Paillettes et étincelles [PV Anna Lena] (20/06/2018)

« Juste ciel, non ! Un Level D qui a mal tourné. »

« Oh. »

Je me sentis soudain idiote d’avoir fait ce rapprochement hâtif avec les lycans. Ma compréhension du monde était somme toute assez limitée, mais je ne pouvais en vouloir à personne, puisque je me tenais volontairement à l’écart de beaucoup de choses. Je n’avais pas du tout pensé à un level E. Les contes pour jeunes vampires étaient bourrés de level D qui devenaient agressifs. C’était peut-être un moyen d’inciter les level A à ne pas changer d’humains en vampires, mais en général, ces histoires glaçaient le sang. Pourtant, une fois leurs pouvoirs acquis, les sangs purs n’avaient plus grand-chose à craindre des level E. Du moins la plupart. Pour ma part, l’idée d’en croiser un restait autant effrayante que de rencontrer un lycan. Après tout, je n’étais pas plus forte que l’humain qui était mort dans cette ruelle dont Mademoiselle Blanchet parlait, et mes pouvoirs ne me servirait à rien pour me défendre. Monseigneur Dwight Hodgkin avait beau dire qu’ils pouvaient être redoutables, cela me paraissait toujours absurde.

« Si ça avait été un lycan, nous n'aurions peut-être pas pu éviter un massacre et le théâtre aurait fermé ses portes. Je ne souhaite à personne de se retrouver en mauvaise posture face à l'un d'entre eux en tout cas, j'en ai assez vu pendant Halloween pour ma part ... Votre père doit être très occupé par cette affaire, n'est-ce pas ? Il parait qu'il y avait une grande réunion ce soir, mais elles sont tellement ennuyeuses ... J'espérais que celle-ci soit plus animée. Ne le répétez pas, mais je suis soulagée, en un sens, qu'il ne risque pas de venir ici, même si c'est dommage pour vous, milady. Je suppose que c'est le lot des Level A ... »

Un massacre… J’ignorais ce qui s’était passé à Halloween, mais tout cela m’intriguait profondément, même si je trouvais ce sentiment plutôt morbide et dérangeant. Quant à mon père, je ne pouvais qu’avouer que j’étais sans doute plus soulagée que mon interlocutrice qu’il fût absent. J’avais beau chercher son approbation, il n’en restait pas moins effrayant. D’ailleurs, je n’avais aucune idée de la politique de mon père, mais du peu que je le connaissais, cela m’aurait étonné qu’il s’intéressât vraiment à ce qui se passait au Japon, quand bien même le Sénat se trouverait dans la ville en question. A moins que les lycans fussent aussi présent en Allemagne, ce dont je n’avais aucune idée. En tout cas, elle devait parler de la réunion à laquelle Alessio avait dû se rendre.

« Mon père n’est pas le genre de personne que l’on apprécie de croiser quand l’on cherche à se détendre, soufflai-je. Je le suis tout autant que vous. »

En fait, je n’aurais peut-être pas souhaité venir à cette soirée si j’avais su qu’il allait s’y rendre également. Par contre, la présence d’autres personnes comptait pour moi, même si j’avais peu d’espoir qu’ils fussent-là.

« Maintenant j'ai très envie de danser. Pas vous ? »

Je secouai doucement la tête.

« Je suis désolée, mais je préfère réserver ma première danse à mon fiancé, qui a dû annuler sa venue pour se rendre à cette fameuse réunion. »

J’avais hâte de danser avec Alessio. De plus, il connaissait ma condition d’aveugle, et ce serait donc beaucoup plus simple. Pour l’instant, danser avec un homme inconnu ne me disait trop rien. J’aurais préféré poser d’autres questions sur Halloween, mais ces évènement semblaient compliqués à évoquer, et je ne voulais pas assombrir l’ambiance. J’en profitai donc pour demander une question qui m’était importante.

« Dites-moi, est-ce que ma mère ou mon frère Ulrich sont là ? »

En tant que noble, elle connaissait forcément le nom et le visage de Reika et Ulrich von Reizel. J’avais été séparée de ma mère très jeune et je n’avais jamais rencontré mon frère, mais les retrouver était un de mes souhaits les plus chers. Ayumi m’avait toujours dit que ma mère m’aimait, que c’était elle qui m’avait sauvé la vie quand j’étais née, en convaincant son époux de ne pas me tuer. J'avais cependant assez peu d'espoirs qu'ils fussent présents ici. Ils étaient probablement en Allemagne. Mais cela ne coûtait rien de demander.

« Ah, et ne vous inquiétez pas pour moi. Je ne veux surtout pas vous empêcher de danser. Allez donc vous amuser. »

Je lui souris sincèrement.

Lorsque deux femmes font semblant de connaître les moindres ficelles d’un univers qui les dépassent, on ne pouvait éviter l’inéluctable : la conversation avait trouvé un point d’arrêt. Maria ne connaissait pas bien les rouages de la politique vampire. C’est bien pour cela qu’elle n’avait fait que mentionner le sujet rapidement avant d’essayer de revenir à la soirée en question. S’il y avait une fête, aussi bien essayer de s’amuser, non ? D’ailleurs, y avait-il une raison particulière à cette réception au-delà d’élargir le cercle social de milady Von Reizel ? Elle n’osait pas le demander. Si elle avait bel et bien reçu une invitation comme elle le prétendait, elle aurait dû connaître ce genre d’information.

Si elle devait être honnête, Maria était un peu déçue que l'on décline son invitation, cependant, ce n'était apparemment pas pour des raisons malicieuses. Anna Lena n’avait tout simplement pas compris ses intentions. Il n'était pas question de danser avec un homme ! Sans doute l’actrice était-elle un esprit trop libre et loin des conventions, mais après tout, on ne fait pas non plus ce genre d’activités qui peut être acceptable entre amies avec une personne que l’on vient à peine de rencontrer. Peut-être était-ce mieux qu'elle ait refusé, en fin de compte, pour qu'on ne se moque pas d'elles. Un détail avait toutefois retenu son attention, l'empêchant de se morfondre plus longtemps sur le fait que cette soirée était, globalement, un échec.

« Votre fiancé ? De qui s'agit-il ? »

Il faudrait lui pardonner sa curiosité mais . Elle ne put s'empêcher s'écarquiller le regard en entendant la réponse. Le seigneur Di Altiero ? Rien que cela ? Un chef de clan avec la fille d'un autre ... Ça sentait les magouilles politiques à plein nez. Maria se demandait si Alessio ressemblait à son frère ; ils ne s’étaient peut-être croisé qu’une fois jusqu’à présent, dans le cadre du travail, mais la jeune aristocrate en gardait un souvenir mémorable et pas juste parce que ses nerfs avaient failli la lâcher plusieurs fois ce jour-là ; on pouvait dire que c’était un personnage haut en couleur. Peut-être que, si c'était le cas, il pouvait y avoir un peu de bonheur qui pouvait naître de cette union, même si c'était probablement un mariage arrangé parmi tant d'autres chez les vampires. Ça lui rappelait d'ailleurs qu'elle était elle-même en âge de trouver un mari. Elle retint une grimace et s'empêcha de grincer les dents à cette pensée.

Aaaah mais cette demoiselle était bien trop adorable pour son propre bien. Chacun des Level A que Maria avait rencontré était différent, décidément : ce ne serait probablement pas suffisant pour qu'elle cesse toute méfiance à propos de ces créatures surpuissantes, mais il était difficile de ne pas ressentir une petite pointe de compassion en voyant ce sourire sincère, alors que la star de la soirée souhaitait juste voir un visage familier, ou en tout cas un membre de sa famille. Était-ce parce que Maria avait souligné l'absence du vieux Albericht ? Franchement, elle avait de la chance qu'on ne lui en tienne pas rigueur ...

« Je suis désolée mais je ne les vois pas ... Peut-être arriveront-ils en même temps que votre fiancé ? »

Maria ne pouvait pas retenir l'inquiétude qu'elle ressentait pour l'aveugle dans sa voix. Il faut dire qu'elle connaissait bien ce sentiment parfois angoissant de ne pas avoir l'approbation des siens. Si Anna Lena était aussi isolée qu'elle le laissait plus ou moins entendre, ce n'était pas bon signe qu'elle soit toute seule à l'exception de sa dame de compagnie dans un pays si éloigné du sien et aux coutumes bien différentes. Pour la soirée, cela ne devait pas trop se sentir, mais son séjour devait durer depuis quelques temps déjà et se prolongerait certainement si elle devait partager la vie d'un Sénateur aussi haut placé. Et elle ne pourrait pas échapper éternellement aux ennuis qui rôdaient dans la ville ...

En parcourant la salle du regard pour répondre à la requête de sa camarade, Maria avait aussi pris note inconsciemment de l'heure qu'il était. Bonté divine ! Les deux heures qu'elle avait donné à son chauffeur improvisé étaient presque écoulées. Bien entendu, elle pouvait sortir et lui demander à Ren de repasser plus tard mais ... Elle ne pouvait pas risquer de laisser un humain qui - à première vue - ne connaissait rien à l'existence des vampires en plein nid de vipères. Il avait beau y avoir du sang frais dans les coupes au buffet, on n'est jamais trop prudent. Un accident était si vite arrivé. Finalement, elle ne pourrait pas du tout profiter de cette danse. Dommage.

« Je sais reconnaître lorsque je ne suis pas la bienvenue ... Mais si vous souhaitez que l'on discute davantage, je passe beaucoup de temps à ce salon de thé, Au temps perdu. »

Elle se sentait un peu penaude d'abandonner Anna Lena de la sorte, alors elle lui offrait cette proposition, lui remettant la carte entre les doigts gantés de la belle. Dans un cadre plus tranquille, elles auraient une meilleure occasion pour faire connaissance et parler plus longuement de sujets qui les passionnaient comme la musique et le théâtre ou tant d'autres choses. L'adresse était écrite sur la carte en kanjis, mais pas en braille ... Cela pourrait être une bonne idée de suggestion pour la prochaine version. En attendant, Anna Lena pourrait sans doute la donner à la femme élégante qui l'accompagnait à son arrivée. Rien que par son physique, Maria supposait qu'elle devait connaître le voisinage. En espérant simplement qu'on ne l'empêchait pas de faire ce genre de sorties ... Mais non ! Maria ne devait pas s'imaginer le pire. Même une dame de haut rang avait le droit à un peu de temps pour soi.

Bien sûr, Maria ignorait encore à ce moment là que dans quelques jours, son univers tout entier serait mis à l'envers et qu'elle aurait bien besoin d'une amie qui pouvait la comprendre.