Échec et mat [PV John] [23/06/2018]

La question la déstabilisa pendant une seconde. Évidemment que ce n'était pas une arme anti-vampire. Elle ne se sentait pas en danger, d'abord. Seul un Hunter pouvait en détenir une, et s'il n'était pas avec les Chevaliers, alors il était probablement avec les Renfield. Mais il aurait planté son épée dans son cœur dès qu'il en aurait eu l'occasion, pour la renvoyer en enfer ou Dieu seul sait quel autre mensonge qu'ils leur remplissaient la tête. À moins qu'il joue un double jeu tordu et insidieux. Un cercle d'indépendants n'était pas une idée complètement folle. Mais elle en avait déjà trop dit, ou pas assez. Alors puisqu'il l'encourageait à continuer sans attendre de rebuffade ... Autant vider son sac.

« Personne n'en parle jamais, évidemment ! Ces enfants sont extrêmement rares et seraient mis à mort avant leur dixième anniversaire, si ce n'est pas visible à la naissance. Mais mon père a toujours eu une vision peu traditionaliste de la vie. Il a épousé une humaine, il l'a transformé, et me voici. Une véritable histoire de Cendrillon, pas vrai ? »

Il lui manquait juste un prince. L'idée la fit ricaner, presque légèrement. On lui disait souvent qu'elle exagérait. Était-ce encore le cas, dans cette situation ? Elle repensa alors à Anna Lena. Si même une Level A aussi gentille était mise de côté, alors le danger était bien réel. Bien sûr, elle n'éventerait pas cette histoire. Tout simplement, il avait dit qu'il cherchait à trouver des incohérences et des points d'ombre chez les vampires. Qu'il sache dans quoi il mettait les pieds exactement. Parfois, on pourrait croire que les vampires mangeaient du complot pour petit déjeuner, et non pas du sang frais. Le clan, ce n'était qu'une goutte d'eau dans l'océan.

« Si je connaissais les menus détails, je ne serais pas coincée. Tout cela a un lien avec mon grand-père, je le sens, puisque personne n'en parle jamais non plus, peut-être même que cela remonte à plus loin encore, mais je n'ai aucun moyen de le contacter. Même si c'était le cas, il me tournerait probablement le dos. »

Pourquoi son père devrait-il la protéger, sinon ? Même si Julien était un haut gradé dans ce clan fantôme étendant l'ombre d'une menace sur leur vie à tous, elle était d'un rang inférieur et on ne la laisserait pas saisir cet héritage, à supposer qu'elle en ait envie. Plus de responsabilités, tout ça ... Tout ce qu'il lui manquait, c'était un nom. Tout n'était pas noir et blanc, évidemment, mais elle serait restée en France, si elle avait peur des obstacles posés sur sa route. Elle avait juste envie d'avoir l'impression d'avoir un peu de pouvoir entre ses mains, pour décider de se présenter et de prier pour le mieux, ou de continuer à vivre dans l'ombre jusqu'à ce qu'on lui tombe dessus.

« Je vous remercie pour votre offre généreuse monsieur Smith mais comment pourriez-vous m'aider sans compromettre ma sécurité ? Vous avez déjà fort à faire avec les lycans fous en plus ... À trois contre un, nous n'avons pas fait le poids seuls. »

Sans doute était-il inutile d'en rajouter une couche, mais c'etaIt plus fort qu'elle. Elle aimait avoir le dernier mot, puisque personne n'avait voulu l'écouter pendant de longues années.

Maria était reconnaissante que son interlocuteur l'ait écouté jusqu,au bout avant d'émettre le moindre commentaire. Même si ce n'était pas la première fois qu'elle se confiait, cela restait difficile d'admettre ce qu'elle était. Elle l'avait accepté. Pour autant, elle n'avait personne vers qui se tourner si les choses se passaient mal et que quelqu'un profitait de sa faiblesse pour la rabaisser plus bas que terre. Il y avait des limites à ce que sa volonté était prête à affronter toute seule, après tout, elle avait failli déraper ce soir. Jusqu'à maintenant, elle avait été chanceuse, surtout, et elle était restée à sa place.

Voilà le cœur de la question. Voulait-elle savoir ? Tout ce temps, Maria avait cherché des réponses en croyant qu'en découvrant son passé, peut-être découvrirait-elle un moyen de surmonter sa faiblesse. En un sens, elle y était parvenue toute seule, à force de surmonter ses propres défis. Ce n'était finalement pas uniquement un besoin de protection qui motivait ses actes : elle en avait assez de se poser des questions sur le moindre de ses faits et gestes en ne sachant pas si quelqu'un n'allait pas débarquer pour mettre sa vie sens dessus dessous. Sa vie était en suspens, en quelque sorte, en attendant. Peut-être était-ce pour cela qu'elle restait souvent distante et en surface, sans vraiment s'engager envers les autres. Alors, pour une fois, une fois de plus depuis qu'elle avait quitté la maison sans un regard en arrière, elle allait se faire égoïste et dire clairement ce qu'elle souhaitait.

« Je veux bien vous faire confiance. Il faut chercher des informations sur Vincent ou Julien Blanchet dans ce cas. J'ai déjà fait des recherches mais j'ai l'impression que quelqu'un s'amuse à me bloquer l'accès. Bien sûr cela ne fait que renforcer mon malaise, si on a mis autant d'efforts pour me garder dans l'ignorance, je ne m'attends pas à ce que les raisons me plaisent. »

Inutile de remonter la piste de sa mère alors qu'elle n'était pas directement mêlée à ces vieilles histoires de vampires. Sans doute avait-il des outils dans sa manche dont elle ne soupçonnait même pas l'existence. Même si le feutre haut de forme allait très bien à monsieur Smith et l'image qu'il voulait donner de lui-même, elle ne doutait pas qu'il avait l'habitude de porter plusieurs chapeaux. Maria se demandait tout à coup s'il ne pourrait pas lui donner quelques conseils ; très certainement, sous la supervision du MI-6, il avait pu obtenir de l'expérience dont elle ne pouvait que rêver, elle qui s'était lancée toute seule. Il faudrait voir comment il se débrouillerait avec cette affaire et comment évoluerait leur relation dans le cadre de l'enquête sur les lycans.

« Voilà mon numéro, si vous avez besoin de me contacter. Ne me décevez pas ! »

Maria dit cette dernière réplique sur un ton de plaisanterie, attendant qu'il lui retourne la faveur avant de relâcher le bout de papier. Bien sûr, c'était risqué de lui donner ses renseignements personnels, cela ne faisait sûrement que renforcer l'impression qu'elle était désespérée ce qui donnait une bien triste image d'elle-même, mais qu'est-ce qui n'était pas risqué pour l'un comme pour l'autre, dans toute cette situation ? Ce n'est pas comme si elle avait l'habitude de faire une telle chose. Elle pouvait toujours changer de numéro, au besoin. Cela n'aurait pas été la première fois. Elle lui serait tout simplement redevable, s'il réussissait à lui enlever cette épine du pied. Et dans le cas contraire, s'il tentait de lui faire un coup fourré, sa vengeance serait terrible.

D'ailleurs, elle le recontacterait sûrement bien vite, dès qu'elle aurait le temps de se poser pour lire cette lettre plus attentivement ...