Aux grands maux, les grandes flammes | 3.07.2018 | feat Nassim

Je vis bien à sa réaction que mes propos lui déplaisaient. Mais pas vraiment dans le sens auquel je me serais attendue. Non non. Il pensait que je le pointais du doigt nonchalamment, comme si je le visais lui directement. Allons bon, je n'avais aucun reproche à lui faire, c'étaient seulement ses fichus collègues que je dénonçais. Mais quel attendrissement soudain, lorsqu'il me rhabillait dans ma robe de velours en m'envoyant respectueusement pester ailleurs. Je me doutais bien qu'au fond, il avait également la pression de son côté, qui tendait à s'évacuer doucement dans son intonation froide et imposante. Il prenait sur lui. Cela se sentait à des kilomètres à la ronde.

Mais nous n'arriverons à rien si l'un de nous deux tentait la judicieuse expérience d'exploser littéralement. Je devais au moins mettre les choses au clair sur ce point, pour ne pas le mettre à défaut.

-Je ne parlais de vos exigences, à vous, mais celles de votre chef prétendu. Encore heureux que vous ne m'imposiez rien, cela me gênerait de devoir vous remettre à votre place.

Je lui offris en prime un sourire ensoleillé, marquant davantage mon exubérance. J'étais irrécupérable. C'était plus fort que moi, je me devais toujours de titiller mon audimat pour les tester avant d'en remettre une couche. Mais l'heure n'était pas à la plaisanterie mesquine, je doutais du fait que cela l'enchante de jouer la sournoise. Aussi, je décidais de mettre ma superbe en veilleuse pour poursuivre, mais avant que je ne puisse renchérir encore, il s'inclina légèrement devant moi avant de lancer son plaidoyer. Sur cette réaction imprévisible, mes sourcils se soulevèrent d'étonnement à ce discours digne d'un lieutenant. Mais bien assez vite après, je ne pus m'empêcher d'esquisser un petit sourire satisfait devant cette attitude presque chevaleresque, visant sûrement à stimuler mon égo tout en s'attirant ma bonne grâce.

Quel fin charmeur que ce cher Nas, comment pouvais-je l'ignorer davantage ? Il savait vraiment jouer avec mes faiblesses, quand il s'agissait de faire valoir ma grandeur naturelle dans une révérence. Mais reprenons un peu de notre sérieux, voulez-vous. L'enjeu ici, était qu'il souhaitait seulement, tout comme moi, remplir correctement son devoir. Là était son but, et je ne pouvais que le saluer pour cela.


-Allons allons. Relevez-vous donc mon cher Nassim. Pas de tant de manières. Le devoir appelle parfois le pragmatisme, même si cela ne m'enchante guère. Entendez-bien que si j'accepte de vous épauler à nouveau, ce n'est que par acquis d'intérêt pour les bases étendues entre nos deux peuples.

Je détournais alors un peu le regard sur le côté, un peu hésitante, avant de rajouter un petit soupir ennuyé. Cela me faisait assez mal de l'admettre, mais je ne souhaitais pas non plus le laisser sur la touche. À bien y réfléchir, cela me chagrinerait de me le mettre à dos simplement parce que je me savais trop exécrable. Il avait du potentiel. Et un certain charme à ne pas se mentir. J'étais d'ailleurs assez intriguée par son élocution froide qu'il m'avait jetée non sans une certaine colère retenue. Derrière ce rassurant Nassim, se cachait peut-être un volcan ? Cette perspective m'intéressait farouchement. J'aimais les caractères trempés dans l'acier, cela, tout le monde le savait. Je ne m'entendais pas avec les guimauves, je préférais les manger. C'était sûrement pour cela que j'appréciais autant Irina. Une femme de caractère, parfois insupportable, mais irrésistible au fond. Quant au changelin, son comportement se rapprochait davantage d'un nounours bienveillant au premier abord, mais derrière ce calme apparent, se cachait sûrement une force tranquille avec une poigne de fer prête à vous casser en deux. Ce n'était pas vraiment déplaisant.

C'était même presque trop tentant de le tordre, pour en voir couler la lave. Mais je devais tempérer mes ardeurs pour l'heure et veiller à le garder sous ma coupe plutôt que de l'énerver davantage. J'étais vraiment insupportable quand je commençais à m'emballer pour charcuter quelqu'un. Et je le voulais entier, avec tout son esprit et sa confiance à disposition plutôt qu'embrumé par sa méfiance ou sa déception.

-Peut-être aussi parce que, pour vous être montré si coopératif jusque-là, j'accepte de vous permettre d'avoir la conscience tranquille. Personnellement, hormis mon devoir suprême, la conscience est une notion qui m'échappe. Mais je peux bien faire une exception pour vous.

Je lui tournais alors le dos sur ces mots, n'assumant qu'à un quart ces compliments à la volée. Mais en soi, malgré tout ce scénario répugnant, il avait fait son travail correctement. Et il avait l'air d'en avoir plus dans la caboche que les autres. Cela méritait un minimum de reconnaissance, même si cela me pinçait la langue de l'avouer à demi-mot.

-Grieg, appelai-je d'une voix froide, nous escorterons nos chers alliés en lieu sûr. Prochaine destination : un Conseil changelin.

L'homme acquiesça d'un signe de tête laconique, habitué à mes manières imposantes depuis les derniers jours.

-Voulez-vous bien nous indiquer les coordonnées Nassim ? Nous voyagerons jusqu'au portail le plus près de l'endroit où vous souhaitez les déposer.

Nous empruntions donc encore une fois un portail pour nous engager vers un autre Conseil, celui de Kyoto. Apparemment, Nassim avait des connaissances là-bas, ce qui nous faciliteraient la tâche à tous. Mais lorsque nous arrivâmes à bon port, il se stoppa net sans prévenir pour nous intimer de rester sur notre position. Quand bien même nous avions conclu un pacte, il ne s'imposait pas à tous les conseils de la région. Il était donc évident de ne pas s'approprier le terrain comme un territoire conquis, sous peine d'une mauvaise publicité. Afin de signaler nos présences respectives, il changea radicalement d'apparence pour devenir ce qu'il me semblait être un coyote avant d'émettre un cri singulier. Il restait tout de même impressionnant de constater la transformation du lieutenant en direct sous cette forme. Même ses vêtements l'avaient suivi dans sa démarche. Le processus de modification corporelle des changelins valait le coup d'oeil et confirmait leur art de se fondre dans leur élément tout en passant complètement inaperçu. C'était assez pratique, pour s'aventurer dans des zones à risque et endormir la vigilance, sous cette métamorphose d'un parfait animal rien de plus normal et inoffensif.

Rapidement, une autre personne vint se joindre à notre joyeux comité. Autant dire que notre venue n'était pas réellement appréciée. Elle nous dévisageait avec une certaine réticence qui en disait assez long. Ce qui était normal. Après tout, notre alliance n'était propre qu'à nos deux parties.

Mais notre allié eut le bon ton de rassurer immédiatement le conseiller. Il lui fit une brève explication de la situation, sur laquelle je me contentais de rester silencieuse. Mais je devinais bien que notre présence mettait le nouveau venu assez mal à l'aise, malgré l'intervention du lieutenant. Que c'était mignon. Néanmoins, je lui décochais un sourire aimable, pour lui signifier mon amitié plutôt que mon hostilité avant de repartir.

A cette entente muette, il me rendit mon geste dans un hochement de tête.

Nassim leur précisa également que leur fille était bien vivante. J'avais eu vent de cette information avant notre projet d'évasion, mais la petite présentait des troubles de la mémoire en plus d'être sous l'aile protectrice d'un vampire qui ignorait tout d'elle. Aussi, je devais compléter l'information, juste au cas où il ne serait pas tenu aux faits, pour ne pas mettre mon associé dans l'embarras lors de sa rencontre avec la dite protégée.

Je les laissais donc s'éloigner et quand ils furent tous assez loin pour ne pas m'entendre, avec les deux cerfs, je me penchais légèrement sur le lieutenant pour l'avertir.

-Il se trouve que leur fille est effectivement entre de très bonnes mains. Au risque de répéter des informations déjà conduites à votre connaissance, il s'agit un certain Raphaël de la Roche. Il se trouve être un vampire. Il n'a pas l'air au courant concernant la nature de la demoiselle. De plus, d'après la Sagesse, elle présente également des séquelles mémorielles concernant son passé et donc ses parents. Mais je sais que vous saurez vous y prendre comme il faut.

Sur cette conclusion, je rejoignais alors l'autre sorcier et invita le changelin d'un regard à faire de même. C'était l'heure de partir.