Une rencontre apaisante [PV Anzu] (15/05/2018]

Anzu faisait claquer ses talons hauts sur le carrelage blanc de la pharmacie. La journée était plutôt calme et elle avait rapidement fait le tour de l'inventaire. Ses collègues discutaient dans l'arrière boutique de choses et d'autres, autour d'un café. Ils passaient leur temps à discuter projet maison, marmots et vacances... Elle rechignait alors de participer à ces bavardages sans aucun intérêt. Ce genre de discussions était typiquement trop humain et elle ne savait pas faire semblant de s'y intéresser. La jeune femme poussa un soupir. Pendant qu'ils étaient trop occupés à partager leur vie si merveilleuse, elle était donc consignée au comptoir. Autant rentabiliser le temps. Elle s'empara alors de son petit carnet de recherches qu'elle avait pris soin de dissimuler hors de la vue de tous et se décida à remettre rapidement le nez dans ses plans sur les Omega.

En vue de l'actualité, il était encore plus compliqué pour elle d'approfondir ses recherches sur eux, dans un but purement scientifique afin de les analyser et mieux les connaître. Ainsi que pour s'approvisionner en différentes substances spécifiques. Un climat de méfiance et de tension s'était installé. Elle ne pouvait plus vraiment faire confiance à ses partenaires et eux ne lui faisaient plus confiance. Les liens se rompaient petit à petit. La collaboration éclatait. Elle songea alors soudainement à l'invitation pour passer les tests de Chevalier des Ombres. Elle avait inscrit son nom sur un vrai coup de tête mais à y réfléchir, c'était sa seule chance pour faire avancer son idylle de paix entre les races mais aussi son enquête sur les Lycans infectés ainsi que sur son projet d'analyse sur les Oméga. Quel combo suprême franchement ! Sa pensée bifurqua alors vers sa mère. Elle faisait ça en son honneur. Elle lui manquait. Terriblement.

Soudain, la cloche de la porte se mit à tinter et la tira de ses sombres pensées. Par instinct dans un mouvement rapide, elle rangea son calepin dans le premier placard venu derrière elle et s'installa à nouveau à l'accueil, comme de rien. Elle vit alors s'approcher son prochain client dans une démarche un peu lourde. Il semblait complètement fermé dans ses pensées. Pas vraiment étonnant, tous les malades dont elle s'occupait avait un peu près le même comportement. Cependant, elle ne s'y trompa pas. Son odorat avaient détecté cette odeur si familière qui n'appartient qu'à sa race... Mais très certainement pas à son rang. Malgré sa haute taille et son svelte, cet homme était plutôt banal avec un physique sans aucune originalité et une tenue qu'elle jugerait presque négligée selon elle. La seule distinction qui retint cependant son attention, était son visage tellement marqué par les cernes qu'elle aurait presque cru à des tatouages, comme s'il n'avait pas dormi depuis des années.

Mais Anzu ne s'arrêta pas sur les détails. En tant que personne bienveillante, elle lui offrit alors un aimable sourire lorsque ses yeux bleus croisèrent ceux de son paire pour le mettre à l'aise et l'inviter à lui faire part de sa demande. Il la salua d'un air presque laconique et lui tendit un bout de papier quasiment chiffonné. Alors qu'elle allait pour s'en emparer, la main de la lycane frôla furtivement la sienne et une espèce de petite décharge sillonna alors son bras. Quelque peu surprise, elle fronça alors ses sourcils et scruta le jeune homme avant même de regarder ce qu'il y avait de marquer sur l'ordonnance. Ses pupilles d'un azur si profond qu'il en donnait le mal de mer, jaugea la personne debout devant elle. Ce qu'elle avait ressenti, à l'instant, ce n'était pas du tout la même énergie par rapport à celle que l'Omega dégageait actuellement. C'était une sensation plus vive, plus brute, plus cinglante.  J'ai peut-être rêvé.

Enfin, elle se décida à rediriger son attention sur son bout de papier et elle fut quelque peu, une fois de plus, décontenancée lorsqu'elle parcourut les quelques lignes inscrites. Pourquoi un Omega aurait besoin d'un flacon pour un traitement contre la schizophrénie ? C'est d'un ridicule, est-ce qu'il en a au moins conscience ? Elle leva alors à nouveau les yeux sur lui, hésitant à lui intimer que cette potion n'avait rien de magique pour son cas. Il paraissait calme, mais intérieurement, elle percevait comme une certaine vibration qu'elle ne parvenait pas à s'expliquer. Cette agitation s ne ressemblait pas vraiment à celle qu'elle connaissait lorsqu'un Omega était sur le point de dégénér malgré l'individu. Non. C'était plus une forme d'énergie instable, mais permanente, comme deux feux qui s'opposent. Anzu était très sensible aux vibrations, bien plus que d'autres Alphas, et celles-ci l'intriguaient.

En effet, c'est comme si deux couleurs cohabitaient dans un même corps. Bien présentes. Du jaune. Et du rouge. Elle comprenait alors la thèse de la schizophrénie. Mais avec ses connaissances, elle savait que ce type n'en était pas atteint. Quelque chose cloche.

-Hm... C'était tout ce qu'elle trouvait à dire sur l'instant. Elle laissa planer un silence quelques secondes le temps de se retourner pour vérifier que personne n'était dans les parages. Ses collègues continuaient de bavarder tranquillement. Personne ne faisait attention à eux. Elle le fixa alors avec un petit air compatissant.

-Je vais être honnête. Elle marqua une pause. Ce médicament ne fera qu'un temps sur vous, s'il n'est pas déjà fini.

C'était plus fort qu'elle ! Elle était médecin tout de même et elle se devait de le dire, même s'il devait certainement avoir ses raisons. Elle passera ça sur le compte de sa conscience professionnelle même si au fond, cette instabilité titillait sa curiosité. Quand bien même, elle disait vrai et elle comptait bien le faire réagir. Bien que similaire à la situation des autres lycans de rang inférieur, ou des troubles psychotiques, en le sondant un peu plus longuement, il n'avait rien à voir avec ceux qu'elle avait croisé jusque là, et elle le sentait. Son instinct d'Alpha le lui grognait à l'oreille, comme un râle sourd et excité qui vibre à l'intérieur de ses entrailles quand deux forces se croisent. Elle décida de s'écouter.

-Vous savez, vous n'êtes pas comme mes sujets. Et vos troubles... Désolée. C'est un peu trop pour moi. Mais soit. Je suis navrée de paraître rude mais dans tous les cas, ça ne vous aidera pas. Il vous faut quelque chose de plus adapté. Et je pense avoir quelque chose à vous proposer. Seulement, si vous le souhaitez, il va falloir m'en dire un peu plus.

Un peu trop directe comme approche Anzu. Elle ne voulait pas l'effrayer ni être trop indiscrète mais ce client, Okamiro Lacroix de ce qu'elle en lu, était un peu différent et sa curiosité avait été piquée en qualité de chercheuse mais aussi, de rang suprême. Cependant, elle comprendrait qu'il ne veuille pas en dire plus. Ils ne se connaissaient pas et elle ne savait même pas à quelle meute il appartenait. S'il refusait, elle irait chercher son flacon, et elle en resterait là. Tant pis pour elle. Tant pis pour lui ?

La louve écarquilla ses grands yeux bleus sur le coup. Des trucs louches ? Il y a 70 ans ? Nom de dieu Anzu, ce que tu peux manquer de discernement parfois ! Evidemment, ce type avait du vécu derrière lui et elle était étonnée elle-même de sa propre bourde. Il avait dû vivre l'Enfer, le genre d'enfer qui continue de coller à la peau, comme une ombre qui vous suit à la trace malgré les années qui passent. Rien n'effacera jamais ça. Rien ne pourra jamais réparer psychologiquement cet individu qui la regardait d'un œil éteint. Elle en savait quelque chose, son père n'avait pas manqué de lui répéter en boucle ce qu'on lui avait infligé à lui et à sa mère en ces temps anciens. Et cet homme avait vécu exactement les mêmes horreurs, pendant soixante-dix ans. Anzu, quant à elle, avait encore eu la chance de n'avoir rien traversé de tout cela. Elle était née ainsi, à son rang d'honneur. Son père ne manquait pas non plus de le lui rappeler, sa chance, et lui reprochait de ne pas pouvoir comprendre. Effectivement, elle ne pouvait pas saisir à quel point la souffrance devait être insoutenable, mais elle comprenait, les répercussions psychologiques que cela pouvait avoir sur une personne. Dans cette optique, ce n'était donc définitivement pas le bon terme à employer. Ce n'étaient pas des sujets, c'étaient des êtres vivants. Parfois, son métier l'amenait à expertiser ses congénères comme s'ils n'étaient que des animaux et des cobayes, mais c'était loin d'être le cas. Ils étaient simplement des individus dont ces enfoirés avaient brisé l'identité à coup de torture et de cruauté sans aucun nom. L'Alpha se raidit sur place et se mordit la lèvre inférieure, légèrement honteuse. Son père avait des opinions bien tranchées et arrêtées, mais il ne fallait pas pour autant négliger le passé. Seulement, pour sa part, il ne fallait pas se remémorer le passé pour verser plus de haine et de violence, mais bien pour avancer et aller vers un avenir meilleur.

Et le comble de tout, l'Omega finissait même par s'excuser pour sa remarque, avant de lâcher une bombe dans la conversation. Son arcade sourcilière tressauta. Pour le moment, elle n'avait pas eu la chance d'observer ces cas là... Bien trop surveillés...Mais avec sa candidature chez les Chevaliers des Ombres, elle avait bien espoir de pouvoir y mettre la patte. Elle se pencha alors légèrement vers lui et agrippa son regard dans le sien avant de lui répondre.

-C'est moi qui m'excuse, commença t-elle, je me suis mal faite comprendre... Je ne compte pas vous faire revivre toutes ces horreurs, loin de là... Et puis pour ces lycans...

Elle jeta furtivement un coup d'oeil derrière son épaule et s'adressa à nouveau à son interlocuteur avec douceur, dans un murmure presque imperceptible pour ne pas se faire entendre.

-... je n'ai pas encore eu accès à leurs corps, ils sont hors de ma portée, pour l'instant. Mon domaine se résume officieusement à analyser le « comportement » des omegas, étudier leurs transformations, leur évolution psychologique et physique, faire des statistiques, proposer un soutien ou un accompagnement et...

Anzu s'interrompit brusquement. Elle se rendait compte qu'elle parlait trop elle ne voulait pas qu'on les suprenne dans ce genre de conversation.

-Si vous le voulez bien, je vous invite à me suivre dans mon bureau. Nous serons certainement plus à l'aise pour parler de tout ça.

Anzu était nouvelle dans la ville, en plus d'être quelqu'un de très solitaire, elle n'avait pas encore créer de lien avec ceux qui avaient le droit d'examiner d'un peu plus près les lycans. Elle s'en sentait d'ailleurs très frustrée, il fallait qu'elle remédie à son impopularité. Et elle était sur le chemin.

Elle l'invita ensuite à passer derrière le comptoir. Elle éviterait de l'amener au petit laboratoire afin de ne pas le rendre nerveux. Elle passa seulement la tête dans la salle de pause et ordonna à une des employés, Cindy, de s'occuper de la caisse avant de revenir jusqu'à Okamiro. Elle devait s'occuper de son « client ».

-Et que ce soit clair, lui lança t-elle, je ne suis pas là pour vous faire du mal.

Le jeune homme accepta donc son offre. Étrangement, cela la soulagea quelque peu, il n'était pas méfiant vis-à-vis d'elle, elle n'avait donc pas besoin de s'en vouloir davantage. Elle reprit alors son attitude droite et stricte habituelle. Cependant, elle ne put s'empêcher de remarquer le comportement un peu contradictoire de ce garçon. Au moment où il avait répondu à sa proposition d'une intonation pourtant laconique mais favorable, il avait immédiatement après froncé les sourcils en direction des présentoirs de la pharmacie comme si quelque chose l'avait agacé, un peu comme une mouche qui vous pique. C'était rapide mais elle avait eu le temps de percevoir cette perturbation qui émanait autour de lui. Cette perturbation se traduisait par une modification supplémentaire des particules de son énergie dans des tons plus rougeâtres que sa couleur initiale.

Il marcha donc sur ses talons. Sur le trajet, elle en profita pour le toiser de haut en bas. Il n'y avait réellement aucune expression sur son visage, c'était à se demander s'il y avait âme qui vive dans ce corps. Sachant qu'en réalité, l'ironie voulait qu'il y en avait même peut-être deux, de ce qu'elle pouvait infimement en percevoir. Mais tout ça ne serait bientôt plus un secret.

Ils pénétrèrent ensuite dans son bureau officiel et il s'installa près d'un mur. Elle lui aurait bien proposé de s'asseoir pour être plus à l'aise mais elle n'en dit rien. Pendant qu'elle-même s'asseyait dans son fauteuil, Ôkamira prit soin de la rassurer au sujet de sa remarque déplacée et la gratifia d'un peu de sa confiance. A ces mots, elle hocha la tête poliment, signe qu'elle avait bien reçu ses paroles.

L'énonciation du « nous » dans sa bouche ne perturba pas l'Alpha plus que ça. Ce n'était pas comme si elle n'avait rien remarqué même si ce n'était pas non plus comme si elle savait vraiment. Cependant, le lycan en face d'elle était également décidé à savoir qui elle était. Rien de plus normal, son existence jusqu'ici avait été fantomatique parce que sa naissance avait été engendrée dans le plus grand des mystères de la lignée lycane. Par ce fait, elle n'était donc connue d'aucun laboratoire et d'aucune lignée vampirique ni même lycane, si ce n'est peut-être celle des Metsulah, qu'elle soupçonnait avoir tué sa mère. Ils auraient très bien pu apprendre le fruit de l'amour de ses deux créations...

Elle lui offrit un regard las en guise de réponse à sa question et se leva de sa chaise pour se servir un thé aux fruits rouges dans une démarche féline. Évidemment, cette question ne lui plaisait vraiment pas, parce qu'elle avait une connotation très personnelle et privée chez Anzu, même si elle n'en laissait rien transparaître. D'ailleurs, elle n'était pas non plus obligée d'y répondre. Elle pourrait simplement lui dire qu'elle n'a pas à se formaliser sur ce sujet, que ça ne le regarde pas, ni lui ni personne d'ailleurs mais cela paraîtrait vite suspect et surtout, très culotté de sa part, en vue de son invitation. Il fallait au moins qu'elle lui réponde. Elle versa son doux breuvage dans une tasse au blanc cassé, songeuse, et y rajouta deux sucres avant de lui adresser la parole.

-Je ne faisais partie d'aucun laboratoire, lâcha t-elle sans aucune émotion, mes parents par contre, eux, si.

Cela laissait largement sous-entendre ses conditions lycanes, elle en avait déjà trop dit sans trop en dire vraiment. Elle alla ensuite s'asseoir sur son propre bureau, juste devant lui et bu une gorgée de son breuvage en le fixant. On ne parlait pas d'elle mais de lui à l'origine et elle détestait qu'on la détourne de son objectif. Elle marqua un temps de pause, le regard ailleurs et après quoi, elle se fit la réflexion que de toute façon tout dire serait nécessaire à la bonne marche de cette conversation. Le goût addictif du sucre sur sa langue la détendit et l'encouragea à aller plus loin :

-Je suis née ainsi, en progéniture naturelle de deux Alphas qui faisaient partis des laboratoires les plus anciens... Je suis d'ailleurs étonnée que cette.. famille.. n'est pas encore jetée son dévolu sur moi pour l'instant.

Elle serra les poings. Les images du massacre de sa mère par la horde de Shidara à l'époque revenaient flotter à la surface de ses souvenirs et une douleur lancinante lui traversa le ventre.  Sa respiration était devenue plus difficile, comme si elle perdait un peu du contrôle permanent qu'elle avait sur elle-même, pour garder la tête haute et tenir éloignées toutes ces émotions qui l'affectaient négativement. Après un léger moment de faiblesse devant ce parfait inconnu, elle décida de couper court sur ce sujet. De plus, elle ne savait même pas qu'elle allait être la réaction de cet individu.

-Au passage, je m'appelle Anzu Taena. Elle but une gorgée de son thé. Maintenant que ma « présentation » est faite, , expliquez-moi en quoi, un lycan omega se présente t-il à ma boutique pour réclamer son traitement sur la schizophrénie ?

C'est vrai, son métabolisme ne ferait qu'une bouchée du produit dans ce flacon et elle sentait que ce palliatif ne servait qu'à masquer quelque chose, de bien plus grand selon elle. Anzu était vraiment intéressée par sa situation. D'ailleurs, cela faisait même un petit moment que quelque chose ou même quelqu'un avait autant attisé sa curiosité. Son aura était vraiment particulière.

-Oh, j'en oublie mes bonnes manières... dit-elle calmement, souhaitez-vous boire ou manger quelque chose ? Je vous préviens, j'ai essentiellement des sucreries à mon actif...

Il ne paraissait pas spécialement étonné par sa révélation. Pas qu'elle était spécialement déçue par ce manque de réaction, mais disons que c'était quelque chose qui selon elle, ne devait pas non plus se hurler sous tous les toits étant donné que son cas était, à sa connaissance, le seul recensé jusqu'à maintenant. Ce qui faisait d'elle une pupille assez rare. Mais en soi, ça ne la suprenait presque pas. Elle ne le connaissait que depuis très peu de temps mais elle avait vite compris que ce n'était pas le genre de personne particulièrement émotive ou à agir sous le coup de l'émotionnel. C'était comme si, qu'importe la situation, ce garçon conservait exactement le même visage impassible. Elle se demandait alors si ce n'était pas dû au fait de toute cette atroce souffrance qu'on lui avait imputé ou s'il avait toujours été ainsi.

Dans tous les cas, cet aspect impassible lui donnait étrangement le tournis. Après sa proposition, Ôkamiro se mit à son aise et au lieu lui demander quoique ce soit, alla se servir directement une tasse de thé. A sa surprise, l'omega sortit de sa poche son propre petit cocktail au lieu de s'emparer d'un sachet préférait. Lorsqu'il porta la porcelaine à sa bouche, il afficha un air satisfait, comme s'il savait exactement quelle dose laisser infuser. Contrairement à Anzu, il avait l'air de s'y connaître , ce qui ne manqua pas de l'impressionner. «  He ben dis donc ». Elle avait toujours été admiratives de ces personnes qui confectionnent leur alimentation sur des bases saines et variées. Être Alpha, ma foi, ne faisait pas tout. Tout ce qu'elle connaissait en nourriture, elle, c'étaient les sucreries. Enfin en soit, tout ce qui avait  un rapport au sucre, elle en mettait partout, dans tous ses plats, toute la journée. Même dans ses pâtes. Mais elle prenait soin de dissimuler ce vice caché, on se moquerait d'elle si on venait à percer son addiction au sucré.  

Il se décida néanmoins à lui répondre, et à ses propos, la louve écarquilla ses grands yeux bleus telles des soucoupes. Elle ramena alors une de ses fines jambes galbées sur l'autre en fronçant les sourcils avant de croiser les bras Elle le défigura, très perplexe par ses révélations. Il était en contact avec une vampire après tout ce qu'il avait vécu à leur côté ? Et pas dans le bon sens du terme, bien évidemment. Autant dire, notre Alpha ne savait pas trop quoi en penser. La petite poignée de lycans qu'elle avait croisé ayant eu à faire à ces monstres tenaient toujours le même discours et cette haine viscérale. Certains voulaient leur faire payer et d'autres préféraient largement les éviter. Mais pas lui. C'était un comportement tout à fait contradictoire avec sa condition et son vécu. Ce n'était pas forcément une mauvaise chose en soi, mais il fallait avouer qu'elle trouvait cela étrange. Enfin, qui était-elle pour avancer ce ressenti ? Elle-même était vouée à la cause pacifiste mais elle avait encore eu la chance de ne pas trainer les casseroles d'une souffrance sourde et douloureuse remplie de rancoeur.

Il lui apprit également que son traitement lui venait de la psychiatre de Nakanoto en personne et que c'était elle qui lui avait donné la directive de s'empiffrer de ce remède en cas de crise. Le lycan lui intima également que son seul moyen de contrôle était justement, de « lui » laisser le contrôle. Elle se demanda alors à qui à ce moment, il faisait référence. Des questions lui bourdonnaient dans les oreilles comme un nid d'abeilles agité. Il soulevait un point pertinent dans son discours. Ce malheureux était emprisonné dans des secousses violentes que lui seul pouvait ressentir. Quelle frustration. Mais par le contexte actuel, il est vrai que ce n'était pas judicieux de céder. Elle prit soin également de noter qu'il n'avait pas encore un pied ferme dans cette ville. Ca ressemblait à une triste mise en scène d'un polar où l'âme du héros errait sans trop savoir o^aller, pour fuir le monde et surtout de fuir lui-même.

Anzu médita un moment, le regard plongé dans un obscur mutisme. Ce n'était pas suffisant. Il ne lui disait pas tout, il y avait encore trop de zones d'ombre dans son discours d'apparence complète. La louve sentait qu'il ne lui accordait pas totalement sa confiance et elle ne voulait pas non plus se montrer trop intrusive à son égard, par respect. Mais la lycane ne voulait pas forcément s'arrêter à ce niveau de la conversation. Elle ouvrit de nouveau la bouche.

-Je suis très étonnée d'entendre qu'un lycan ayant été en proie aux vices de personnes malhonnêtes, puisse encore être capable de côtoyer cette race... Je ne sais pas si c'est seulement parce que vous n'avez pas le choix, si c'est une forme d'intelligence ou de la folie, ou simplement parce que ça vous est égal. Mais soit... Ca me paraît positif, d'un certain point de vue. Et je suis navrée d'entendre également que vous n'ayez pas de quoi extérioriser.. Ce genre de choses peut s'arranger. Vous n'avez pas des relations sinon pouvant vous accueillir ? Un endroit particulier ?

Anzu restait compréhensive et bienveillante envers son invité. Mais ce qui l'intéressait, était une toute autre chose. Elle déplia ensuite ses longues jambes galbées et dans un mouvement fluide et furtif, se déplaça jusqu'à lui et rapprocha son visage à quelques centimètres du sien, juste assez pour visualiser quelques vermillons électriques qui dansaient dans l'ombre de son regard, qui de loin, paraissait opaque.

-Seulement... Vous ne répondez pas tout à fait à ma question et vous n'êtes pas assez idiot pour ignorer de quoi je parle. Elle se mit à lui tourner autour, doucement, afin de mieux le jauger, sans pour autant s'avérer menaçante. Ce n'était pas le but. Elle termina sa ronde derrière son dos et poursuivit.

-Vous savez, pour une raison inconnue, je suis très sensible aux auras des êtres que je croise. C'est plutôt pratique, ceci dit, pour cerner quelqu'un. Et je sens que quelque chose chez vous ne colle pas. Omega ? Ils n'ont pas les mêmes fréquences moléculaires que les vôtres. La schizophrénie ? Ca n'appartient qu'aux humains. Elle pencha la tête pour murmurer au creux de son oreille, sa question fatidique, laissant tomber quelques mèches aux senteurs parfumées sur ses épaules. Pour mieux comprendre, je dirais donc que vous avez un parfum "différent". Alors, dites moi, Monsieur Lacroix, qui est ce fameux « lui » ?

Autant mettre les pieds dans le plat directement, elle détestait s'embarrasser de manières quand elle souhaitait obtenir des réponses à ses curiosités. Pour éviter un climat trop empressant, elle s'écarta par la suite de lui exactement de la même façon dont elle était venue, et se versa à nouveau un thé, à la menthe cette fois, mais toujours avec deux sucres.

Anzu venait de se prendre une claque. Dans le bon sens du terme. Elle était complètement bluffée par le caractère objectif de ses paroles. Cet homme avait subi l'Enfer et il parvenait tout de même à garder toute sa lucidité vis à vis des autres races, en prenant soin de ne pas incriminer ceux qui n'ont pas à être brutalisés pour les horreurs de leurs ainés. La plupart des espèces se crachaient leur haine et leur rage pour des crises datant de plusieurs générations ou qu'elles auraient elles-mêmes vécues. Elles gardaient toutes en elle, des rancoeurs qu'elles rejetaient sur le monde entier, en logeant tout le monde à la même enseigne. Elle en était agréablement stupéfaite. Elle commençait à vraiment apprécier cette personne, qui correspondait en tous points à cette idéologie pour laquelle elle se battait. Cette façon de pensée, était tout à son honneur et elle était complètement d'accord avec lui. Il ne servait à rien d'accuser quelqu'un, pour l'erreur d'un autre. Tout le monde n'était pas des monstres et elle en était convaincue.

Satisfaite de sa réponse, elle but une gorgée de son thé largement sucré. Elle allait enfin connaître le fin de cette histoire et l'omega allait enfin lui présenter « l'autre » dont la présence flottait autour de lui, presque imperceptible.

Et enfin, il apparut devant elle, en une fraction de seconde. Dans un geste, il s'empara de son bandeau et s'en habilla autour de son crâne. La différence fut frappante ! Ce n'était clairement plus la même personne qu'elle avait en face d'elle. Ce qui la frappa dans un premier temps, c'était son aura qui prenait largement plus de place que celle de l'autre garçon. Une aura tout aussi écrasante que la sienne. Ce n'est pas possible ! Ce type abrite un Alpha ! Sa stature changea immédiatement pour laisser place à une posture plus imposante et énergique. Les traits de son visage se transformèrent également, beaucoup plus expressif et assuré, un large sourire accroché sur ses lèvres. Ses yeux n'affichait plus un vide comme il y a quelques minutes, bien au contraire, ils ressemblaient à ceux d'un animal enflammé prêt à en découdre.

Tandis qu'elle était occupée à observer cette transformation, le Lycan en question ouvrit la bouche pour se présenter. Et quelle fut sa surprise ! Est-ce que c'est une blague ? Anzu le toisa de son regard métallique, ne sachant pas quoi penser au premier abord. Il s'adressait à elle d'une manière trop peu conventionnelle à son goût. Voir même, totalement irrespectueuse. Il était bien trop direct et bien trop sûr de lui. La jeune femme se renfrogna.  Pour qui cet abruti se prenait-il ? Comment pouvait-on s'adresser à elle de cette manière ? Alpha ou pas, elle exigeait qu'on lui parle sur un autre ton que celui-ci.

Il en rajouta même une couche en lui signalant qu'elle sucrait beaucoup trop son thé ! Anzu tiqua tout de suite. Il avait réussi à l'agacer. Joignant le geste à la parole, il lui tendit sa propre tasse pour qu'elle puisse goûter à son mélange à lui. Ce qui eut pour effet de la surprendre un petit peu. Cet homme était beaucoup trop à l'aise... Mais trop curieuse de pouvoir y goûter, elle se saisit de l'objet et y humecta le liquide du bout des lèvres. Oh. Il avait raison. C'était complètement différent. Bon certes, beaucoup moins sucré mais, il y avait du goût et c'était supportable. Elle allait donc pour en reprendre une gorgée lorsque le lascar lui lança des propos plus que douteux.

En réaction, Anzu cracha son mélange et s'essuya la bouche, stupéfaite. Elle avait deviné qu'il n'était pas du genre timide mais c'en était trop pour elle. Elle se tourna alors vers lui et remonta le menton avec une pointe de mépris en lui balançant un regard sale.

-Vous... Je commence presque à comprendre pourquoi Ôkamiro-san cherche à vous faire taire, vos manières sont insupportables.

Elle se mit à soupirer de désarroi. Elle espérait que tous les hommes qu'elle croiserait sur sa route ne serait pas comme lui, sinon elle finirait très certainement seule pour l'éternité. Elle se massa les tempes pour se rendre compte de la situation. Donc, l'omega Ôkamiro, avait en son sein, un Alpha. Un type qui avait l'air d'être un sacré énergumène de surcroît. Elle éprouva alors énormément de compassion pour le jeune homme, il fallait un courage monstre pour supporter un goujat pareil.

-Et puis vous savez, ce n'est pas une manière d'inviter une femme à sortir. Elle brassa l'air de sa main pour accompagner son dépit. Elle alla pour s'asseoir de nouveau sur son bureau et le jaugea de haut en bas. Si vous souhaitez avoir une chance avec quelqu'un, sérieuse ou non, essayez d'y mettre un peu les formes. Je dis ça vraiment pour votre bien.

Dans le fond, Anzu sentait que ce gars n'était pas méchant, juste pathétiquement maladroit. Elle se sentait donc obligée de lui donner quelques conseils. Sinon lui aussi, finirait certainement seul toute sa vie, Alpha ou pas, il y avait des codes.  Et lui, était carrément à côté de la plaque.

-Mais bon, si vous me prenez par les sentiments, je veux bien passer outre votre attitude de goujat et accepter votre invitation. Seulement parce que j'aime manger. Et aussi parce que vous ne me ferez pas payer l'addition.

Elle afficha un sourire radieusement effronté, pour se payer sa tête. En quelques sortes, cette situation l'amusait quand même un peu. Mais aussi parce que c'était la première fois qu'elle rencontrait un mâle de son statut, elle était donc curieuse. Elle se râcla ensuite la gorge pour l'éclaircir et aborder à nouveau le sujet impliqué à l'origine.

-Bien.. Maintenant que j'ai eu le... plaisir... De vous rencontrer tous les deux, quels sont vos souhaits ? Pour Ôkamiro, j'ai compris pourquoi. Mais vous, qu'est ce que vous en pensez ? Ca ne doit pas être évident de... cohabiter à deux dans un même corps.

Surtout pour Ôkamiro, mais elle se garda de le dire pour éviter de l'enfoncer davantage De plus, elle ne savait même pas si elle pouvait discuter avec ce genre de spécimen en face d'elle. Si jamais il devait se comporter comme un idiot fini, elle demanderait à discuter avec l'Omega. Lui au moins, avait l'air d'avoir la tête sur les épaules.