Deux blonds sont sur un toit... On croirait le début d'une blague. [pv Raiden] (16/07/2018)

Ah. N’allais-je pas avoir droit à un petit bout d’histoire ? Même pas un contexte, un âge ? Dommage. Au moins ai-je un nom, Raiden. Toutefois, peut-être pouvais-je envisager le fait qu’il soit vraiment âgé si son histoire est si longue que ça à raconter. C’était un petit indice. Je le sens un peu pensif devant ma main tendue. Peut-être qu’il ne savait pas quoi en faire ? Qu’il n’en avait pas envie ? Qu’il pensait qu’il allait me traverser ? Je n’en étais pas sûr à 100% mais je devais essayer. Et… et…. Oui ! Je retombais sur mes pieds à peine l’ayant touché. C’était comme se prendre un coup de jus qui se diffuserait dans tout mon corps, embraserait mes veines d’énergies et restructurerait un peu tout ça pour me faire redevenir tangible. C’était… déconcertant mais agréable – si on est était un peu maso. Je me mordis la phalange d’un doigt pour me retenir d’exulter de joie bêtement en courant sur le toit. Ou pour éviter de penser des bêtises en le regardant. Ou d’en dire une. Surtout que j’ignorais combien de temps cela pouvait fonctionner. J’étais juste content que ça fonctionne tout simplement. Bien. Maintenant que je me tenais devant la seule personne potentiellement au monde que je ne pouvais pas traverser, qu’allais-je faire ? Éviter de se couvrir de ridicule ? Ca paraissait être un bon plan. Surtout que qui disait « toucher » disait aussi « frapper » accessoirement, ce qui serait bien moins agréable. Raiden rebondit sur ce fait ce qui me permet d’arrêter de réfléchir à la merde potentielle dans laquelle je m’étais mise avec mon essai. J’aurais voulu dire que c’était « pour la science » mais… Des raisons plus obscures m’avaient poussé à cette idiotie. Des raisons que je n’évoquerais pas à voix haute pour éviter de le faire fuir. Ou de se prendre ses foudres. J’arrête de me mordre le doigt, j’en avais même la marque de mes dents !

- Je peux plus ou moins sentir l’électricité. Chez les gens plutôt. Je savais que tu en avais… plein.

« Plein » me semblait trop faible pour le décrire. En fait il n’était sûrement constitué quasiment QUE d’électricité. Oh, le voilà qui s’excuse. Je ne l’avais pas sentir venir, aussi dois-je être un peu étonné. J’en ai un peu froid dans le dos. Si je pouvais comprendre le fait que des Sorciers lui avaient causés du tort, j’avais l’impression qu’il m’aurait tué à vue sans autre forme de procès si j’en avais été un. Mais si j’en avais été un j’aurais été plus prudent.

"Tu sais peut-être de quoi je parle. As-tu été pourchassé par les tiens ? J’imagine que tu as dû quitter ton pays après cet incident. Tu dois leur en vouloir pour tout ça."

Je redevins intangible. Bon, je n’avais peut-être pas eu assez d’énergie pour rester plus longtemps tangible. Je soupirais et fit une grimace dépitée. Et puis ce n’était pas comme si c’était le sujet le plus agréable du monde. Je m’assois dans le vide, mon regard s’assombrissant un instant :

- En effet. Au début j’ai tenté d’aller chercher de l’aide. Pour moi je n’étais pas une Ab…Création. Juste un « Métis avec un problème ». J’ignorais même l’existence de ce terme. Mais ils n’ont pas réussi à lancé un sort pour inverser le processus.

Je soupire à nouveau.

- Ils ont bien tenté de me tuer ou m’emprisonner mais avant qu’ils n’aient trop d’idées sur ce sujet je me suis échappé. J’ai filé le plus loin possible, j’ai pris un avion, puis j’ai voyagé de bateaux de croisière en bateau de croisière.

Je ris un peu sarcastiquement et hausse les épaules.

- J’en veux à ceux qui ont fait ça évidemment. Je ne vais pas remercier ces bâtards. Mais il faut savoir que je n’étais pas capable d’être tangible durant des années. Même pas un peu. C’était comme si… je n’existais pas.

Une sensation terrible. La peur de disparaître totalement. Etre condamné à ne pas dormir et n’avoir personne avec qui parler. Une chose que je n’avais pas envie de revivre. Mais à présent ce temps était révolu, je pouvais presque vivre « normalement » dans le manoir de Thomas. J’existais pour d’autres personnes. Je chassais donc les pensées négatives en secouant la tête comme si elles pouvaient être balayées par le vent du soir.

- Mais à Nakanoto, y’a de l’ambiance ! Et pas mal de races.

Dont deux Créations. C’était le moment de mettre les pieds dans le plat mais je devais savoir si j’avais tendu un bâton pour me faire battre par Tibalt. Je n’avais pas pensé à ça avant de tendre la main. S’ils étaient potes… Non. Le type fourbe avec Raiden ? Mmh… Je ne sais pas s’ils s’entendraient mais je ne connais pas bien leur caractère. Et puis faudrait être con pour être allié avec ce monsieur qui n’inspirait pas du tout confiance, (bien qu’en vrai je me serais presque laissé tenter pour avoir un logement) mais le coup du chantage pour me tirer les vers du nez n’était pas passé. Je souris :

- C’était la première fois que je croisais une Création d’ailleurs, avec qui j’ai pu discuter en allant dans son Night Club.

Je préférais ne pas mentionner le fait que j’avais ensuite foutue un vent à ladite Création en ne revenant pas le voir car moins je le voyais mieux je me portais. Après tout, on ne se connaissait même pas qu’il me menaçait déjà, alors je n’osais imaginer si je le fréquentais plus souvent ! Il me mettrait un couteau sous la gorge mentalement et s’en prendrait à mes nouveaux amis à défaut de pouvoir me taper directement. Il me forcerait sûrement à obéir et à espionner. Les gens pensent un peu trop souvent que je ne vois rien venir mais même un gosse aurait sentit le piège à trois kilomètres ! Un bureau surchauffé, les flammes de l’enfer dans la cheminée, des masques flippants accrochés au mur, de la drogue distribuée sous cape dans l’établissement... Le vrai cliché du méchant. Aucune subtilité. Même son club s’appelle le « Hell’s Night », si ça ne met pas dans l’ambiance tout de suite, je vois pas ce qu’il faut de plus. J’ajoute avec désinvolture en continuant de sourire :

- Mais sa compagnie n’est pas aussi agréable que la tienne.

Je l’avais dit. Je l’avais dit. Bordel je l’avais dit. En plus c’était débile car il était plutôt porté sur la démonstration de puissance pour le plaisir de montrer qu’il en a. Et bien tant pis, je ne pouvais pas annuler mes paroles ou revenir dessus, et ce n’était pas comme si je n’avais pas l’habitude des maladresses. J’aurais juste l’air… comme d’habitude. J’essaie de ne pas devenir rouge de gêne histoire que ça passe mieux et regarde l’horizon en songeant que c’était peut-être le moment de se barrer pour éviter un moment de solitude.

C’est bien ce que je pensais. Il savait que je regorgeais d’électricité avant même de me toucher. Je ne pouvais donc éviter d’être démasqué. C’est en un sens rassurant. Il doit être l’un des rares capables de me repérer aussi facilement. J’aime autant. Les sorciers ne doivent pas se douter de quelque chose à mon sujet. J’espère juste… Non, je ne vois pas comment ces larves pourraient tolérer l’existence d’Arkady. Il me confirme d’ailleurs qu’ils ont cherché à l’éliminer, faute de solution pour lui rendre son état d’origine. Il n’aurait jamais pris le risque de reprendre contact avec un peuple qui veut sa mort à tout prix.

Il m’a l’air en tout cas bien las de sa situation. Ce n’est pas un état d’esprit qui m’enchante. Il reflète de l’abattement, une forme de soumission. Ceux qui pleurent sur leur sort sans chercher à s’en sortir, ils le méritent. Il est vrai qu’être intangible pendant longtemps -probablement des années, à l’entendre- n’est guère réjouissant. Mais il devrait relativiser. Exploiter sa nouvelle condition. Après, je suppose qu’il est encore trop jeune pour ça. Il a beaucoup à apprendre. En tout cas, son absence de hargne m’alerte. Il est résigné. Il ne semble pas chercher la vengeance. Il vaut mieux rester prudent avec les informations que je pourrais lui donner. Évitons de lui mettre la puce à l’oreille. Sa remarque soudainement plus enjouée m’arrache un sourire.

"De l’ambiance, oui, c’est le moins qu’on puisse dire."

Il est clair que je ne m’ennuie pas une journée depuis mon arrivée ici. Je ne regrette vraiment pas la décision de retourner au bercail. Surtout qu’une ville si cosmopolite, tant en terme de nationalité que de races, c’est l’endroit idéal pour se terrer en toute quiétude. Même si l’Enclave se trouve quelque part dans la région. On n’imagine jamais que l’ennemi puisse se trouver juste sous son nez.

J’affiche une surprise non feinte en l’entendant mentionner Tibalt et sa condition. Même s’il va se méprendre sur la raison. Car bien sûr, je connais très bien le loustique -nous sommes mêmes alliés. Mais je n’avais pas pensé qu’Arkady puisse l’avoir rencontré. Car les deux personnages sont tellement opposés, rien qu’à première vue, que ça me paraît difficilement concevable. Mais après réflexion, il est intangible, il lui est donc facile de passer d’un bâtiment à l’autre. Et je l’imagine bien tomber totalement par hasard sur le Hell’s Night sans avoir la moindre idée de l’endroit où il a mis les pieds. J’allais répliquer, lorsqu’il prend de nouveau la parole, souriant avec désinvolture, pour… Non, je ne rêve pas. Il me fait du gringue.

"Hahaha !"

Mon rire déchire le silence. Déjà, ce jeune ose dire les choses, c’est une qualité que j’apprécie. De plus, il qualifie indirectement Tibalt de “mauvaise compagnie” alors que le Diable Rouge correspond justement à mes critères de fréquentations. Le tempérament de braise. L’esprit félon. Et le bon vivant. Et par ailleurs, Arkady ne s’imagine visiblement pas que je puisse être du même côté que ce baron du crime. Et pour couronner le tout, le scandinave a flashé sur moi. La situation m’amuse. Beaucoup.

"Eh bien, eh bien… " Je me rapproche en lévitant, m’arrêtant à une dizaine de centimètre de lui. "Tu n’as pas peur de dire les choses. ça me plait."

Mon sourire s’élargit un peu plus. Est-ce que je joue de l’effet que je produis sur lui ? Totalement. C’est amusant. Et je vis avant tout pour m’amuser. J’hésite toutefois sur la marche à suivre. Je ne peux pas lui faire croire que je n’ai jamais mis un pied dans le Night Club. Ce serait peu crédible, vu mon caractère et mon intérêt pour les lieux de divertissement. Mais concernant le maître des lieux… Prétendre ne pas connaître Tibalt, du moins, de loin, sans avoir eu vent de sa condition de Création ? Mais Arkady m’a l’air curieux de nature. Il pourrait très bien découvrir mon accointance avec lui, et si je lui mens en premier lieu, il se poserait des questions. Ne pas être associé avec Tibalt ? Vu la mauvaise impression qu’il lui a laissé, ce serait être bien vu à ses yeux, et je sais par expérience qu’on y gagne toujours. Toutefois, il risquerait ça aussi de le découvrir par la suite.

Hum. Finalement, il vaut mieux rester vague sans pour autant me discréditer. Et je suis curieux de voir en quoi Tibalt est de moins bonne compagnie que moi -en dehors de son hétérosexualité. Essayons donc, dans un premier temps, de glaner quelques informations. Il va peut-être devenir méfiant, mais l’ascendant que j’ai sur lui pourrait jouer en ma faveur. Je retiens un frisson. Son attirance, que ce soit pour moi ou pour l’électricité, ça me rend extatique. ça me rappelle un peu l’heureuse époque du Rakurai. J’adore susciter l’admiration. La fascination. La vénération.

Je lévite sur le côté, les mains dans les poches, le regard rivé sur Arkady.

"Ainsi donc tu as rencontré Tibalt… Il ne t’a pas laissé bonne impression visiblement. Ce n’est pas son genre pourtant, lui qui est de si bon vivant. Je me demande ce que ce vieux filou a encore fait." Je m’immobilise un instant avant de me rapprocher, souriant de toutes mes dents." Tu veux me raconter cette... mésaventure ?"

Aller, petit. Dis-moi tout. Livre-moi tes précieuses informations. Et amuse-moi, que Diable !

Je suis plus à l’aise en retournant sur un terrain plus joyeux tel que l’ambiance de Nakanoto. Les ennuis, je préfère ne pas en parler, les sombres pensées je les range dans un coin où elles y restent, je ferme la boîte et préfère la garder ainsi sans la rouvrir. Au moins sommes-nous d’accord sur une chose, le fait que cette ville ne manque pas d’activité ! Par contre sa réaction à ma dernière phrase me fait redresser de ma position « assise ». Je ne sais pas comment le prendre quand il rigole. Mes traits d’humours n’avaient jusque-là pas marché et ce qui n’en était pas le fait marrer. Mais ça me vexe pas vraiment, je préfère ça à de la colère : après tout il pourrait ne pas être de ce bord et mal le prendre. Puis il revient, terriblement trop près, terriblement tentant. Je hausse les épaules et cette fois j’ose un sourire malicieux, celui que je pourrais afficher dans un bar à une cible potentielle de mon intérêt. Face au seul type au monde que je ne peux pas traverser, autant dire que mon intérêt est élevé. Et que j’ai envie de lui plaire.

- Qui ne tente rien n’a rien. Et je suis tenté.

Voir même plus. Mais je ne dois pas le faire fuir. Je ne sais pas encore comment l’aborder. Je n’ai d’ailleurs pas besoin de me poser cette question car le sujet qui fâche revient sur la table. Je ne peux m’empêcher de ciller, au moins ça calme mes ardeurs. « Vieux filou » ? Houla il le connaît au point de l’appeler ainsi ? Ah non. Ah non non non le Destin, Mère Nature, la Fatalité - appelons ça comme on veut- ne peut pas m’avoir fait rencontrer ce type si désirable pour qu’il soit pote avec l’autre con de diable là ! C’est trop cruel ! Je lâchais un :

- Gubbjävel…

Une insulte signifiant « vieux diable » en suédois, que je trouvais approprié. Un peu plus méfiant je regarde mon interlocuteur qui sourit et qui lévite vers moi. AH CA FAIT CHIER ! Même indirectement et même de loin il me fait chier ce gubbjävel ! Mais je n’allais pas abandonner pour autant ! Que la Fatalité aille se faire voir ! Raiden voulait savoir ? Et bien qu’il sache ! Avec une colère difficilement contenu je le fixe pour répondre :

- Du chantage, voilà ce que ce « vieux filou » a fait !

Ouais nan ça allait être difficile de rester mesuré. Je flotte nerveusement.

- Alors déjà que monsieur me sort son décor de film façon flammes infernales, et comme je voulais pas répondre à ses questions, voilà qu’il me sort qu’il allait balancer les vidéos de surveillance à l’Enclave du coin ! Mais bien sûr ! Qu’il s’étonne pas si je suis pas revenu le voir, je préfère rester dehors que de voir sa gueule !

Pour la mesure on repassera. J’étais aussi en colère contre moi-même, d’avoir été faible face à lui, de m’être comporter comme un gamin puni devant le bureau du proviseur. J’avais eu le temps de ruminer, de repasser la scène en boucle et de me dire que j’aurais dû réagir de telle ou telle manière pour moins perdre la face. Déjà, je n’avais pas cédé à son offre tentante, pour ça au moins j’en étais fier. J’étais resté fort. J’avais pas besoin de lui pour avoir un toit. Par contre… Comment allais-je pouvoir draguer Raiden – oui je n’abandonnais pas l’idée – sans pouvoir blairer Tibalt ? J’étais coincé ! Terriblement frustré ! Putain. Je fusille même le blond du regard tellement ça m’énerve. Lui. Avec Tibalt. Dans la même pièce. Comment était-ce possible sans qu’ils se foutent sur la gueule ?! Est-ce que « Bid Daddy » l’avait menacé aussi à coup de caméra de surveillance ? Ou simplement l’homme électrique avait assez de puissance pour que le démon n’essaie pas ? Ras le cul.

- Alors, t’es content ? T’as l’explication ! Et s’il demande de mes nouvelles t’as qu’à lui dire que je l’emmerde bien cordialement !

Comme ça Tibalt lui dirait que j’étais pas très chaud dans ses plans de dézinguer du Sorcier (un truc qui plaisait à mon interlocuteur vu sa réaction précédente), et ma drague était foutue. Voilà. Ca m’énervait d’avance. Ah ouais mais là j’étais vraiment pas d’humeur. J’avais l’impression qu’on me retirait une pâtisserie de ma vue avant même que j’ai pu y goûter. Une belle pâtisserie bien attirante qui disparaissait. Du coup je me demandais si Raiden allait vraiment se barrer après ça.

Qui ne tente rien n’a rien, hein ? Haha. Je suis parfaitement d’accord avec lui. Il faut savoir oser dans la vie. Sinon, on ne fait jamais rien. L’audace, c’est une qualité que j’apprécie particulièrement. Il semblerait qu’il en ait plus que je ne le pensais au début. Un point pour lui. Qu’il confesse ouvertement son attirance attise un peu plus mon excitation et mon sourire s’élargit. Il reste un peu… hum, mou ? Pour mes critères, mais au moins, il offre des surprises. Et j’aime les surprises.

Son expression change soudainement. Il semble… contrarié. Frustré. La simple évocation du nom de Tibalt en serait-elle à l’origine ? J’aurais donc vu juste. Il ne l’apprécie pas. Il s’échappe de ses lèvres un mot de consonance nordique, dont le sens ne m’apparaît pas clairement. Mon scandinave est quelque peu rouillé, après mille ans. Mais je devine, derrière le ton vindicatif, que ce n’est guère flatteur ; cela tiendrait de l’insulte que je ne serais pas surpris. Eh bien, eh bien. Que s’est-il donc passé pour qu’il l’exaspère autant ? Ma curiosité est piquée.

La réponse ne tarde pas, expédiée sur l’air de la colère. J’hausse un sourcil ; du chantage. Soit. Cela ressemble bien à Tibalt. Toutefois, pourquoi mettre la pression à une autre création ? Ou plutôt, Modifié, dans le cas d’Arkady. D’ordinaire il cherche plutôt à offrir ce que convoite l’autre, afin d’obtenir, en échange, ce que lui désire. Le jeune scandinave enchaîne rapidement, m’offrant les informations nécessaires pour évaluer l’affaire dans sa globalité. De là, je n’ai plus qu’à déduire les détails manquants. Ainsi donc, les caméras de Tibalt ont filmé le jeune en flagrant délit. Et le Diable Rouge, après lui avoir joué son tour Infernal, l’aurait menacé de remettre ces images à l’Enclave japonaise s’il ne répondait pas à ses questions.

Hum. Je ne comprends pas l’attitude de Tibalt. Il a préféré mettre la pression à un être dont il ne savait rien, afin d’obtenir ce qu’il souhaitait. Il se considérait donc en position de force et n’a pas jugé utile de chercher à négocier. Je peux comprendre qu’Arkady n’ait pas apprécié. Tibalt l’a clairement pris de haut. C’est dommage. On ne gagne pas à se mettre à dos un inconnu, surtout lorsqu’il a une nature en commun. Quand bien même il ne soit pas “né” ainsi. Big Daddy T m’a tout l’air d’avoir été trop sûr de lui. Maintenant, je ne sais pas ce qu’ils se sont dit exactement, au club. Tibalt voulait pourtant rassembler les nôtres afin de porter un coup dur aux sorciers. En ont-ils parlé ? Je préfère ne pas aborder ce sujet frontalement, le risque de faire fuiter une information capitale est trop élevé. Au besoin, je pourrai obtenir ces réponses auprès du principal intéressé. M’est avis qu’il me manque une pièce du puzzle. Arkady a peut-être dit ou fait quelque chose qui a poussé le bimillénaire à faire du chantage.

Le jeune Arkady s’emporte une nouvelle fois dans une exclamation. Cette fois je ne peux me retenir de rire. Ah ! Voilà le genre d’attitude qui m’amuse autant qu’elle me plaît. Je n’ai jamais porté un quelconque intérêt aux individus trop affables. Les caractères plats ne retiennent jamais mon attention. Je préfère ceux qui ont un tempérament fort, ceux qui ont du mordant. La vie est tellement ennuyeuse sans ça.

"Hahaha ! Mais c’est que tu as du piquant, quand tu veux. Tu n’es pas si sage qu’il n’y paraît, en fin de compte. Je transmettrai à Tibalt ces aimables salutations, rien que pour voir sa tête…"

Je ne sais pas s’il en rira à gorge déployée, comme moi, ou si au contraire il s'énervera. Mais dans un cas comme dans l’autre, j’en serai très amusé. Je lévite de droite à gauche, maintenant la même distance entre l’ex sorcier et moi. Son agacement nourrit mon excitation. Plus il fera preuve d’un tel torrent émotionnel, plus j’en serai comblé.

"Tibalt t’a donc montré son petit tour du Diable Rouge. Ma foi, cela ne me surprend guère. Il adore impressionner son petit monde. Je marque une courte pause, mon expression se faisant plus modérée. Je comprends ton ressenti. Moi non plus je n’aurais pas apprécié ce chantage à ta place. Ta colère est légitime."

Je m’immobilise, le fixant de mon regard incandescent. Je vibre intérieurement. Son humeur noire me rend totalement extatique. J’ai bien envie d’enfoncer le clou. Moi qui le croyait trop gentil et calme, je serais déçu qu’il s’arrête là. Je le contourne alors pour me retrouver derrière son épaule et lui murmurer au creux de l’oreille :

"Ne te retiens pas. Tu en as gros sur le coeur, non ? Déballe ton sac. Laisse cette colère, cette frustration, s’exprimer librement ! Tu verras comme c’est agréable, ça fait un bien fou !"

Aller, petit, montre-moi ce que tu as dans le ventre. Surprends-moi !

J’étais furieux, irrationnellement peut-être, mais c’était la seule réaction qui m’était venu. Le pire c’est que ça le faisait marrer et qu’il y allait de sa nouvelle pique. Comment ça quand j’veux ? Parce que lui aussi me prenait pour un gentil petit blondinet négligeable ?! Ah bah de mieux en mieux ! Parfait ! Ceci dit le fait d’aller répéter mes paroles à Tibalt m’interloqua quelques secondes. J’imaginais sa tête et fini par rigoler un instant malgré mon énervement.

- J’aimerais bien voir ça.

J’étais sûr qu’il le sentait pas venir du haut de son immeuble. De toute façon, qu’est ce qu’il pourrait faire ? Rien ! Que dalle ! Si il voulait diffuser les vidéos il l’aurait déjà fait ! Et puis Raiden avait pas l’air d’être là pour me ramener de force. Déjà que ça avait pas l’air de le choquer que je l’insulte. Je dirais à vue de nez que ça le fait bien rire. Donc ce n’était pas la première fois que celui-ci jouait au « Diable Rouge » ? Pas étonnant vu comment il a l’air prétentieux. En fait l’idée d’aller me venger me traversa comme une révélation. Je n’étais pas obligé de ruminer dans mon coin mais attendre qu’il s’en aille de sa boîte pour aller y foutre le bordel, fouiller dans ses papiers, bref, aller l’embêter et qu’importe pour les caméras. Ça devait être du bluff car sinon il aurait déjà diffuser ça à l'Enclave non ? Y’en avait marre qu’on me prenne pour un petit truc idiot et impressionnable ! Même Raiden l’avait cru ! Et encore heureux que ma colère soit légitime ! On était d’accord que ce n’est pas agréable !

Mais qu’est ce qu’il fait encore ? Qu’est-ce que… J’aurais jamais dû lui avouer que sa présence m’excitait. Je lui ai donné un pouvoir que je ne possède pas. Maintenant j’ai chaud, je suis énervé, frustré et avec des hormones faisant les loopings ! Ah bah bravo ! Niveau cocktail explosif on peut difficilement faire mieux. Je me retourne et le repousse par fierté - et parce que je peux ravoir de l’électricité en passant. Je corrige donc, si, on peut faire mieux comme cocktail, un coup de jus en plus comme ingrédient final qui se propageait de mes bras à mon corps. Mais je ne devais pas le laisser croire qu’il pouvait m’influencer à sa guise rien qu’en étant tout près. Je le fusille du regard et lance :

- Bien sûr que je suis frustré ! Je suis allé dans le night-club en espérant tirer un coup ! À la place j’me suis retrouvé dans le bureau du proprio comme un gamin puni, niveau soirée c’était vraiment de la merde ! Résultat j’ai rien foutu d’la soirée parce que les papys démons maîtres-chanteur ça m’excite pas trop !

Je fis un grand geste comme si je voulais balayer un bureau imaginaire des papiers tout aussi imaginaires.

- Et je suis certain qu’il t’a pas fait le coup !

Bah oui, c’était plus dur hein face à Mister Central Electrique ! Et surtout SURTOUT j’allais devoir mettre les points sur les i. Je croise les bras et déclare fièrement :

- En plus je sais même pas où t’as cru que j’étais sage. Si ce sont les vêtements, sache que j’peux pas en changer. Et c’est aussi horriblement frustrant. Comme la coupe de cheveux, les percings, les tatouages et la teinture.

Il y avait bien sur des choses plus graves dans la vie mais cela faisait partit des frustrations quotidiennes. Une accumulation de frustration qui, ajoutées les unes aux autres, faisaient une pille énooooorme. Avoir continuellement l’air d’aller en entretien d’embauche me faisait chier. Je sentais que j’allais pouvoir rajouter « Raiden » dans ma liste.

Le petit a la langue bien pendu, je dois bien lui accorder ça. A mesure que la conversation s’éternise, elle se délit, livrant petit à petit les arrières-pensées du petit. Tirer un coup. C’est vrai que c’est une expression contemporaine pour désigner l’art de la chaire. Il semble bien versé dans ce domaine. Ceci dit, si effectivement il a passé des années dans cet état d’intangibilité, traversant n’importe quoi et n’importe qui, je peux comprendre qu’il en profite tant qu’il le peut. Son agacement ne cesse de m’amuser. Je sens que je le perturbe, il le sait, ça l’énerve, et moi ça me fait rire. Le portrait qu’il dépeint de cette “désastreuse” soirée me fait d’autant plus sourire.

"Si, il m’a déjà fait le coup, enfin, sans le chantage. Mais je ne suis pas quelqu’un qu’on intimide facilement. Sa puissance est certes impressionnante, mais elle ne m’effraie pas. Elle m’amuse, tout au plus."

Il est clair qu’il n’y a pas le même poids de chaque côté de la balance. Arkady n’a pas grand chose pour lui, du moins en terme de puissance brute. Par contre son intangibilité, qui passe relativement partout si on ne le cherche pas, peut s’avérer utile. Cela ferait de lui un parfait petit espion… Je suppose que Tibalt a déjà envisagé cette possibilité. Je me demande juste pourquoi il a tenté de lui forcer la main en menaçant de le vendre à l’Enclave. Je ne m’y serais pas pris de façon aussi frontale. Il faut s’attirer la reconnaissance de l’autre pour obtenir l’objet de notre convoitise. Rien ne vaut un échange de service pour ça.

J’allais enchaîne lorsqu’il déverse un peu plus sa frustration sur un sujet qui m’est pour le moins inaccessible. Changer de vêtements et de coiffure. Soit. C’est effectivement une nécessité de premier ordre… Mon regard exprime ma lassitude devant tant de superficialité. Ce n’est pas vraiment ce que j’avais en tête. Mon euphorie retombe. Je me contrefiche de ses problèmes de fashion-victime. Mais concentrons-nous sur les détails vraiment importants.

"Quelle horreur !" je lance avec une pointe d’ironie, histoire de ne pas perdre toute l’ambiance que je m’efforce d’installer.

Une seconde de silence s’écoule alors que je le toise de mon regard suffisant, l’air provocateur. Ce n’est certainement pas avec de telle futilité que tu vas m’intéresser mon petit. Enfin. Je vais mettre ça sur le compte de la jeunesse.

"Il est vrai que sage est un adjectif assez relatif. J’entendais par là que tu parais un peu trop… commun. Quelconque. Ordinaire. Sans histoire."

Je pense qu’il a saisi l’idée. Mais je ne manquerai pas d’en rajouter une couche, si ça peut le frustrer. Il est bien plus amusant lorsqu’il s’énerve, oh que oui. Enfin. Je lui tourne le dos tout en glissant mes mains dans mes poches. Je me rapproche du bord en quelques pas, le regard porté sur l’horizon.

"Comme la majorité de la population."

Je regarde ces petites fourmis s’activer dans la rue. Autant de gens insignifiant qui s’activent sans avoir conscience de ce qu’il se joue en ce moment même. A cette heure, ils se précipitent tous chez eux, avant le coucher du soleil, pour éviter une rencontre malencontreuse. Pour la plupart du moins. Car parmi eux se cachent des créatures insolites. Vampires, lycans, changelins. Et parmi eux encore, certains qui méritent vraiment qu’on s’y intéresse.

"Mais les pépites ne viennent jamais sans un amas de gravats. Il suffit juste de les débusquer."

Qu’en est-il de toi, Arkady. Pierre, ou joyaux ?

Il se fout de ma gueule ! Je sais, je l’ai déjà pensé, et je le pense sûrement au moins dix fois par seconde quand je vois son sourire sur son visage. Bien évidemment que l’autre ne lui aura pas fait du chantage ! Ils sont sûrement d’une puissance équivalente ! Moi je ne comptais pas, j’étais à côté. Mais ça faisait bien huit ans que j’étais « à côté » de la vie donc bon je prenais l’habitude. Peut-être que Tibalt devrait m’amuser aussi. Après tout, sans son… ami, il ne peut rien me faire. Je range ça dans ma boîte à idée et réalise que je l’ai déçu. Pourtant… Les vêtements sont toujours un premier pas pour se démarquer ! Oser porter quelque chose de différents révèle d’un caractère plus… déterminé ? Bon, je n’allais pas lui faire un cours là-dessus j’allais encore le désintéresser. M’enfin, à la place je lève les yeux au ciel – nocturne à présent – en soupirant, blasé.

"Il est vrai que sage est un adjectif assez relatif. J’entendais par là que tu parais un peu trop… commun. Quelconque. Ordinaire. Sans histoire."

Ah ouais donc j’allais avoir droit à tous les synonymes ? Il est sérieux ? Non mais… Hey oh stop là ! Il me sidère mais il me sidère ce type ! Rappelez-moi pourquoi je lui parle déjà ? Ah oui c’est le seul que je ne peux pas traverser.

"Comme la majorité de la population."

Et si le poussait du bord ? Non, mauvaise idée, je risquerais de tomber à mon tour en étant redevenu tangible. Mais c’est vrai que l’idée me traverse l’esprit. Je l’étudie de dos en pesant le pour et le contre de cette entreprise et en matant ses fesses fermes. De toute façon il vole donc ce serait un geste inutilement dangereux pour moi. En fait c’était toujours moi qui avais le plus à perdre. Oui, gnagna les pépites. Je lance sarcastiquement :

- Tu sais, j’avais compris à partir de « commun ». Le reste ce n’était pas vraiment indispensable.

En plus c’était blessant. Je ne voulais pas être comme ça. Commun, quelconque, terne, fade. Hey, j’ai trouvé deux synonymes de plus, mais n’allons pas en rajouter. Je pouffais :

- Bon, je vais pas te demander dans quelle catégorie tu te situes, ça doit pas être les gravillons.

Je vais m’épargner cette peine. A quoi bon l’entendre se vanter d’être un diamant ? Oh… Non je pouvais faire mieux. Après tout il faisait son petit malin parce que je lui en avais donné les armes ! Mais… Mais je pouvais équilibrer les rôles ! Etre un gravier dans la chaussure ! Ah ! Je prends une grande inspiration, souri, plutôt content je l’admets même si d’un côté c’est grâce à lui :

- Mais tu sais, tu n’es pas non plus si intéressant que ça. C’est vrai qu’au début j’étais emballé par ton électricité alors j’me suis enthousiasmé, mais en fait t’es plutôt chiant comme type.


D’accord, il y avait un peu de mauvaise foi. Je sentais encore son énergie qui m’excitait, qui me faisait imaginer toute sorte de scènes bien peu sages mais il y avait quelque chose de terriblement humiliant sur le fait d’être le seul intéressé et de galérer pour se prendre au final un beau râteau. Si je disais que j’étais pu intéressé, déjà j’aurais l’air plus digne ! J’arrêtais de m’enliser dans cette faiblesse ! Et bien sûr que je ne voulais pas m’éloigner de lui, je me sentais plus vivant, mais à un moment faudrait quitter le toit et il risquait de le faire en me plantant comme un con. SAUF si c’est moi qui le plantais ! Je décidais d’enfoncer le clou joyeusement :

- Du coup, je te laisse jouer le tamis et moi je vais aller m’amuser !

Et traversait la porte. C’était relativement faux évidemment, je n’avais plus de temps de tangibilité alors ce n’était pas très amusant mais il n’était pas obligé de le savoir. Toutefois j’espérais trouver des idées à accomplir pour prouver que je n’étais pas fade ! Ainsi il s’intéresserait peut-être à moi !

Piqué au vif, Arkady ne tarde pas à réagir aux qualificatifs peu gratifiants que je lui attribue. J’esquisse un sourire en coin ; je sais très bien que t’avais compris, petit. C’est inutile de le dire à voix haute. Tu ne sais décidément pas quand l’ouvrir et quand la fermer. L’ex sorcier s’enfonce un peu plus en commentant ma vision des autres. Je ne prends pas la peine de répondre. Je reste même totalement impassible. Le vent aurait pu souffler sur une montagne, le résultat aurait été le même. Son manque de répartie est affligeant. J’ai fait des efforts pour me montrer sympathique, puis je me suis donné de la peine pour faire ressortir le semblant de tempérament qui couve en lui. Ou du moins que je pensais couver en lui. Mais alors que ça devient intéressant, il se vautre et s’empêtre dans sa répartie douteuse. Quelle déception. J’en pousse même un soupire de lassitude.

Je distingue une étincelle dans son regard. Une idée germe dans son esprit revanchard. Il sourit, fier, visiblement content de sa trouvaille. Allons bon, va-t-il enfin faire preuve d’esprit enflammé ? Vais-je enfin avoir droit à une véritable joute verbale ? … Non. Il retourne simplement sa veste en feignant le désintéressement soudain. Ben voyons. Je le prendrais presque en pitié tellement sa performance est pitoyable. Déjà, il n’est pas crédible. Il ne croit même pas à son propre mensonge. Et chiant ? C’est tout ce qu’il a trouvé ? Il ne pense quand même pas que ça va m’atteindre. Son avis m’importe peu. Après tout, ce n’est pas moi qui cherche à lui plaire dans l’histoire.

Je laisse échapper une expiration brusque, l’air faussement désolé, hochant la tête de droite à gauche comme un enseignant qui réprimande un élève. Quel faux espoir. Je doute de pouvoir vraiment en tirer quelque chose finalement. Et il s’enfonce davantage avec une ultime pique, qu’il estime être la meilleure de l’année, certainement. Jouer au tamis. C’est tellement désespérant. Pire. C’est ennuyant.

"C’est ça, c’est ça. Va donc t’amuser."

Il a déjà disparu derrière la porte. J’avais tout le temps de le rattraper. Après tout, je suis aussi rapide que l’éclair. Mais je n’en ai pas envie. Sa présence ne me divertit plus. Je ne le retiens donc pas. Il pense certainement avoir eu le dernier mot. Il se sent fier d’être le premier à partir. Mais je m’en contrefiche. Je ne m’attarde pas sur de vulgaires détails. Chercher à avoir le dernier mot, quand on n’a aucune répartie, et se satisfaire d’un acte aussi insignifiant… Nous n’évoluons vraiment pas dans le même monde.

Loin d’être indisposé par son départ, qui m’arrange, je me tourne de nouveau vers la ville en contrebas. Je vais pouvoir me concentrer sur des choses qui en valent vraiment la peine. Seulement, il va me falloir une activité assez riche pour chasser l’ennui et la déception. Voyons. Le ciel est sombre à l’horizon. Un orage se prépare à une centaine de kilomètre. Voilà qui fera office de distraction. ça aura le mérite de me recharger en énergie. Et après ça je pourrai réfléchir à cette rencontre et ce qu’elle implique, notamment évaluer le niveau de menace d’Arkady envers notre organisation et nos… desseins. Il faudra que j’en touche un mot à Tibalt. Je quitte mon perchoir en une fraction de seconde, en direction du ciel colérique au loin.  C’est l’heure des vraies réjouissances !