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Ven 4 Mai 2018 - 22:33
Il était une 1 heure 49 lorsque les yeux d'Alister DeBelair se fermèrent.
On ne se souvient jamais des rêves ; si bien que l'anglais pensait depuis toujours ne jamais en faire. Pour lui dormir était synonyme d'un espace blanc entre deux points temporels et si on le lui demandait il avouerait voir en le sommeil une perte de temps, un défaut dans la mécanique humaine.
Pourtant, cette nuit-là semblait unique.
Peut-être parce que juste avant d'aller se coucher -après avoir fumé longuement l'opium- en lisant une partie de l'Encyclopédie de Diderot, un corbeau vint voleter face à sa fenêtre et le toisa un léger moment. Un simple événement, mais dont la proximité avec le poème The Crow de Poe le fit frissonner. Il aimait ces sinistres oiseaux, porteurs psychopompes pour certains, avatars de forces obscures pour d'autres, mais ils avaient un certain je ne sais quoi d'inquiétant.
Il dormit presque de suite, porté par les brumes denses de l'opiacé.
- Mood:
Le monde se perdit dans l'ombre de ses paupières closes, avalé en un éclair comme toujours, et il flotta dans le temps lui-même vaquant aux limbes de la torpeur sans animosités aucunes.
Il ouvrit de nouveau les yeux.
Sur une ville qu'il connaissait bien, trop bien même ; Versailles.
C'était là où il avait mené ses années d'études, de ses huit jusqu'à ses vingt et un an. Il était plus précisément dans l'énorme colline qui bordait le manoir Rougebrin, résidence de son Maître et laboratoire officieux de l'Ordre.
Avec la surprise inhérente aux rêves -aucune- il constata être en train d'admirer sa propre arrivée au domicile. Il vit la limousine qui l'avait transporté de l'aéroport Saint-Exupéry jusqu'ici déposer un enfant quelque peu angoissé sur le perron et attendre.
Oui... il s'en souvenait, c'était si loin.
Il avait attendu, des heures. Il avait attendu dans le froid, sans valise car on lui avait spécifié l'inutilité de transporter quoi que ce soit, vêtu d'un ensemble gris et d'une coupe de cheveux bien plus courte qu'aujourd'hui.
Patienter, encore et toujours, jusqu'à ce que le froid le fasse battre des dents, mais même là on ne lui ouvrit pas.
On le laissa debout plusieurs jours, et il dû même repousser un chien errant, affamé qui passait par là. L'attaque s'était déroulée alors qu'il essayait de dormir, en boule, sur le perron de la porte en bois titanesque dont il avait renoncer à toquer au bout de plusieurs heures sans réponse.
Il se souvenait de sa gueule écumante et ses yeux exorbités.
De sa peur, et du liquide chaud qui coula le long de ses jambes en le voyant plonger sur lui. Il avait prit un cailloux, alors que l'animal lui dévorait un bras, et il avait tapé. Une fois, deux fois. Trois fois. Quatre. Encore et encore.
Comme il avait attendu, comme il était épuisé et affamé, il avait déchainé ses instincts sans même s'en apercevoir. Le garçon avait frappé le pauvre chien les larmes aux yeux, totalement désespéré, jusqu'à ce que ne subsiste de son assaillant -dont la famine avait dû égaler la sienne- qu'un amas secoué de spasmes.
Alors, après qu'il eut hurlé jusqu'à s'en rompre les cordes vocales, une voix dure lui vociféra de se taire et de se réjouir qu'il ne s'agisse pas là d'un Lycan.
Terme qui lui inspira dès lors une terreur infinie.
Les images sautèrent, comme dans un cinéma mal orchestré, et il se trouva à flotter au-dessus d'un Alister de quinze ans, à l'intérieur du Manoir Rougebrin cette fois. Il se trouvait devant sa glace dans une chambre seulement décorée d'un bout de verre en guise de miroir, d'une photo de sa défunte mère, et d'un lit aux draps blancs et noirs.
Il se suivit quitter les lieux et se diriger vers la salle à manger, où l'attendait Maître Rougebrin pour le petit-déjeuner ; une viennoiserie et un café comme d'habitude l'attendaient, mais il remarqua avec stupeur le petit pot de confiture en extra.
Déjà à l'époque il avait trouvé cet excès de gentillesse étrange.
On lui annonçait alors le décès de son père, sur le même ton qu'on lui annonçait les leçons de la journée. On lui attribuerait l'héritage familial, fier de plusieurs millions, l'année de ses quinze ans.
Dès lors le rêve opéra dans sa construction un tournant surréaliste et dans l'énorme pièce tout se transforma. Les bonnes disparurent, emportées par une brume étrange, opaque, et presque sucrée à l'odeur. Maître Rougebrin disparut également, happé par un nouveau saut d'image.
Il se trouvait seul, avec cet Alister en train de manger son croissant qu'il trempait de temps à autre dans le café. Cet Alister qui ne se retournait pas pour le regarder, droit dans sa chaise, un journal mis à sa disposition qu'il lirait comme tous les jours. C'était totalement fou de se voir soi-même ; encore plus lorsqu'on était entouré par un brouillard dense en plein intérieur.
Comme dans ses souvenirs ; son alter-ego prit le journal et commença à le feuilleter, mais -et car les rêves sont toujours des distorsions du réel- ledit doppelgänger se tourna et le dévisagea longuement.
Il vit ce jeune DeBelair, encore tâché d’acné et sans la cicatrice qu'il arborait à la base du cou -qu'il dissimulait aujourd'hui grâce aux cols de chemise-. Il constatait la pureté de cette jeunesse avec une certaine amertume, et une colère qu'il ne ressentait jamais.
- Bonjour.
Commença l'adolescent en se retournant, avant de s'avancer alors que les brumes délicieuses du rêve menaçaient de l'avaler lui aussi.
- Je sais ce qu'ils disent de nous. Qu'on ment, qu'on manipule.. est-ce que c'est vrai toi qui est plus vieux ?
Le petit homme s'avança, mal assuré, d'une démarche de garçon -car il n'avait pas encore appris à rester droit en toute circonstance- pour venir lui caresser tendrement la joue.
- Et qu'est-ce qu'on était supposé faire ? On avait huit ans... a-t-on eu notre mot à dire ? On était si innocent.
Mais déjà il disparaissait dans les vastes étendues oniriques, engloutit dans une immensité aux couleurs de son t-shirt.
DeBelair se laissait flotter, apathique de songes, jusqu'à un nouveau rivage ; une rivière dans laquelle brulait un ciel nocturne dégagé. Un cour d'eau serein qu'il avait souvent entendu de sa chambre anglaise.
Il était de retour à la maison.
Alors, et sans savoir trop pourquoi, il se retrouvait assis au bord de ce miroir parfait de corps célestes et étoiles flamboyantes.
Le ruisseau devenait l'espace de quelques soirées une trainée galactique qu'il aimait observer. Il s'assit au bord de celui-ci, et regarda longuement l'horizon, de ses yeux bleus, en découvrant être affublé d'un costume blanc dans le reflet qu'il aperçut de sa personne. Curieusement, toute notion vestimentaire lui semblait sans importance dans cet univers-ci...
Dehors chantaient les hiboux et les cigales d'été, au gré des herbes agitées par les vents chauds, et DeBelair s'allongea en ramenant ses bras derrière la tête si bien qu'il se demanda si l'on pouvait dormir dans un rêve...
Une douce nuit que celle-ci ! Une merveilleuse nuit dans laquelle méditer, lové en un cadre envoûtant.
Il se laissa donc aller à un moment de repos, réel et entier dans une terre d'onirismes, là où rien n'importait plus et où tout était chatoyant de beauté.
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Mar 8 Mai 2018 - 0:17
J'étais couchée sur le carrelage glacé. J'avais froid, tellement froid… Pourquoi est-ce que je ne me relevais pas ? Je n'y arrivais pas. Ou je n'avais pas assez de volonté pour le faire, je ne savais pas trop. Des pas résonnaient dans le lointain. Ceux d'Ayumi ? Je ne pouvais pas à me concentrer suffisamment pour reconnaître cette démarche. Mon esprit était si engourdi, confus. Je n'arrivais même pas à comprendre où j'étais. Mes sens étaient en perdition. Il y avait juste ce carrelage et le son de ces pas. Et cette peur, insidieuse, qui me serrait la poitrine. Je finis par parvenir à bouger légèrement les doigts. Ils rencontrèrent quelque chose de chaud et humide qui se répandait lentement. Ce n'est qu'à ce moment que je réalisai la forte odeur de sang autour de moi, celle de mon sang. Une douleur sourde traversa tout mon corps. Lentement, tant que bien que mal, je remontai ma main vers ma poitrine pour y toucher ce que je savais déjà que j'y trouverais : l'acier d'une lame planté dans mon cœur. Ma respiration s'accéléra, tandis que je prenais de plus en plus conscience de la douleur émanant de ma poitrine meurtrie. La panique me gagna, irrépressible, tandis que je sentais ma conscience sombrer.
Alors que j'allais hurler, je sentis le sol gondoler. La surface des carreaux se ramollit jusqu'à prendre la texture d'un sirop épais que je traversai lentement. Puis je tombai. Je ne percevais plus rien, ni son, ni odeur, ni même d'autre variation dans l'air que celle de ma chute. Il ne faisait plus froid, mais pas chaud non plus. Le néant. Soudain, mon visage rencontra à nouveau cette texture désagréable. L'instant d'après, je sentais à nouveau l'air sur ma peau. Seul le souvenir de la douleur persistait. Les seules odeurs qui me parvenaient était celle de l'herbe et de la terre humide. L'agréable gargouillis d'un ruisseau résonnait doucement. J'entendais les cigales chanter, comme en plein été.
J'ouvris les yeux et les laissai s'adapter à la lumière et aux couleurs. Il faisait nuit et j'en étais heureuse. La transition était beaucoup plus douce que si le soleil avait brillé dans le ciel. Je me relevai doucement et secouai mes cheveux pour en faire tomber les herbes qui s'y étaient accrochées. Mon autre main se porta machinalement à mon cœur, mais il n'y avait plus rien d'autre que le tissu d'une robe estivale blanche à manches courtes, très simple, m'arrivant en dessous du genou. Mes pieds étaient nus. Sur la pâleur marmoréenne de ma peau, cette tenue me donnait des airs de fantôme ou d'apparition. Seuls mes yeux améthystes et mes cheveux sombres ressortaient. Je savais dors et déjà que j'étais dans le rêve de quelqu'un. Il n'y avait que dans le monde des rêves que j'étais libérée de mes contraintes physiques et que je recouvrais la vue. Seul l'esprit pouvait y parvenir.
Ce rêve de mort, je le faisais souvent, désormais. J'y étais aveugle parce qu'il n'était pas comme les autres. La première fois que je l'avais fait, j'avais aussi découvert mon don pour les rêves prophétiques. Jusqu'à aujourd'hui, je ne m'étais jamais trompée. S'il me faisait aussi peur, c'est parce qu'il arriverait inévitablement dans le monde réel. Les questions étaient juste quand, où et par la main de qui. A cause de ma faible constitution, ma régénération n'était pas aussi rapide que celle de mes congénères. Il ne s'agissait pas forcément d'une arme magique. Cela pouvait être n'importe qui. Mon inconscient avait dû chercher à fuir. Il avait tissé un pont éphémère entre les deux rêves et j'avais atterri ici, manifestement en sortant du sol, malgré mes vêtements impeccablement propres. Depuis toujours, mes pouvoirs étaient instables. A l'instar de mes rêves prémonitoires, je choisissais rarement le moment où je voyageais dans le monde onirique et à qui je rendais visite. J'aurais préféré me réveiller simplement. Maintenant, il allait falloir que je trouvasse le moyen de sortir d'ici.
Je détaillai rapidement mon environnement. C'était une chaude nuit d'été. Le cours d'eau que j'avais entendu coulait paresseusement dans la plaine. Je m'arrêtai un moment pour le contempler, car il était tout bonnement magnifique. J'ignorais si c'était le ciel qui se reflétait dedans tel dans un miroir ou s'il portait ses propres constellations, mais sa surface brillait d'étoiles et d'astres lointains, comme un long fragment d'une galaxie. C'était un rêve doux et paisible. C'était sûrement ce qui avait attiré mon inconscient, en opposition à mon cauchemar.
Il fallut bien m'arracher à ma propre rêverie pour chercher une solution. En cas d'incident de ce genre, l'idéal était de chercher le propriétaire du rêve. Quand il se réveillerait, je serais naturellement éjectée du rêve et mon esprit regagnerait mon corps. Il n'était pas difficile de le distinguer de personnes imaginaires. Quand on rêve, le cerveau ne matérialise pas les visages des gens que l'on rencontre. Le rêveur sait à qui il parle et a l'impression de voir un visage connu car son subconscient le lui suggère, mais je ne voyais personnellement qu'une surface lisse. Ici, les deux seules personnes qui avaient un réel visage à mes yeux étaient moi-même et la personne que je cherchais. D'instinct, je choisis de longer la rivière en suivant le sens de l'eau. La promenade était plaisante dans ce paysage magique. Si j'avais pensé un instant que marcher pied nu serait désagréable, je fus vite rassurée. Inutile de me créer des chaussures. La végétation était fraîche et moelleuse sous mes pas. J'avais l'impression de marcher sur un épais tapis.
Il me fallut peu de temps pour trouver le dormeur. Il était couché dans l'herbe, au bord de l'eau, profitant de la sérénité de cette nuit. C'était un jeune humain, manifestement européen, vêtu d'un élégant costume blanc. Ses traits étaient particulièrement fins pour un homme, bien qu'il n'ait rien d'androgyne. J'hésitai un instant. Il avait l'air si bien installé... Cela me gênait de le déranger. Je remarquai cependant que la question ne se posait plus. L'inconnu avait visiblement pris conscience de ma présence. Je m'inclinai avec grâce, le saluant comme mon égal. En tant qu'intruse dans son subconscient, je lui devais un certain respect. J'avais toujours vu les choses sous cet angle. Je lui souris doucement.
« Bonsoir. Toutes mes excuses pour avoir dérangé votre repos. »
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Ven 11 Mai 2018 - 16:36
Les herbes gagnaient une teinte violacée sous cette Lune d'un Essex merveilleux.
L'anglais frôla la surface de l'eau de sa main droite, errante dans sa torpeur nonchalante, avant de sourire. Il était tellement bien ici, au milieu de toute ces verdures planes et des chants prédateurs des oiseaux nocturnes. Une bien douce mélodie, que les mulots apprécieraient sans doute moins tout étant question de perspective.
Une bien douce odeur boisée lui caressa les narines, émanant de son environnement, parcourant son corps entier... l'opium ?
En passant une main habituée dans sa chevelure, il constata éprouver des sensations au-delà des limites empiriques habituelles, il était bien sous emprise de quelque pipe. Il y avait néanmoins de pires cadres pour une excursion psychédélique que cette rivière constellée d'étoiles, dans laquelle ses yeux auraient pu nager des heures.
Les environs étaient totalement nouveaux, pourtant autrefois si familiers, sublimés par des contours chatoyants et même les sons lui parvenaient en un bien bel orchestre. Dans la pénombre d'une rive, il aperçut plusieurs garçons jouer au basketball dans un terrain en terre battue totalement inapproprié au paysage, mais cela ne le préoccupa pas le moins du monde, au nombre de cinq, trois d'entre eux courraient gaiement, jouant d'un ballon avec une dextérité propre à leur jeune âge.
Il reconnaissait cette scène, car une copie de lui-même se tenait au beau milieu de l'action, assis sur l'une des barrières de l'espace de jeu, discutant avec un camarade -c'était Elliot, un Hunter rencontré à ses 16 ans venu étudier en le manoir Rougebrin- en regardant les autres jouer.
Il se souvenait bien de ces temps, estivaux, passés à courir et jouer en cette petite bande. Alister ressentait encore la sensation du soleil, chaud et apaisant, marchant main dans la main avec des vents emprunts d'une insouciante légèreté. Une époque qu'il ne lui arrivait pas souvent de ressasser, bien qu'il en garda de splendides souvenirs. L'été de ses seize ans était aussi celui où il avait connu les premières joies amoureuses, l'ardente passion par un soleil de plomb et la fougue des émois dans les pénombre fraîches.
Comme il passait de nouveau sa main en l'eau scintillante d'étoiles, il se mit à sourire naïvement en s'abandonnant à une délectation sensorielle. Jim c'était son nom... parmi tant d'autres fréquentés par la suite en les fêtes lycéennes et les après-midi de basketball éternelles, il ne gardait qu'un prénom, qui subsistait douze ans plus tard.
Jim qui lui avait appris les grâces des riffs de guitare, caressés aux abords d'un ruisseau ou au milieu du salon du manoir. Jim qui l'avait invité aux voyages empiriques sous les voix douces des Beatles ou des Ramones, en couronnant ses cheveux noirs de couronnes florales.
Un été choyé de ses réminiscences, qui valsaient de l'autre côté de la rivière galactique avec une précision remarquable ; il n'en avait cure, et scrutait le spectacle sans même y réfléchir.
Il se voyait danser en sa compagnie, de nouveau, sur des rocks légers. Leurs moments à eux, où personne ne pouvait troubler une harmonie totale et sacrée à leurs jeunes yeux. Un amour singulier, que l'agent anglais ne ressentirait plus jamais avec la même intensité, car les premières passions sont toujours les plus vraies.
Un bruit attira soudainement son attention, le détachant de sa rêverie. Une lady, petite de taille mais d'une grande beauté, venait. Ses pas étaient légers et gracieux, allant de paire avec l'image angélique qu'elle dégageait dans sa robe à manches courtes, blanche et tout à fait ravissante.
Elle lui parla d'une voix douce, si bien qu'elle devint tout de suite sympathique à celui qui de toutes manières était bien trop contemplateur en l'instant présent. Un état qui convenait à cette rencontre, pensa-t-il instinctivement.
- Bonsoir. Toutes mes excuses pour avoir dérangé votre repos.
Prenant conscience que sa posture n'était pas appropriée à recevoir la visite d'une dame, Alister DeBelair se redressa instinctivement, le sourire aux lèvres. Il s'assit en tailleurs, et leva ses yeux bleus sur la jeune femme.
- Bonsoir. Alister DeBelair, pour vous servir... je pensais être seul ici. Savez-vous quel est cet époustouflant décor ?
Une honnête question pour celui qui vivait cet instant sans se soucier de son environnement, en opposition totale à ses états normaux. Mais cela ne le préoccupait pas, rien ici ne l'inquiétait, car tout n'était qu'un long fleuve étoilé.
L'anglais frôla la surface de l'eau de sa main droite, errante dans sa torpeur nonchalante, avant de sourire. Il était tellement bien ici, au milieu de toute ces verdures planes et des chants prédateurs des oiseaux nocturnes. Une bien douce mélodie, que les mulots apprécieraient sans doute moins tout étant question de perspective.
Une bien douce odeur boisée lui caressa les narines, émanant de son environnement, parcourant son corps entier... l'opium ?
En passant une main habituée dans sa chevelure, il constata éprouver des sensations au-delà des limites empiriques habituelles, il était bien sous emprise de quelque pipe. Il y avait néanmoins de pires cadres pour une excursion psychédélique que cette rivière constellée d'étoiles, dans laquelle ses yeux auraient pu nager des heures.
Les environs étaient totalement nouveaux, pourtant autrefois si familiers, sublimés par des contours chatoyants et même les sons lui parvenaient en un bien bel orchestre. Dans la pénombre d'une rive, il aperçut plusieurs garçons jouer au basketball dans un terrain en terre battue totalement inapproprié au paysage, mais cela ne le préoccupa pas le moins du monde, au nombre de cinq, trois d'entre eux courraient gaiement, jouant d'un ballon avec une dextérité propre à leur jeune âge.
Il reconnaissait cette scène, car une copie de lui-même se tenait au beau milieu de l'action, assis sur l'une des barrières de l'espace de jeu, discutant avec un camarade -c'était Elliot, un Hunter rencontré à ses 16 ans venu étudier en le manoir Rougebrin- en regardant les autres jouer.
Il se souvenait bien de ces temps, estivaux, passés à courir et jouer en cette petite bande. Alister ressentait encore la sensation du soleil, chaud et apaisant, marchant main dans la main avec des vents emprunts d'une insouciante légèreté. Une époque qu'il ne lui arrivait pas souvent de ressasser, bien qu'il en garda de splendides souvenirs. L'été de ses seize ans était aussi celui où il avait connu les premières joies amoureuses, l'ardente passion par un soleil de plomb et la fougue des émois dans les pénombre fraîches.
Comme il passait de nouveau sa main en l'eau scintillante d'étoiles, il se mit à sourire naïvement en s'abandonnant à une délectation sensorielle. Jim c'était son nom... parmi tant d'autres fréquentés par la suite en les fêtes lycéennes et les après-midi de basketball éternelles, il ne gardait qu'un prénom, qui subsistait douze ans plus tard.
Jim qui lui avait appris les grâces des riffs de guitare, caressés aux abords d'un ruisseau ou au milieu du salon du manoir. Jim qui l'avait invité aux voyages empiriques sous les voix douces des Beatles ou des Ramones, en couronnant ses cheveux noirs de couronnes florales.
Un été choyé de ses réminiscences, qui valsaient de l'autre côté de la rivière galactique avec une précision remarquable ; il n'en avait cure, et scrutait le spectacle sans même y réfléchir.
Il se voyait danser en sa compagnie, de nouveau, sur des rocks légers. Leurs moments à eux, où personne ne pouvait troubler une harmonie totale et sacrée à leurs jeunes yeux. Un amour singulier, que l'agent anglais ne ressentirait plus jamais avec la même intensité, car les premières passions sont toujours les plus vraies.
Un bruit attira soudainement son attention, le détachant de sa rêverie. Une lady, petite de taille mais d'une grande beauté, venait. Ses pas étaient légers et gracieux, allant de paire avec l'image angélique qu'elle dégageait dans sa robe à manches courtes, blanche et tout à fait ravissante.
Elle lui parla d'une voix douce, si bien qu'elle devint tout de suite sympathique à celui qui de toutes manières était bien trop contemplateur en l'instant présent. Un état qui convenait à cette rencontre, pensa-t-il instinctivement.
- Bonsoir. Toutes mes excuses pour avoir dérangé votre repos.
Prenant conscience que sa posture n'était pas appropriée à recevoir la visite d'une dame, Alister DeBelair se redressa instinctivement, le sourire aux lèvres. Il s'assit en tailleurs, et leva ses yeux bleus sur la jeune femme.
- Bonsoir. Alister DeBelair, pour vous servir... je pensais être seul ici. Savez-vous quel est cet époustouflant décor ?
Une honnête question pour celui qui vivait cet instant sans se soucier de son environnement, en opposition totale à ses états normaux. Mais cela ne le préoccupait pas, rien ici ne l'inquiétait, car tout n'était qu'un long fleuve étoilé.
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Dim 8 Juil 2018 - 18:53
Le rêveur se redressa avec un aimable sourire, s’asseyant en tailleur au bord de l’eau. Il avait toujours l’air parfaitement détendu. Je l’avoue, sur l’instant, je lui enviai quelque peu cette tranquillité parfaite qui apparaissait sur ces traits. Je n’étais pas certaine d’avoir pu atteindre cet idéal une fois dans ma vie. D’aucun diraient que j’avais tout ce qu’il me faut pour vivre, qu’on me donnait tout ce que je pouvais demander, tant qu’il ne s’agissait que d’argent et que je n’avais pas à me plaindre. J’avais bien perçu comment les riches oisifs étaient perçus par les classes plus populaires dans les romans qu’on me lisait. Mais le bonheur était ailleurs. La liberté serait sans doute un bon début. Cependant, rien ne garantissait que ce n’était pas ce si beau rêve qui le plongeait dans cette douce nonchalance. Je ne savais rien de lui, que ce soit qui il était, dans quel pays dormait-il ou ce qu’il faisait de ses journées. Il était impossible de juger de la personnalité de quelqu’un dans un rêve. Tout pouvait être chamboulé. Un saint pouvait devenir un tyran et une horrible personne le plus doux des agneaux.
« Bonsoir. Alister DeBelair, pour vous servir… Je pensais être seul ici. Savez-vous quel est cet époustouflant décor ? »
Il était peu courant qu’un environnement surprenne un rêveur. En général, tout paraît tellement normal, lorsque l’on dort. Je n’étais pas fine psychologue, mais je me demandais si quelque chose ne le dérangeait pas dans son sommeil, là où il dormait. Si c’était le cas, il serait simple, très simple de sortir d’ici. Cela ne marchait pas à tous les coups, mais une fois que le dormeur avait conscience de rêver, il avait de bonne chance pour percevoir l’absurde dans le rêve, et ainsi éveiller sa conscience. Toutefois, je n’étais pas sûre d’avoir envie de partir. Tout en ces lieux était si paisible et beau, et la compagnie de mon hôte s’avérait plaisante. Je pourrais rester un peu ici, discuter, apprendre à la connaître. Lui demander de me parler du monde, le vrai, pas celui décrit dans les romans. C’était terriblement tentant.
La voix d’Ayumi me revint, m’expliquant qu’elle trouvait malsain que je me perdisse ainsi dans mes rêves, que la réalité était ailleurs, plus importante et qu’il valait mieux améliorer la situation réelle que de chercher une échappatoire dans le subconscient des autres. Une triste vérité, mais je ne pouvais que lui donner raison. Je secouai la tête doucement, un peu peinée de devoir quitter ce merveilleux endroit. J’allais lui expliquer où il était, et s’il ne s’éveillait pas tout de suite, je pourrais au moins dire que j’avais essayé. Au fond, j’espérais tout de même qu’il dormît encore un peu et me tînt compagnie.
« Enchantée, Alister. Je m’appelle Anna Lena. Je crains de m’être égarée dans votre rêve. J’espère que vous ne m’en tiendrez pas rigueur. »
Je marquai une courte pause, lui laissant le temps de comprendre.
« Ce magnifique endroit est une création de votre subconscient. Vous devez avoir une très belle imagination… »
Je souris doucement. Je n’en suis pas certaine, mais je crois qu’il n’avait pas l’air trop surpris de la nouvelle. Le décor cependant commença à vaciller. Tant pis pour mes espoirs. J’avais atteint mon but. Alister s’éveillait lentement. Je me laissai glisser hors du rêve tandis que le fleuve disparaissait peu à peu, avec une pointe de culpabilité d’avoir interrompu un rêve qui semblait si agréable.
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