Enquêter ? Ok ! Allons au bar ! (18/10/2017)

La demoiselle était tendue et à l’affût d’un de nos moindre faux-pas. Il ne fallait pas être bien intelligent pour le comprendre. Cependant, elle était attentive. Ce qui n’était déjà pas plus mal, on pouvait donc s’expliquer calmement sans faire d’histoire. J’étais particulièrement content de moi intérieurement. J’avoue que devoir me battre, bien que je sache le faire, ne m’enchantait nullement. J’étais plus un adepte de la négociation, de la discussion, de la médiation… et de l’observation ! D’ailleurs, j’observais attentivement la jeune femme et ses mimiques. Il était clair qu’elle aimait être en position de force, Elle croisait ses bras, nous regardait de haut. Pas comme un aristocrate regarderai un insecte, mais comme une personne qui voulait montrer qu’elle menait la danse. C’était l’impression qu’elle me donnait… Non, qu’elle voulait dégager. Je fronçais un instant mes sourcils, par soucis d’incertitude.

« Bien ! Si tu veux tout savoir… »

A peine avais-je commencé ma phrase que je fus interrompu silencieusement par Elena qui avait maintenant les yeux fermés et le doigt levé. Je penchais ma tête en la regardant. Quelque chose l’avait fait tiquer et elle utilisait maintenant son sort de mémoire totale. Qu’avait-elle bien pu remarquer qui m’avait échappé ? Intrigué au plus haut point, j’attendais qu’Elena sorte de sa transe pour connaitre la réponse. Quand cette dernière rouvrit les yeux, elle était excitée au plus haut point. Elle s’approcha de moi tout en sautillant sur place et me murmura à l’oreille une information qui changeait intégralement la situation. Je ne pus m’empêcher de sourire. Mia Luna Ogawa. Les pièces de mon puzzle mental se regroupèrent et s’assemblèrent d’eux-mêmes : J’étais en face d’un lycan qui avait parlait de proie, car elle nous avait entendu en parler, et de loup, car elle en était une elle-même. Je me mis à parler d’une voix extrêmement basse aussi. Non pas pour que Mia m’entende, elle avait l’ouïe fine de te toute façon.

« Ce qu’on fait ? On arrête de chercher le prince charmant ! Nous sommes maintenant en mission ! »

Je savais que cette phrase allait exciter Elena encore qu’elle ne l’était – Etait-ce réellement possible ? – tandis que je me retournais vers Mia avec un grand sourire. Je m’adressais à elle, toujours à voix basse.

« Bien, la situation vient de changer et je n’ai pas particulièrement envie d’être entendu par la première oreille qui traine. Cependant, je sais que tu m’entends Mia. Nous allons rester bien calmes et nous allons discuter. »

Mon sourire était franc et sincère. Je guettais la moindre réaction de sa part. Il fallait jouer finement pour pas la froisser. On n’était pas tomber sur le meilleur alpha. Cependant, on avait là, Elena et moi, une chance inespérée. Il fallait la saisir tout en faisant le moins de dégâts possible.

« Au passage, je m’appelle Thomas. »

Mia était à deux doigts de la crise de nerfs. Et il valait mieux pour tout le monde qu’elle ne pète pas un câble. La jeune femme lui tapait sur le système, ce qui n’arrangeait en rien son humeur actuelle, et en plus elle ne semblait pas le moins du monde inquiétée par la mine ombrageuse de la lycane et son attitude à la fois méfiante et menaçante. Pire, elle paraissait apprécier… Suite à une remarque de l’espagnole, la semeuse de troubles eut une étrange réaction. Elle murmura quelques mots à la signification obscure pour notre lycane, puis ferma les yeux, visiblement en train de se concentrer. Mia plissa les yeux jusqu’à ce qu’ils ne fussent plus que deux petites fentes. Son attitude était très suspecte ; son camarade s’était d’ailleurs interrompu dans sa lancée, alors qu’il s’apprêtait probablement à satisfaire les exigences de Mia. Qu’est-ce qu’elle mijotait ? Mia ne la quitta pas des yeux tout le temps que l’autre les garda fermés. Et quand elle les rouvrit, Mia y distingua une nouvelle étincelle. Elle n’avait aucune idée de ce que ce petit manège signifiait, mais une chose était sûre : elle n’aimait pas ça du tout. Et elle avait de quoi.

L’inconnue fit signe à son pote de s’approcher pour lui chuchoter à l’oreille. Manque de pot, Mia entendit très bien tout ce qu’elle lui murmura. Mia tiqua. Le verre qu’elle tenait dans sa main se brisa aussi sec dans sa poigne. Quelques morceaux lui entaillèrent la peau et du sang perla par les éraflures. Ce fut probablement ce qui sauva la fille d’un étranglement. Soucieuse de ne pas attirer l’attention, Mia sortit un mouchoir et l’enroula autour de sa main pour cacher les plaies qui se refermaient. Son regard meurtrier toisa les deux compères. D’où ils tenaient de telles informations ?! De quelle mission parlait ce joli-cœur tout droit sorti du monde des bisounours ?! Soudain le ton du jeune homme changea. Il s’adressait à elle en souriant, alors même qu’il chuchotait. Mia retint un grognement bestial. Il avait donc deviné qu’elle n’était pas aussi humaine qu’elle y paraissait. Qu’elle avait l’ouïe beaucoup trop fine. Cependant elle était d’accord sur un point ; elle ne voulait pas être entendue par n’importe qui. Elle fixa le dénommé Thomas avec dédain.

« Pas b’soin de m’présenter, vu que vous savez déjà mon nom. »

Elle n’allait certainement pas laisser pas ça. Ils en savaient beaucoup trop ; c’était dangereux pour elle et pour les autres lycans, même si elle ne s’entendait pas avec tous. Sa race était jeune et en population restreinte ; sa race avait beaucoup souffert, alors, peut-être était-ce à cause de son récent statut d’Alpha, mais elle se sentait presque responsable de sa survie. La mine peu engageante elle se tourna vers le barman, plongea une main dans sa poche et déposa des yens sur le comptoir.

« Pour les boissons. »

Puis elle attrapa fermement les deux compères par les poignets, sans aucun regard pour eux ni pour ceux qui osaient les observer.

« Mes potes et moi on va discuter dehors. »

Elle les traîna de force à l’extérieur, se fichant royalement de savoir si elle leur faisait mal. Elle n’avait jamais fait d’efforts pour contrôler sa force, de toute manière. Une fois à l’air libre, elle les trimbala dans la ruelle déserte la plus proche. Elle les jeta presque devant elle, nullement soucieuse de les maintenir en un seul morceau. Elle était trop furieuse pour ça. Ils ne savaient pas à quel point leurs vies ne tenaient qu’à un fil. Un seul faux pas à présent, et elle les leur prendrait. A l’abri d’oreilles et d’yeux indiscrètes, elle ne se retiendrait pas , cette fois-ci. Ses yeux, à présent bleus –signe qu’elle était d’une part hors d’elle et d’autre part aux frontières de la transformation – se posèrent durement sur les deux lascars.

« Bon, maint’nant qu’on est tranquille, vous allez répondre à mes questions. D’où vous tenez ces informations sur moi ? »

Les poings serrés, elle marchait en allers-retours devant eux, sans jamais les quitter des yeux. Si elle les tuait d’abord, elle n’aurait pas de réponse, or peut-être qu’ils n’étaient pas les seuls à connaître l’existence des lycans –même si maintenant ça devenait difficile de les ignorer, avec cette stupide vidéo en ligne. Donc elle se retenait, mais uniquement pour ça. Ses griffes la démangeaient ; elles voulaient tellement sortir pour les écorcher vifs…

« Vous connaissez quoi des alphas au juste ? Qui vous a renseigné sur nous ? »

Une centaine de questions inondaient son cerveau ; elle faisait le tri avec difficulté. Son instinct bestial lui hurlait de se jeter sur eux, tandis que sa raison la retenait pour tirer au clair cette affaire. Elle ne pourrait pas rester très longtemps sur cette corde raide.

« Et surtout, vous êtes qui au juste ? »

Oui, après tout ils connaissaient son nom, et même si le gaillard lui avait donné son prénom, elle avait le désavantage de l’ignorance. Ils étaient humains, du moins selon son odorat. ça lui paraissait incroyable que des humains eussent survécus avec de telles informations entre les mains. Et puis il y avait quelque chose dans leurs regards qui la dérangeait. Comme s’ils avaient plus d’expérience que leurs apparences le laissaient croire.

J’avais envisager très sérieusement que Mia s’énerve. J’avais même envisagé qu’elle nous force à sortir, si bien que ce n’était pas un grand étonnement quand elle nous prit par le poignet pour nous faire dégager jusqu’à une petite ruelle où personne ne s’aventurait jamais semble-t-il, même pas les chats. Alors que Mia me lâchait violement, je me rattrapais sur mes pieds tant bien que mal me massant vigoureusement le poignet. J’avais lu dans les rapports que les lycans avaient une force hors du commun, c’était autre chose de la subir. En même temps, je regardais Mia qui était à la limite de se transformer. Prêt à me protéger, je l’écouter poser toutes ses questions. Au moment où j’avais répondre, le naturel d’Elena l’emporta à mon grand regret. Ça aussi, je l’avais envisagé. J’étais sûr et certain qu’elle allait parler trop vite. Et forcément, ça n’a pas raté. La grande Règle du Secret venait d’être brisée. Celle ne mentionner à aucune autre race notre existence ou de montrer nos pouvoirs. Si cette information parvenait au reste de l’Enclave, je n’osais même pas imaginer les conséquences.

Je regardai attentivement Mia et je soupirai, le mal était fait, autant continuer. Après tout, quand la potion est tirée, il faut la boire, non ? Je posais deux doigt, index et majeur, sur mon poignet maintenant violacé suite à la pression qu’avait exercé dessus le lycan tout en le mettant bien en évidence.

« Soin. »

Je me concentrai fortement et la douleur se calma. Mon poignet était maintenant en parfait état et je m’empressais de bien le montrer à Mia. Je me concentrai ensuite pour commencer à faire léviter un peu d’eau d’une flaque tout proche.

« Hydrokinésie… Et Gel. »

L’eau qui flottait gela instantanément. Je me concentrai maintenant un peu plus avant faire évaporer toute l’eau de la balle gelée. Cela ne prit que quelque seconde avant que ce ne soit le cas. Je regardais maintenant attentivement Mia, mais je ne souriais plus maintenant.

« Pour ce qui est des preuves, ça devrait suffire. Nous sommes chargés de mener l’enquête concernant le virus qui rend fous les lycans. Nous cherchons à savoir qui l’a créé et pourquoi. Nous sommes aussi à la recherche d’un remède et d’un vaccin contre ce virus. Bien sûr nous étions censés le faire discrètement, sans révéler notre nature ou nos intentions… On peut dire que c’est raté, pour le coup… »

Je jetais un regard à Elena avant de soupirer une nouvelle fois. Il fallait maintenant que je réfléchisse en plus à moyen de faire oublier à Mia ce qu’elle venait d’entendre. J’vais peut-être une potion qui ferait l’affaire sur moi. Mais commencer à fouiller dans mes poches serait suspect. Je me contentais de croiser les bras et de regarder la louve.

« Mia Luna Ogawa, acceptez-vous de nous aider dans cette enquête et de répondre à nos questions ? »

La femme qui accompagnait le dénommé Thomas ne semblait pas avoir apprécié le traitement que venait de leur infliger Mia ; elle venait de croiser les bras et détourner la tête, sans doute pour faire semblant d’ignorer Mia, sauf que ça ne lui fit ni chaud ni froid. Enfin si. Elle était satisfaite de l’avoir énervée. Depuis tout à l’heure elle lui tapait sur le système, alors c’était œil pour œil, dent pour dent. Une fois que Mia eut fini de poser ses questions, l’inconnue tapa du pied avant de répliquer une longue tirade qui laissa Mia pantoise. Les yeux plissés, elle toisa la femme du regard.

« Vous casser le cul pour les lycans ? D’où vous êtes au courant pour le virus ? D’où vous tenez ces informations ? »

Et elle n’en avait pas fini avec les questions. Elle avait dit sorciers. Elle se foutait de sa gueule, concrètement ? Les sorciers c’était une légende européenne, ils n’avaient jamais existés. Elle en aurait forcément entendu parler. Certes les lycans et les vampires, légendes urbaines, existaient, les uns depuis peu, les autres depuis la nuit des temps. Mais c’était bien assez, et ça ne voulait pas dire que tous les mythes étaient fondés. Pour sa part elle n’avait jamais croisé de fées, de licorne ou de kirin. Pas de lutins ou d’elfes non plus. Alors franchement, lui faire gober une histoire de sorcier pour gagner du temps, c’était ridic…

« Qu’est-ce… »

L’humain –du moins supposé humain - venait de faire un truc vraiment, vraiment étrange. Il avait pointé deux doigts sur son poignet violacé –pour la grande satisfaction de Mia, elle aimait bien marquer ceux qui la faisaient chier – avait ensuite murmuré quelque chose comme « soin » et … toute trace avait disparu de son corps. Elle resta un moment à fixer l’endroit un peu plus tôt abîmé, stupéfaite. Oui, stupéfaite. Elle l’était rarement, mais ça la prit de court. Et l’homme enchaîna sur deux autres… trucs… en rapport avec l’eau. Elle fit un bond en arrière en voyant l’eau apparaître et gronda. Elle montra même les crocs, littéralement. D’ailleurs, ses oreilles et sa queue étaient apparues également. Elle voulait éviter de se retrouver à poil dans la rue pour rentrer chez elle, donc elle avait évité une transformation complète, mais la surprise était suffisamment forte pour faire apparaître instinctivement ses attributs. Et pour cause, elle avait affaire à quelque chose d’inconnu. Ces gens n’étaient pas des vampires, leur odeur était claire sur ce point. Mais d’où il pouvait maîtriser ce genre de pouvoir alors ? Et cette lueur étrange qui avait jailli de ses mains à chaque fois… Ok. Elle était en train de rêver. Ou alors ses nombreuses années en geôle avait eu raison de son esprit et elle devenait folle. Pourtant les sensations étaient trop réelles pour que ce fusse un rêve ou une hallucination. Il se passe quoi, bordel de merde ?!

« Quoi ?! Sérieux ?! »

Les oreilles couchées sur son crâne, elle fixait les deux compères de ses yeux bleus menaçant. Il suffisait d’un rien à présent pour qu’elle leur sautât à la gorge. Mais maintenant qu’il lui avait montré ses petits tours, elle hésitait. Etait-ce tout ce dont il était capable ? Ou en avait-il d’autres en réserve ? Et sa copine ? Tant qu’elle n’en savait pas plus, elle ne pouvait prendre aucun risque. Elle ne savait pas encore s’ils étaient réellement dangereux pour les lycans. Autrement dit, si leurs…. trucs… pouvoirs… choses ? pouvaient blesser voire tuer les siens. Trop d’inconnues dans cette équation qui lui donnait la migraine. C’était une putain de sale journée. Elle darda ses yeux furieux sur le jeune homme quand il lui demanda si elle les aiderait. Non mais c’était une blague ?!

« C’est moi qui pose les questions ! » répliqua-t-elle pour se redonner contenance. « Vous êtes quoi au juste ? Des humains génétiquement modifiés ? Ou… Des sorciers comme l’a dit l’autre là ? Sérieusement ?! C’est quoi cette histoire ?! »

Toutefois elle était toujours campée sur ses jambes, prête à bondir pour attaquer ou fuir au moindre signe suspect. Sa queue battit l’air de nervosité. Nerveuse… c’était étrange. Elle n’avait pas ressenti ça depuis des années. Le virus la préoccupait, mais ce qu’elle venait de voir, c’était pire… était-ce un souvenir de ce qu’elle ressentait humaine, la peur ?

« Vous pensez vraiment me faire gober que vous voulez aider les lycans ? Et dites-moi ce que vous y gagneriez ? J’suis pas conne, on fait jamais quelque chose gratuitement ou sans intérêt. »

Mia savait de quoi elle parlait. Depuis toujours, les humains comme les vampires agissaient en « bons samaritains » parce qu’ils y trouvaient leur compte. Et souvent c’était, dans le cas des seconds, pour mieux tromper la galerie. Eux n’étaient pas humains, ni vampires, ni lycans… leur odeur était humaine même si… même si il y avait une fragrance pétillante. Elle renifla comme pour confirmer. Etait-ce l’odeur de cette chose lumineuse qu’elle avait vu ? Ils avaient ça en eux ? Son cerveau avait du mal à suivre.

« De toute façon… j’sais pas qui l’a créé ni pourquoi. Sinon j’leur aurais réglé leur compte depuis longtemps. »

En fait ce n’était pas tout à fait exact. Elle avait de forts soupçons qui se portaient sur les vampires, ainsi qu’un ordre de Hunter obscur réputé pour ses généticiens. Et le pourquoi lui apparaissait assez clair aussi… ils voulaient éradiquer les lycans, devenus hors de contrôle de leurs créateurs. Ou au moins les affaiblir, ce qui n’était pas beaucoup mieux. Et elle le jurait, quand elle prendrait ces connards… elle leur assurerait une mort longue et douloureuse. Mais tant qu’elle ne savait pas si les deux … êtres en face d’elle étaient des ennemis ou des potentiels alliés, elle ne leur dirait absolument rien. Dans le meilleur des cas.

Bon, forcément, Mia n’allait pas coopérer ainsi. Elle s’était transformée d’un coup en me voyant utiliser la magie et nous sauterait certainement dessus à la moindre occasion. Bien sûr, elle continuait à poser ses questions. Je la comprenais dans un certain sens, on lui était totalement inconnu. Son cerveau cherchait actuellement à la rassurer. « Des humains génétiquement modifiés ? » Voilà un bel exemple de ce qui se passait dans son cerveau qui tentait désespérément de réprimer la peur de l’inconnu, de nous. Je devais donc faire extrêmement attention.

Comme si ça ne suffisait pas, il fallait que je fasse attention à Elena qui était actuellement si excitée qu’elle était imprévisible. Encore une fois, ça ne manquait pas. La réponse d’Elena aux questions de la louve se fit immédiate et spontanée. Je savais qu’elle allait faire une bêtise, si bien que j’étais déjà entre les deux femmes, prêt à lancer mon bouclier.

« Personne ne va toucher les oreilles de personne, Entendu ? Elena, je te prierai d’essayer de te calmer. Je te rappelle que nous sommes en mission et que ce n’est clairement pas le moment d’essayer de nous faire tuer… J’ai clairement dit dans ce bar qu’on ne se battrait pas et ceci tient toujours. »

Je regardais successivement Elena et Mia pour être sûr d’avoir été clair sur ce point avant de soupirer. Je sens que j’allais clairement avoir besoin d’un remontant une fois cette histoire finie. Je me retournai vers Mia.

« Bon, permets-moi de te raconter une petite histoire. Il y a très longtemps vivaient sur Terre trois races que l’on pourrait qualifiées de cousines. La première était les humains. De simples hommes, roi, paysans… Ils n’avaient rien de particulier en eux en somme. »

Je fis une courte pause pour prendre une profonde respiration.

« La deuxième ressemblait très fort aux humains, que ce soit physiquement ou intellectuellement. La différence majeure est que ces derniers possédaient un don, celui de magie. Ils avaient appris à manipuler les éléments, les forces de la nature ou les esprits des gens… Finalement, il y avait des humains capables de se transformer entièrement en animal : oiseau, chat, lézard… C’était les Sorciers et les Changelins. »

Je n’étais pas sûr que parler de changelins soit la meilleure des idées. Mais bon, Si Mia voulait tout savoir… Et si jamais le besoin se faisait sentir de lui faire oublier la mémoire… Faire passer notre discussion pour une attaque de loup-garou serait peut-être une bonne idée. Le Secret n’était pas obligé de tout savoir et Elena et moi aurions le soutien du Bouclier. Bon, il faudrait préparer Elena avant pour éviter qu’elle dise une connerie mais si je lui faisais bien comprendre que c’était pour son bien…

« Parmi les sorciers, certains pensaient que ces pouvoirs étaient là pour faire le bien autour d’eux, d’autres pensaient qu’ils étaient supérieurs aux humains. Quant aux humains justement, certains les vénéraient, d’autres les craignaient. Cette crainte se fit si force qu’un jour, les humains commencèrent à chasser et à brule les sorciers et les changelins. »

Je fis une pause pour reprendre mon souffle et soupirer.

« Les sorciers décidèrent depuis de cacher leur existence au monde. Les changelins ont surement fait pareil et ont coupé les ponts avec les sorciers. Je ne sais pas s’il en existe toujours à l’heure actuelle. Mais si nous, les sorciers ont survécu, il n’est pas impossible qu’eux aussi. »

Je regardai attentivement Mia pour voir quel effet cette histoire lui faisait. Un début de réflexion prenait place dans mon esprit. Mia avait dit précédemment qu’elle ne savait rien. Mais elle pouvait clairement être d’une grande aide. Bon, elle ne serait certainement pas d’accord pour tester un éventuel vaccin… Mais on trouverait surement une solution entre-temps. Il fallait, de toute façon, d’abord trouver le vaccin…

« Bon, tu comprends maintenant que tu en sais un peu trop sur nous et que ça pourrait être un problème pour notre secret. Ce n’est pas une menace. A vrai dire, je pense que ta force est véritablement remarquable. Je suppose que cet histoire de virus ne te plait pas plus qu’à nous. As-tu encore d’autres question ou penses-tu qu’une alliance serait envisageable ? »

Mia avait du mal à se remettre de ce qu’elle venait de voir. Il lui paraissait inconcevable que de simples humains pussent avoir accès à de telles facultés. C’était pour ça qu’elle avait eu l’idée d’humains génétiquement modifiés. Elle n’avait jamais entendu parler de magie, de sorciers, ou tout autre phénomène qui s’y rapprochait. Et elle n’avait jamais cru aux légendes qui circulaient, même petite, lorsqu’elle était encore humaine. Alors forcément, elle avait du mal à avaler ça. Et puis, c’était un choc. Certes les vampires et les lycans appartenaient aux légendes urbaines, et pourtant ils existaient bel et bien. Mais la magie et les sorciers, c’était autre chose… Surtout, elle ne savait pas comment elle devait les considérer. Dangers ? Alliés potentiels ? Mais dans le second cas, elle ne savait toujours pas quel profit ils en tireraient. Elle avait trop vécu pour croire que parfois, on pouvait agir sans intérêt. Ils avaient forcément quelque chose à y gagner, et tant qu’elle n’aurait pas la réponse, toute négociation était vouée à l’échec.

L’excitée reprit la parole. Mia posa sur elle un regard méfiant, hésitant. Elle ne savait toujours pas ce dont elle était capable, et elle savait par expérience que les apparences étaient trompeuses. Elle faisait son imbécile comme ça, mais l’espagnole se doutait qu’elle était bien plus intelligente qu’elle n’en avait l’air –et puissante aussi de surcroit. La femme évoqua même une raison qui expliquerait leurs motivations. Visiblement ils ne voulaient pas être reconnus comme… sorciers... Bûcher hein ? Cependant la suite faillit lui coûter la vie. Si Thomas ne s’était pas déjà interposé entre elles, Mia l’aurait égorgée illico. Personne ne touchait à ses oreilles. Personne. Chez les loups c’était un point sensible ; les alphas mordaient les oreilles des autres loups pour les dominer, et ce comportement se retrouvait aussi chez les lycans. Elle poussa un grognement menaçant, prête à bondir, mais l’homme qui se tenait entre elles la faisait hésiter. Heureusement d’ailleurs. Celui-ci temporisa l’échange et Mia se décrispa légèrement, sans toutefois quitter la femme de son regard assassin.

« La prochaine fois je t’égorge. »

Autant dire que la femme dénommée Elena n’avait pas intérêt à redire une telle bêtise. Cette fois-ci, ce serait difficile de retenir Mia. Elle avait un caractère pourri, et le sang chaud de surcroit. Son instinct bestial et sa tendance sanguinaire n’aidaient pas à la calmer. Néanmoins elle daigna prêter de l’attention à la « petite histoire » de l’autre. Elle haussa un sourcil, croisa les bras, et fit en même temps disparaître toute trace de sa nature de lycan. L’évocation des changelins la fit tiquer. Elle n’avait jamais entendu parler d’une telle race… et curieusement l’idée de métamorphose lui faisait penser aux lycans. Thomas évoqua ensuite l’histoire des humains qui les jetaient sur des bûchers. ça lui rappelait les histoires de son père sur les chasses aux sorcières. Alors ça avait vraiment existé ces trucs-là ? L’évocation de sa force de lycan la fit tiquer. Elle bougea légèrement la tête l’air de dire « bien sûr que ma force est remarquable ! » Lorsqu’il eut terminé, Mia renifla avec dédain.

« Jolie histoire. Si je comprends bien, vot’ intérêt, c’est que les gens fassent pas de lien entre les lycans et les sorciers. Que votre secret ne soit pas ébruité. J’imagine que ça doit être important pour vous vu que l’histoire du virus est nettement plus compliquée. Mais admettons. »

Mia laissa ses bras retomber le long de son corps et toisa les deux compères. Si elle admettait que leur histoire soit juste, pouvait-elle réellement leur faire confiance ? Elle n’était pas convaincue.

« Pourquoi j’vous ferais confiance ? J’connais bien l’histoire de ceux qui veulent aider et retournent leur veste au dernier moment, une fois que leurs intérêts sont satisfaits. Qui m’dit que c’est pas vot’ cas ? »

Mia n’était pas le genre de personne dont on gagnait facilement la confiance. C’était même une véritable épreuve que d’y arriver. Elle avait subi trop de traumatismes et de trahison pour se laisser berner aussi facilement. Alors peut-être qu’elle était devenue parano, certes, mais au moins elle était toujours en vie –si on mettait de côté son invulnérabilité actuelle.

« Prouvez-moi que j’peux vous faire confiance, et après on en rediscute. »

Son regard déterminé indiquait qu’elle serait intraitable sur ce point. Tant qu’elle n’aurait pas une preuve tangible, que ce soit concret ou par un acte particulier, qu’elle pouvait faire confiance à ces gens pour leur confier ses informations sur les lycans et le virus qui ravageaient leurs rangs, elle ne dirait rien. Et en plus d’être susceptible et impatiente, elle était aussi bornée et incroyablement butée.

Je soupirai une nouvelle fois. J’avais l’impression qu’on allait nulle part. On n’avait clairement pas choisi la meilleure Alpha pour conclure un marché mais c’était la première que nous croisions. Il fallait bien tenter. Encore une fois, Mia nous redemanda pourquoi elle devait nous faire confiance et ma patience commençait à s’épuiser. Une première ! Même Elena n’y était jamais arrivée. Pourtant, je ne comptais plus le nombre de fois où j’étais sûr qu’elle avait essayé.

Elena aussi en avait marre. Elle était devenue sérieuse. C’était d’ailleurs assez impressionnant de voir comme elle pouvait l’être plus que moi dans certaines situations. Dans tous les cas. Cela allait se jouer à tout ou rien maintenant pour Mia. Mon amie avait déjà commencé à partir dans ce sens. Mais si Mia ne voulait pas nous aider…

« A vrai dire, comprends, Mia, que si tu ne veux pas nous aider, nous allons devoir faire en sorte que tu oublies cette conversation. Ne sors pas tes griffes, je t’ai déjà dit que je ne voulais pas combattre ! »

Je fouillais l’intérieur de ma veste et je trouvais, avec soulagement, une fiole. Exactement ce que je cherchais.

« A l’heure actuelle, tu as deux choix possibles. Le premier, tu nous aides dans notre enquête et nous serons alliés. En plus d’être de connivence avec nous, tu le seras avec tous les sorciers. Intouchable, d’une certaine manière. Le deuxième, si tu ne nous aides pas, on ne peut pas te laisser en savoir tant sur nous et on va devoir t’effacer la mémoire. »

Je montrais la fiole à Mia.

« Dans ce cas, il y a encore seulement deux solutions possibles : soit cette potion, une potion d’oubli, qui te fera oublier tous les événements de la journée durant la nuit. Quand tu te réveilleras, ce sera comme si aujourd’hui n’avait pas existé. Soit nous devrons signaler la situation à nos confrères et nous devrons envoyer des Sentinelles pour t’effacer la mémoire. Cette idée ne me réjouis pas du tout, cependant… »

Je soupirai une nouvelle fois, guettant la réaction de Mia. Je restais aussi le plus neutre possible en dévoilant tout mon jeu. Tout ou rien.

« Je suppose cependant que nous pouvons te laisser un temps de réflexion pour te décider. Mais sache que tu seras surveillée entre-temps. Nous ne pouvons pas te laisser parler de nous à qui que ce soit. Encore une fois, je précise que ce n’est pas une menace. De ma part en tout cas. Mais je pense qu’il vaut mieux que tu sois au courant. A moins que tu envisages autre chose ? »