Sonate en Amitié majeur [21/06/2018 ~ 22h]

Sarah eut tôt fait de chasser mes derniers doutes en insistant sur la véracité de cette histoire. Certes, Lady Lawford n'était pas noble à colporter des mensonges. Néanmoins, n'importe quel vampire aurait eu du mal à avaler une telle histoire. Elle le savait certainement et ne me tiendrait pas rigueur d'avoir remis en cause, l'espace d'une seconde, la vérité. Je souris toutefois à sa petite pointe d'espièglerie. C'était ainsi depuis le début de notre amitié ; nous nous soutenions autant nous nous taquinions mutuellement, toujours dans la plus sincère affection.

Elle s'étala ensuite sur la nature de cette relation avec ce hunter de Renfield, qui n'appartenait visiblement pas à la hiérarchie. Peu étonnant, somme toute, car sinon il n'aurait jamais pu être raisonné, à mon humble avis. Elle m'expliqua également les circonstances de leur rencontre. Je haussai un sourcil. La fête foraine ? C'était bien le dernier endroit au monde où je l'imaginais passer son temps libre. Surtout pour y rencontrer l'un de ses pires ennemis… Cette histoire était décidément bien incongrue.

Une relation épistolaire qui débouchait sur une amitié profonde… Voilà qui était tout aussi inhabituel. Mais c'était pour le mieux, puisqu'il avait su ouvrir les yeux sur le monde véritable. Cependant, si j'en croyais Sarah, sa nouvelle vision du monde le mettait dans une position délicate, déchiré entre sa conscience et son instinct de survie. Une situation peu enviable sur bien des aspects. Je scrutai mon amie par-dessus ma tasse tandis que je buvais une gorgée de thé.

- Vous êtes inquiète pour lui, avançai-je en reposant le récipient sur sa coupelle.

Ce n'était pas une question, mais une constatation. Ils ne se connaissaient pas depuis très longtemps, si j'avais bien compris, mais elle nourrissait déjà une affection pour cet humain. Suffisamment pour lui porter de l'importance. Voilà qui était peu habituel de sa part. Non pas qu'elle eût un coeur de glace, bien au contraire, mais il en fallait beaucoup pour éveiller l'intérêt de la lady. Ce qui me donnait une estimation des qualités de ce Vilhelm.

- Cet homme semble regorger de qualité et de ressource de ce que j'entends. C'est une chance qu'il ait croisé la route d'Alessio. Leurs échanges épistolaires leur a permis de forger une profonde amitié, si solide qu'elle a permis à cet ancien fanatique de trouver -ou retrouver ?- la voie de la raison.

J'observais attentivement mon amie tandis que je parlais, guettant ses réactions. Elle était peu démonstrative, mais j'avais appris avec le temps à discerner ces micro-expression sur son visage et à les décrypter.

- Un homme tel que lui a plus d'un tour dans son sac, c'est une certitude. Et il est bien entouré. Après tout, votre présence seule suffirait à le sortir de la plus critique des situations, plaisantai-je à demi-mot d'un ton léger, avant de retrouver mon sérieux. Alessio est un ami très puissant également. Et peut-être a-t-il noué d'autres alliances dont nous n'avons pas connaissance. Qui sait...

Je laissai ma phrase en suspens, la laissant imaginer le champ des possibles. Puis je poursuivis, l'expression confiante.

- Votre ami s'en sortira, je n'en doute pas. Et s'il s'avère qu'il a besoin d'une aide supplémentaire, eh bien… Je me joindrai volontiers à vos efforts pour le sortir de là.

Je lui adressai un sourire, espérant avoir atteint mon objectif : chasser les doutes qui pouvaient obscurcir son jugement. La rassurer, en somme. Je repris une autre gorgée de thé avant d'ajouter :

- Je serais curieux de le rencontrer un jour. Et je ne doute pas que ça arrivera, certainement plus tôt que je ne le pense. Le monde est si petit, ici, à Nakanoto.

J'eus une pensée pour Chloris, qui avait su retrouver le chemin de la villa après toutes ces années. Beaucoup de destins autrefois séparés se retrouvaient ici. C'était un phénomène étrange que j'avais déjà remarqué depuis plus d'un an. Comme si une force extérieure poussait les mortels autant que les immortels à se croiser, pour nouer des liens -ou les détruire. Peut-être était-ce l'oeuvre de Dieu.

Je notai l'effet salvateur que produisait mon discours rassurant sur le visage de mon amie. Bien qu'elle ne prétendît pas avoir besoin que je chassasse ses doutes, je savais qu'elle accueillait ces mots avec un certain soulagement. Et j'en avais profité pour lui offrir mon soutien, à elle et son ami, si jamais cela devenait nécessaire. Bien que je me mêlasse peu des affaires des autres, dernièrement, je possédais toutefois des capacités qu'il ne fallait pas mettre de côté, en particulier celle de la téléportation. Il m'était facile de me déplacer d'un bout à l'autre de la ville.

Je ris de bon coeur face à la plaisanterie de Sarah. Le bougre devait sacrément manquer d'éducation pour qu'elle insistât autant sur ce point. Une image assez cocasse me traversa l'esprit ; celle, supposée, de ce Vilhelm, ne sachant quoi faire d'une tasse de thé, et Sarah qui le toisait d'un air sévère.

- Le pauvre, ayez un peu pitié de son âme.

Une nouvelle pique, cette fois destinée à la lady, pour souligner exagérément l'attention qu'elle prêtait à la bienséance, et la sévérité dont elle faisait parfois preuve lorsqu'elle traitait d'un sujet qui lui tenait à coeur. Après ce bref interlude d'hilarité, elle recentra la conversation sur un nouveau sujet. Mon visage retrouva son sérieux, tout en conservant une étincelle de malice.

- Hirano-san, oui. Nous nous sommes croisés cette nuit très brièvement en réalité, mais je me souviens bien de son visage. Elle est arrivée peu de temps après moi sur la scène, et le chagrin lisible dans ses yeux m'a touché.

Je me souviendrais longtemps de ces larmes chaudes qui coulaient sur ses joues en découvrant le corps de son congénère. Elle ne le connaissait pas, de vue tout du moins, pourtant elle avait montré une profonde empathie. Au moins un trait que nous partagions.

- Nous avons échangé quelques mots. Je lui ai présenté mes sincères condoléances, elle m'a remercié, et notre discussion s'est arrêtée là. Je me suis éclipsé juste après. J'avais besoin de… m'isoler un peu. Entre la séance du sénat avec Dwight Hodgkin qui ramène son alpha infecté, et cette vision de désolation dans la ruelle, j'ai eu mon compte pour la soirée.

Je balayai l'air de la main, comme pour chasser physiquement ces souvenirs désagréables.

- Et j'ai bien fait, je pense. L'identité du lycan a été révélée lors de votre enquête conjointe. Je ne l'ai déjà pas bien pris en me réveillant, alors, je préfère ne pas imaginer ma réaction si j'avais été présent.

Dans le meilleur des cas, j'aurais offert un spectacle pathétique aux autres sénateurs, qui se seraient régalé devant tant d'affect pour ce qui fut une simple humaine. De quoi alimenter les rumeurs et leurs commérages insupportables. Dans le pire des cas, eh bien heureusement qu'il y avait quelques hunters et des connaissances proches autour de moi. Je me savais profondément gentil comparé aux autres vampires, mais je restais un prédateur, un être surnaturel doté de capacités qui dépassaient de loin celles des mortels. Nul ne pouvait prédire ce qu'il aurait pu se passer. Je pris une gorgée de thé pour chasser le froid glacial qui se propageait dans mon coeur.

- Enfin, tout ça pour dire que je n'ai pas le plaisir de la connaître plus que ça. Mais de ce que j'ai vu, par ses mots et son attitude, elle a l'air plutôt disposée envers nous. Ce qui n'est guère étonnant finalement, car il s'agit de la fameuse alliée d'Alessio, si j'ai bien compris.

Je lui jetai un oeil pour vérifier mes conclusions. Puis quelques questions se bousculèrent dans mon esprit, et malgré les émotions qui en jaillissaient, je souhaitais profiter de la présence de Sarah, qui avait été présente sur la seconde partie, pour éclairer ma lanterne.

- Aaren n'est pas rentré dans les détails, et Junya est parti avant que vous n'arriviez. Aussi, je me demandais... Que s'est-il passé de marquant après votre apparition ?

A mon instar, Sarah m'apprit qu'elle n'avait eu que peu de temps pour se faire une opinion solide sur Asuna Hirano. Je ne doutais pas qu'elle fût très affectée par ce drame. L'un des siens venait de périr, occit par une lame d'origine et de facture inconnue. Qui n'aurait pas été bouleversé ? Je ne comprenais que trop bien la peine qu'elle ressentait et la douleur qui l'accompagnait. Même si, dans son cas, les individus de son espèce se comptait par quelques dizaines, tout au plus.

Visiblement je n'avais pas raté grand chose. Je haussai un sourcil. Une pièce de 1986 ? Je ne voyais pas le rapport avec l'affaire mais, lorsque Sarah se trouvait dans les parages, les événements nous souriaient, même les plus insignifiants. Quant à l'arrivée de Metuselah… je connaissais assez le personnage pour m'en faire une idée. Il ne faisait rien comme les autres. Il devait toujours prouver sa supériorité. J'imaginais donc bien le genre de spectacle qu'il avait réservé à son assemblée.

Sarah revint sur ses paroles, attirant mon regard inquisiteur. La rencontre entre Metuselah et Asuna ? Elle me décrivit la scène avec tant de fidélité que je ne pus retenir un sourire hilare. Le grand Shidara, réprimandé comme un enfant ? Ma foi, il me tardait de faire plus ample connaissance avec cette Asuna Hirano ! Cette réaction reflétait une personnalité espiègle, probablement excentrique, en toutes circonstances, et j'appréciais justement ces gens qui se démarquaient des autres par leur attitude singulière.

- J'aurais bien voulu voir ça. Cette Asuna a beaucoup de mérite dites-moi. On risque de bien s'entendre.

Blague à part, je n'étais pas surpris de la tournure des événements. Aaren vouait un grand respect pour les morts et le deuil. Et sa compassion ne pouvait que le pousser à rendre le corps à son peuple. J'opinai, en accord avec les actes du chef des chevaliers. Metuselah s'était vu refuser un souhait. Il ne devait pas avoir l'habitude, et, en toute sincérité, tout ce qui pouvait lui déplaire avait potentiel à me satisfaire.

- Aaren a agi pour le mieux. L'idée que Shidara charcute un cadavre de lycan, après tout ce qu'il leur a fait, quelque soit ses motivations, me met mal à l'aise. Alors je n'ose imaginer ce que ressentirait un lycan.

Un souvenir frais se superposa à cette image déplaisante du personnage : ces quelques mots qu'il m'avait adressés au Sénat. Je crains d'être un peu en retard, mais... sachez que je compatis. Sincèrement. J'espère que vous ne revivrez jamais pareille perte. Ces condoléances avaient été prononcées avec une sincérité déroutante, si bien que je m'interrogeais encore sur le bien fondé de ce soutien inattendu. Difficile d'imaginer que le chef du clan japonais pouvait montrer une réelle compassion pour autrui.

- Il m'a présenté ses condoléances au Sénat. Metuselah… Sa compassion est bien la dernière chose sur Terre à laquelle je m'attendrais. Mais… je suppose que tout personnage détestable présente quelques bons côtés, n'est-ce pas ?

Je souris tristement avant de détourner les yeux. Le chagrin remontait à la surface et je n'osais soutenir le regard d'une amie. J'aurais pu me renseigner un peu plus sur ce qui s'était dit après mon départ, et les conclusions qui en découlaient. Mais avoir conscience de l'identité du lycan et de son rôle dans la mort de ma fiancée me bouleversait. Je préférais m'accorder le recul nécessaire avant d'en savoir plus. Aaren ne verrait aucun inconvénient à répondre à mes questions le moment venu.

- Ça fait deux mois aujourd'hui qu'elle est décédée, fis-je remarquer, la gorge serrée, en reposant ma tasse sur la table basse.

C'était une date fatidique. D'ailleurs, mes amis le savaient pertinemment et s'étaient passés le mot pour ne pas me laisser seul. Je jetai un oeil à l'horloge. Mon meilleur ami m'avait prévenu qu'il passerait dans la soirée.

- Justement, j'ai prévu d'aller sur sa tombe avec Kevin, qui ne devrait plus trop tarder. Vous pourrez vous joindre à nous, si vous le souhaitez.

C'était une demande inversée. En réalité, je serais le gagnant de l'histoire si Sarah nous accompagnait, mais je ne voulais pas lui imposer quoique ce fut. J'avais parfois besoin de me sentir seul pour me recueillir en silence, mais ce soir, je ressentais plus que jamais un profond besoin de compagnie.

Mon regard s'assombrit quelque peu lorsque Sarah fit mention de la relation malsaine entre Metuselah Shidara et les lycans. Je ne pouvais qu'acquiescer. Le comportement du chef japonais me laissait dans un profond malaise. Ses enfants étaient certainement à plaindre, même si leur réputation les précédait et que je n'avais pas particulièrement envie de faire leur connaissance. En dehors de l'ainé, que je connaissais déjà par le Sénat. Et mon avis sur lui était mitigé.

Un court moment de recueillement suivit. Et je pus lire la compassion dans le regard de mon amie. Qui ne tarda pas à manifester son accord pour m'accompagner au cimetière. La façon dont elle l'annonça m'arracha un sourire, léger, mais sincère.

- Loin de moi l'idée de me débarrasser de vous, Lady Lawford.

Je savais qu'elle plaisantait et c'était sur le même ton, le regard taquin, que je m'adressais à elle. L'anglaise se leva alors, posant sa tasse sur la table basse. Je la suivis du regard tandis qu'elle se rapprochait. J'écarquillai les yeux lorsqu'elle s'accroupit à mes côtés, dans une position loin d'être adaptée à sa condition. J'étais de rang inférieur et il était impensable qu'une sang-pur pût s'abaisser ainsi. C'était dire l'importance que j'occupais dans son esprit pour outrepasser nos règles de bienséance. Et ses paroles de réconfort me touchèrent un peu plus profondément, tellement que j'en restai muet d'émotion. Mon regard néanmoins, brillant et reconnaissant, suffisait à exprimer ce que je ressentais sur l'instant.

Ce moment unique de proximité fut brisé par un vacarme provenant de l'entrée. Une seconde plus tard, mon meilleur ami faisait irruption dans l'encadrement de la porte, fidèle à lui-même : extravagant.

- Raphyyyyy c'est moiiiii. J'espère que tu n'es pas encore à…

Il s'interrompit aussitôt en apercevant l'illustre personnage à mes côtés. Son regard médusé passa de Sarah à moi, puis de moi à Sarah. Pour une fois que quelque chose le surprenait au point de lui clouer le bec.

- Oh. Lady Lawford, vous ici !... J'ai interrompu quelque chose ?

Il m'adressa un sourire équivoque, auquel je répondis en levant les yeux au ciel. C'était tellement lui. Mais il avait le mérite de toujours dérider la situation même dans les pires moments.

- Bonjour Kevin. Sarah est venue me rendre visite à l'improviste. Je lui ai d'ailleurs proposé de nous accompagner, puisqu'elle est là.
- Oh, mais quelle bonne idée ! Tous les trois, comme au bon vieux temps… Halala. ça me rappelle de bons souvenirs.

Il se rapprocha de nous pour saluer la sang-pur comme son rang le méritait. Car s'il faisait toujours preuve d'excentricité, même en la présence de Sarah, il ne dérogeait jamais à la bienséance. Par respect, par devoir, et par affection.

- Dis-moi, qu'est-ce qui a fait autant de bruit quand tu es entré ?
- Oh oui !

ll se précipita vers le hall pour revenir en transportant non sans bruit un attirail pour le moins singulier. Je l'interrogeai du regard, un sourcil levé.

- Ce sont des grelots porte-bonheur. J'ai trouvé ça sur le marché en venant. Je me suis dit que c'était de circonstances et que ça mettrait un peu d'ambiance.

Il les agita en souriant. Je notai qu'il en avait acheté beaucoup. Avait-il peur que le bonheur me fuit pour l'éternité ?

- ça tombe bien j'en ai plein en rab, Sarah pourra en prendre un.

J'échangeai un regard avec l'anglaise. J'avais oublié que Kevin pouvait avoir des idées aussi saugrenues que lui. Je la plaignais presque. Je me fis violence pour ne pas l'imaginer accoutrée d'un grelot entre les mains. Cela risquait de nuire à son image. Attiré par le vacarme, Seito fit une brève apparition pour vérifier que tout allait bien. Reconnaissant Kevin, il secoua la tête, blasé, avant de repartir aussi vite qu'il était venu. Mon meilleur ami se dirigea vers la table pour déposer ses fardeaux, puis il récupéra une chaise pour s'installer à égale distance entre nos deux fauteuils.

- Alors alors, Sarah, comment allez-vous ? Vous plaisez-vous à Nakanoto ?

Son excentricité détonnait clairement avec nous, mais elle m'apportait une fraîcheur de vivre rassérénante. C'était exactement la distraction dont j'avais besoin.

La pique de Sarah m'arracha un sourire satisfait. D'autant qu'elle avait raison. C'était Kevin, le plus dégourdi de notre trio, qui se retrouvait parfois dans des situations délicates. Situations qu'il gérait heureusement très bien, il veillait à ce que les conséquences ne ternissent point nos réputations. Mais il était de bon ton de le lui rappeler. Mais loin de se laisser impressionner, mon meilleur ami agita une main devant lui.

- Certes, certes, my Lady. Mais reconnaissez que je m'en suis toujours sorti avec brio.

De toute façon, il fallait toujours qu'il eût le dernier mot. Le sujet passa rapidement sur les babioles qu'il ramenait du marché. Sans surprise, Sarah lui fit comprendre l'absurdité de sa proposition. Mais visiblement, porter chance n'était pas la fonction première qu'il considérait pour Lady Lawford.

- Pas pour vous porter chance, my Lady, non non, nous savons tous que vous vous suffisez à vous-même. En revanche, je suis sûr qu'il vous siéra à merveille. Vous devriez essayer pour voir.

Kevin avait parfois tendance à oublier que nous n'avions pas toujours le même sens de l'excentricité. Je me retenais toutefois de rire devant la scène. Je ne souhaitais pas froisser mon amie, ni enfoncer davantage le clou du ridicule. Toutefois, notre ami avait eu le bon sens de lui présenter celui qui semblait le plus apprêté pour une dame de son rang.

- Ravi que la ville vous plaise en tout cas. Moi je me porte à merveille, comme vous pouvez le constater !

Il tapota sa poitrine pour démontrer sa forme olympique. Je secouai la tête. Kevin ne se gênait pas pour se donner en spectacle, mais la distraction était bienvenue. Je tournai la tête vers Sarah lorsqu'elle mentionna un salon de thé à lui faire découvrir, intéressé.

- Avec plaisir ! s'écria Kevin, toujours partant lorsqu'il s'agissait de boire du thé, en bon Lord anglais.
- Quel est donc le nom de cet établissement ? Je le connais peut-être.

Depuis la dizaine d'années que je résidais ici, j'avais eu maintes occasions pour découvrir les restaurants, café, et autres lieux conviviaux pour déguster plats et boissons en tout genre. Kevin changea toutefois rapidement de sujet, pour revenir à sa lubie du jour, les grelots. ll agita celui qu'il destinait à la noble dame, puis m'en tendit un au hasard.

- Alors, alors, qu'en pensez-vous ?
- Eh bien, nous verrons cela en revenant du cimetière, déclarai-je après quelques secondes de réflexion.

Sur ces mots, je me levai pour rejoindre l'entrée, ignorant la moue de dépit de mon meilleur ami. Il s'en remettrait bien vite. J'enfilai un simple gilet, les températures estivales ne nécessitant pas de se couvrir davantage. Je me tournai ensuite vers mes amis pour les encourager à me suivre. Seito, déjà prêt, tandis les affaires de Sarah pour l'aider à se rhabiller. J'attrapai mon chapeau avant de franchir le seuil de la porte, ouverte par les soins de mon majordome.

Une fois au dehors, je tendis mon bras pour permettre à la jeune lady de s'y appuyer. Je fus néanmoins en concurrence avec Kevin, qui, par habitude, s'était exécuté au même moment. Nous échangeâmes un regard avec une fausse lueur de rivalité. Le silence fut toutefois le seul conseiller pour la sang-pur. Lorsqu'elle eut choisi, nous partîmes tranquillement en direction du quartier culturel, le calme de notre marche perturbé uniquement par des interventions ponctuelles de l'anglais.

Après une belle demi-heure de marche, le portail du dernier lieu de repos se dessina sur l'horizon. Le style japonais dominait très largement sa structure, étant bien plus ancien que les dernières infrastructures de Nakanoto, plus occidentales. Néanmoins, des tombes catholiques côtoyaient çà et là des sépultures shintoïstes, et même bouddhistes. C'était une belle image de diversité et d'acceptation mutuelle.

Je nous guidais sans mal vers l'allée où reposait ma défunte fiancée. Sans instruction de sa part, du fait de la brutalité de sa mort, j'avais opté pour une cérémonie à la fois catholique et shintoïste, et l'aspect global de sa sépulture répondait également à cette description. La pierre tombale japonaise présentait un épitaphe gravé en kanjis, et une croix chrétienne trônait au centre. Outre un bouquet de fleurs fannées, la tombe comportait une photo d'Emeraude, douce et souriante, pour rappeler la femme qu'elle avait été.

Je m'immobilisai quelques secondes devant sa sépulture pour me recueillir en silence. Puis je m'accroupis pour récupérer le bouquet détérioré, afin de le remplacer avec celui que j'avais acheté sur le chemin. Je chassai d'une main quelques saletés qui souillaient la pierre, puis j'appuyai mon bras sur mon genou, un sourire triste sur les lèvres.

- Bonjour ma douce. Je t'ai ramené du monde aujourd'hui. Kevin et Sarah, mes amis d'Angleterre, je t'avais parlé, tu te souviens ?

Je lui adressai toujours quelques mots, pour remplir son éternelle quiétude. Elle avait déjà fait la connaissance de Kevin une fois, mais elle n'avait jamais connu Sarah personnellement. C'était bien dommage, car leur passion commune pour la littérature les auraient assurément rapprochées. Après quelques banalités, je me relevai à hauteur de mes amis.

- Merci d'être là. Pour elle, et pour moi.

Je leur adressai un sourire, triste mais néanmoins chaleureux. Il n'y avait de plus grande valeur que celle de l'amitié.