seito se serait certainement étranglé en l’entendant me parler sur ce ton. Mais je n’étais pas offusqué. En fait… C’était probablement le meilleur moyen de me secouer les puces.
- Vous avez joué, que diable !
Interdit, je la fixai en clignant des yeux. Son élan passionné fit place à un silence religieux pendant plusieurs secondes. Je me retrouvais bien bête, la bouche entrouverte, incapable de rétorquer. Si je m’attendais à ça… Moi, me faire enguirlander ainsi, avant de recevoir une leçon de musique. Elle avait même buté sur mon nom, juste avant ; il s’en était fallu de peu pour qu’elle me traitât vraiment comme un enfant japonais. Le ridicule de la situation eut finalement raison de moi et je partis dans un éclat de rire.
- Oui, vous avez raison… répondis-je lorsque je fus un peu calmé. Excusez-moi, je n’ai pas l’habitude de ce genre de remontrances, mais j’avoue que ça rafraîchit les idées. Même mes professeurs n’ont jamais osé…
Hum, ma langue dérapait. Ce genre de détails sur ma vie risquait d’attirer un peu trop l’attention. Je fis passer mon archet dans la même main qui tenait déjà l’instrument, avant de me relever en me massant les côtes, endolories par ce fou rire passager.
- Vous me trouvez trop dur avec moi-même… Mais, n’est-ce pas le propre des musiciens ? S’il n’y avait pas cette rigueur et ce perfectionnisme, pourrions-nous vraiment nous hisser au sommet ?
Je souris, même si elle ne pouvait pas le voir. Les artistes étaient toujours très critiques sur leur travail, et je n’échappais pas à la règle. Peut-être Limonov-san se montrait plus tolérante sur ses propres compétences. Mais je m’étais toujours fixé des objectifs très hauts. C’était pour ça que j’avais ressenti une telle déception, proche du découragement, lorsque les cordes avaient crissé.
- Mais d’accord. Je vais tâcher d’y aller pas à pas et suivre vos consignes, Limonov-sensei.
J’insistai volontairement sur le suffixe, m’amusant de ma propre déconvenue. Elle avait bien failli m’appeler “Roche-kun”, un attribut réservé en général pour les enfants, lorsqu’on ne connaissait pas son interlocuteur. Mon expression se para d’un soupçon d’espièglerie, avant de retrouver un semblant de sérieux.
- Trêve de plaisanterie… Limonov-san. Vous m’avez aidé à surmonter ce cap. Par votre écoute et votre sagesse, vous m’avez donné ce déclic qui me manquait. Le ton de ma voix se rapprocha de l’amusement. Et vous savez remettre les idées en place quand la situation l’exige… Alors, même s’il me reste encore beaucoup de chemin à parcourir... merci.
Je m’inclinai pour appuyer ma reconnaissance. Encore une fois, sa cécité la privait de cette démonstration, cependant je savais les aveugles particulièrement clairvoyants. J’imaginais donc aisément qu’elle aurait perçu le froissement caractéristique du tissu. Et après ? J’avais reçu une bonne leçon ; j’avais de quoi repartir et remplir mes journées. Il ne faisait aucun doute à ce qu’elle comptait bien suivre ma progression. Pourtant, je n’avais pas envie de m’arrêter là. Comme si, alors que j’avais enfin effleuré du bout du doigt la muse qui me fuyait depuis deux mois, je craignais qu’elle ne repartît se terrer encore plus profondément. Je repris donc mon archet dans la main droite et positionnai l’instrument sur ma clavicule.
- Donc vous m’accompagnerez ? Je vous prends au mot.
Si effectivement elle comptait suivre chaque étape de ma résurrection, en ce cas, je l’attendrais au tournant. L’archet caressa doucement les cordes pour quelques notes de Beethoven, avant de s’arrêter pour chercher son piano. Je lui jetai un oeil ; sa cécité perturbait mes habitudes. D’ordinaire, je cherchais un contact visuel avec mes partenaires, bref, mais intense, pour entamer certaines mesures. Mais je trouverais bien autre chose pour établir une connexion avec la pianiste. Ce n’était qu’un obstacle parmi tant d’autres, et je comptais bien tous les surmonter.
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