Le maître et l'apprentie [24/06/2018]

Installé sur une chaise, les bras croisés, Shinji s'impatiente. Quatorze heures passées, et toujours pas de Taichi. S'il y a une chose qu'il apprécie, c'est bien la ponctualité. C'est dommage d'être en retard pour son premier jour. C'est pourtant elle qui démontrait une forte volonté, quelques jours plus tôt, lorsqu'elle l'a contacté pour lui confirmer son souhait de devenir son apprentie. Ils ont convenu d'un rendez-vous pour aujourd'hui, pour laisser le temps au maître des ténèbres de faire les démarches nécessaires.

Il était prêt à annuler leur rendez-vous, en vérité. Ces derniers jours ont été riches en rebondissement. D'abord, il est contacté par des changelins, qui n'ont jamais disparu, pour lui demander son aide dans une affaire sordide d'aberrations. Il procède à l'interpellation musclée des criminels, y laissant deux cadavres au passage. Puis, grâce à Thomas, il découvre la vérité au sujet d'Alyssa. Il confronte sa sœur et sa supérieure. Il est mis à pied. Il retrouve Alyssa. Il dépose son dossier de dérogation, puis son dossier de maître d'apprentissage. Et pour couronner le tout, il croise la route de Lindiya Juhel, l'amie d'Alyssa. Autant de bouleversements qui le font douter sur sa capacité de jugement. Il faut avoir les idées claires pour enseigner.

Mais il a réalisé que ce serait une excuse. En réalité, il avait peur de trop s'impliquer dans cette nouvelle relation de maître à élève, et de le regretter lorsqu'elle voudra mettre un terme à leur accord, à cause du procès qui lui pend au nez. Du moins, il en était persuadé. Il ne connaît pas assez la jeune fille pour décrypter ses pensées, mais ses propres craintes oriente son jugement. En vérité, il n'a pas de raison concrète pour remettre à plus tard cette entrevue. Et la jeune Yukimura avait l'air d'y tenir. Alors soit, il a reposé son téléphone sans avoir composé son numéro. Avec sa suspension, son agenda s'est largement dégagé. C'est l'occasion ou jamais de s'investir dans un apprentissage.

Un bruit de pas légers le sort de sa rêverie. Il tourne la tête vers la porte, guettant l'arrivée de Taichi. Celle-ci ne tarde pas à apparaître dans l'encadrement. Elle est facilement reconnaissable, avec ses traits encore enfantins et ses cheveux sombres coiffés en queue de cheval.

▬ Bonjour, Yukimura-san. Vous êtes en retard.

Une salutation un peu sèche, mais il préfère lui signifier franchement son irritation. Il tient à la ponctualité. Il la regarde s'avancer, son regard sévère détaillant chacun de ses mouvements. Il observe plus attentivement son visage et n'y retrouve pas le même enthousiasme dont elle faisait preuve le soir de leur rencontre, le mois dernier. Une ombre plane sur elle.

Il se réinstalle dans son siège, mal à l'aise. Le voilà qui culpabilise pour son manque de chaleur humaine. La petite n'est clairement pas au meilleur de sa forme. Elle fait des efforts pour le cacher, mais sa mine déconfite ne trompe pas un œil averti. Et lui, il lui fait des reproches. Il serait de bon ton de tempérer son jugement.

▬ Je ne doute pas que vous avez une bonne raison, cependant, essayez d'être à l'heure la prochaine fois.

Une bien piètre tentative pour apaiser la situation. Shinji retient un soupir. Il n'est décidément pas fait pour les relations humaines. Il pourrait peut-être faire un effort. Après tout, malgré son intelligence remarquable, Taichi n'est encore qu'une enfant. Son expression se radoucit un peu.

▬ Quelque chose ne va pas, Yukimura-san ?

Son inquiétude n'est pas feinte. S'il a accepté d'être son maître, ce n'est pas uniquement par devoir. Bien qu'elle soit trop hyperactive à son goût, il la trouve attachante, quelque part, et sa volonté d'apprendre lui plaît. Il est donc normal qu'il s'enquiert de son bien-être. Car c'est aussi ça, le rôle d'un maître : accompagner son apprentie en toute situation.

Taichi Tomoe traine des pieds pour rejoindre Tsukishima-sensei. Tous les chamboulements dans sa vie ne l’ont pas aidé à bien préparer ce cours. Elle craint même de décevoir son sensei en n’agissant pas comme il le faudrait, ou en faisant les exercices de travers. Pourtant elle était si enthousiaste lorsqu’elle a eu l’accord du Savoir pour avoir un sensei et encore plus lorsqu’elle avait validé sa demande pour Tsukishima-sama.
Elle ne le connaissait pas depuis très longtemps, et en réalité ne l’avait rencontré qu’une fois à l’occasion d’un repas chez la Sagesse, juste après avoir été retrouvé par l’ancienne Savoir. Dès l’instant où elle avait fait sa connaissance, elle avait su qu’elle voulait apprendre à se perfectionner avec lui. Malgré le fait que leur magie soit bien distincte. Tsukishima-sensei était sur la magie des Ombres et gravitationnelle. Alors qu’elle était sur la magie de foudre et spatiale. Au final quelle importance ? Ce qui comptait, c’était qu’il puisse l’aider à progresser à nouveau.

L’adolescente regarde sa montre une nouvelle fois. Quatorze heures passé. Elle est en retard, elle qui n’aime pas cela et qui souhaitait faire bonne impression, c’était clairement raté. Pressant un peu le pas, Taichi finit par déboucher dans la salle d’entrainement réservée par Tsukishima-sensei.
Bien entendu, la salutation est sèche, mais parfaitement justifiée. De toutes les façons, la jeune sorcière sait ne pas avoir d’excuse pour son retard. Être perdu dans ses pensées, avoir sa vie de chamboulé à cause de l’arrivée de sa mère biologique n’étaient pas des motifs valables à ses yeux. L’adolescente tâche de faire bonne figure, même si elle a conscience que ce n’est pas un réel succès. A la modulation que son sensei fait de sa remontrance précédente, elle comprend qu’il a comprit qu’elle n’était pas bien.

« Sumimasen Tsukishima-sensei. Vous avez ma parole je serai à l’heure la prochaine fois, ça ne se reproduira plus. »

Taichi l’observe, assis sur son siège, et constate que lui non plus ne semble pas au meilleur de sa forme. Peut-être a-t-il beaucoup de travail ? Peut-être n’a-t-il pas pu bien dormir depuis plusieurs jours ? La petite s’en veut un peu de lui rajouter de la charge de travail. A quoi avait-elle donc pensé à l’origine ? Il fait parti des sentinelles, bien entendu qu’il a énormément de travail, sans compter le travail officiel qu’il doit posséder.
Sa dernière question cependant prend la jeune sorcière un peu au dépourvu. Son étonnement se lit sur son visage et elle ne sait pas trop comment répondre à son sensei. Il faut dire qu’ils n’ont jamais encore eu de conversation d’ordre … privé. Taichi Tomoe ne sait même pas par où elle pourrait commencer.

« Je … je ne voulais pas vous inquiéter Tsukishima-sensei. C’est … un peu compliqué en ce moment. Ma … ma mère biologique est entrée dans ma vie sans prévenir et … j’ai beaucoup de mal à l’accepter ainsi qu’à admettre que ma vie entière est basée sur un mensonge. Je suis … perdue en fait.

Rassurez-vous je suis tout à fait apte à travailler avec vous malgré ça. Et puis vous avez l’air fatigué, je suppose que vous n’avez pas beaucoup de temps pour vous reposer avec vos devoirs de Sentinelle. Je ne voudrais pas vous rajouter des tracas supplémentaires. »

La sorcière est relativement satisfaite d’avoir fait un résumé aussi succinct de la situation, sans s’emporter ni pleurer. Cela relève presque de l’exploit tant ses émotions sont instables encore aujourd’hui. Néanmoins, elle ne peut pas cacher sa préoccupation, ni sa fatigue liée à ses très courtes nuits. Elle ne doute pas un seul instant qu’il lui demandera des précisions, et même si elle ignore comment elle pourrait lui avouer la vérité … Elle sait qu’elle essaiera. Il est son sensei, et comme à Jarlsonfel-sama, elle lui doit la vérité pleine et entière.

Même si cela revient à le supplier par la suite de ne pas lui accorder de traitement de faveur à cause de sa filiation.

Sa nouvelle apprentie s'excuse avec ferveur pour son retard, promettant qu'il n'y en aura pas d'autre. Shinji hoche simplement la tête, satisfait de cette réponse, car il peut lire dans son regard qu'elle est sincère et fera tout pour respecter l'horaire à l'avenir. Avec ce pardon honnête et la mine exténuée de l'adolescente, il finit pas se radoucir et n'insiste pas plus sur son manque de ponctualité. Il ose même s'enquérir de sa santé, car la jeune fille est toujours enthousiaste d'ordinaire, et le manque de démonstration est préoccupant.

Taichi Tomoe ne cache pas son étonnement. Il discerne même une certaine gêne dans son attitude. Mince, il a loupé une occasion de se taire. Il détourne le regard en se massant la tempe. Pour une fois qu'il essaie de se montrer attentif aux autres…

▬ Vous n'êtes pas obligée de me répondre. Cela n'est pas utile pour notre cours.

Hum, c'est une tentative de rattrapage un peu maladroite. Cependant la jeune Yukimura daigne lui donner quelques détails, visiblement désolée de l'inquiéter. Sa réponse sybilline le laisse perplexe. Les sourcils froncés, mais sans expression sévère, il la fixe quelques secondes. Sa mère biologique ? Elle n'a pas le même sang que les Yukimura ? Elle en a trop dit, ou pas assez, il n'en sait trop rien. Sa curiosité est piquée, mais il est bien trop respectueux de la vie des autres pour en apprendre davantage.

Il ne peut retenir un rictus suite à la remarque de Taichi sur ses devoirs de Sentinelle. Ah, si elle savait. Il est toutefois surpris qu'elle le trouve fatigué. A-t-il si mauvaise mine que ça ? Il n'est pas du genre à se contempler dans un miroir donc il n'y a pas prêté attention ce matin en se levant. Il est vrai qu'il a peu dormi dernièrement. La potion de sommeil de Thomas était ressourçante, mais pas suffisante pour rattraper des semaines de sommeil peu réparateur. Et avec les dernières révélations, et sa préoccupation vis-à-vis de la Justice, ses pensées s'agitent encore bien trop pour son propre bien.

▬ Ne vous en faites pas pour moi, mon agenda s'est quelque peu allégé dernièrement, je peux me consacrer à votre apprentissage sans concession.

Ses lèvres se pincent pour retenir une grimace. Ce n'était pas une remarque essentielle. Néanmoins puisqu'elle semble prêter de l'attention à son bien-être, cela suffira à la rassurer. Il réalise que sa réponse est assez floue et libre d'interprétation. Il se lève pour dégourdir ses jambes nerveuses.

▬ Je peux imaginer à quel point votre situation est bouleversante. Si vous avez besoin de parler de vos tracas pour éclaircir votre esprit, je suis à votre écoute. Le rôle d'un maître est de guider son apprenti, quel que soit le domaine. Mais vous êtes également libre de garder vos secrets.

Autrement dit, elle peut se confier à lui si elle le souhaite, sinon elle mettra de côté ses préoccupations le temps de leurs cours. Il espère avoir été plus clair cette fois. Grands dieux, ce n'est vraiment pas son domaine de prédilection. Il devrait cesser de s'aventurer sur ce genre de terrain glissant.

▬ Tout ce que je souhaite, c'est que vous soyez concentrée pendant nos leçons.

Il cesse de marcher pour lui faire face, l'expression aussi avenante qu'un Tsukishima puisse se le permettre. Son silence éloquent laisse ainsi la balle dans le camp de la jeune sorcière. A elle de décider de la suite.

Son agenda s’est allégé dernièrement ? Comment c’était possible ? Taichi Tomoe a la sensation d’avoir un élément qui lui manque pour comprendre la portée réelle de cette affirmation. Parce que par les temps qui courent, elle voit mal comment une sentinelle pourrait voir ses devoirs s’alléger.
Une chose est certaine dans l’esprit de la petite, c’est qu’il n’est pas tellement plus à l’aise qu’elle, ni doué, avec les relations inter-gens. Il semble mal à l’aise en marchant un peu devant elle après avoir quitté son siège. C’est la première fois que l’adolescente a un sensei rien qu’à elle, de fait et malgré ses connaissances théoriques, elle ne sait pas à quoi s’attendre. Néanmoins elle est touchée par les paroles qu’il lui offre. Il est aussi là pour la guider. Selon sa conception il ne peut y avoir de secret entre eux deux. Ce ne serait pas bénéfique, ni productif parce qu’elle se retiendrait toujours un peu même si c’était du domaine de l’inconscience.
Concentré … Taichi laisse échapper un sourire. C’est bien quelque chose qui peut lui faire défaut souvent. Son regard devenu un peu espiègle trahit sa certitude qu’il y aurait de nombreux rappel à l’ordre sur le sujet. Mais que peut-elle bien y faire ? Après tout, elle ne sait pas se concentrer bien longtemps. Ils devront tous les deux s’adapter à cette donnée pour la suite.
Maintenant stoïque face à elle, son esprit suppose qu’il est le plus avenant possible par rapport à sa façon d’être. Ses efforts pour elle sont plus que louables et rien que pour cela, elle décide d’adopter la franchise de suite. D’abord un peu parlote et ensuite au travail. Parce qu’elle a sérieusement besoin de progresser.

« Je … j’ignore si cela pourrait éclaircir mon esprit de vous en parler Tsukishima-sensei. Mais je pense qu’il est nécessaire qu’il ne subsiste pas de secret entre nous. Je sais que cela pourrait nuire à ma progression sous votre enseignement et je ne le désire pas. »

La petite pose son sac dans un coin, puis se remet face à Tsukishima-sensei. Son corps tout entier se prépare à l’étape suivante qui sera très probablement la supplication de ne pas renoncer à lui prodiguer ses conseils. Taichi Tomoe sait bien que la réputation du Secret ne va pas jouer en sa faveur, loin s’en faut.

« Les Yukimura m’ont recueilli alors que je n’étais qu’un bébé avec ma sœur aînée. Ma mère biologique est revenue vers moi au début du mois. Elle a utilisé un de ses sorts pour me faire voir, et je crois comprendre, pourquoi elle nous avait abandonné à l’époque. Je ne sais pas ce que je vais faire par rapport à elle … enfin pas encore.
Peu importe qui elle est, je vous en prie laissez moi une chance Sensei d’évoluer sous votre enseignement, et ne me traitez pas différemment. Je ne suis pas elle, et je ne souhaite pas suivre ses traces. »

La panique commence à refaire surface, responsable directe de ces paroles de supplication préventive. Il ne reste plus qu’une chose à ajouter pour être transparente avec Tsukishima-sensei. Tout en priant intérieurement tous les Kamis pour une réaction favorable de la part de son sensei.

« Ma mère biologique c’est … enfin c’est le Secret. »

Le sourire amusé et l'expression espiègle de la jeune fille sèment le doute alors qu'il mentionne son besoin de concentration. Il a soudain l'impression que c'est un point qui va leur demander beaucoup d'efforts et de compromis. Il retient un soupir. Dans quoi s'est il engagé exactement ? Il peut se montrer très patient envers un sujet d'étude, mais avec les gens, c'est une autre histoire. Enfin… Ce sera sans aucun doute formateur pour lui aussi.

La sorcière convient qu'un secret pourrait se mettre en travers de son apprentissage. En soi, Shinji ne souhaite pas spécialement qu'elle se confie, simplement qu'elle soit disposée à apprendre. Si elle pense que s'exprimer sur ses préoccupations permettra de les laisser couler, il n'y voit pas d'inconvénient. Par contre, "pas de secret entre nous"... Il retient une grimace. Il n'y a plus qu'à espérer qu'elle ne pose pas de question embarrassante. Il n'aimerait pas lui mentir.

L'adolescente dépose ses affaires avant de se réinstaller devant lui. Il n'est pas un fin limier concernant l'attitude des autres, mais il sent pourtant qu'elle est tendue, voire stressée, à l'idée de ce qui va suivre. Il reste toutefois de marbre et l'encourage, par son silence, à briser la glace. Il s'assoit sur le bord de la table, bras croisés, prêt à entendre sa confession.

Le maître des ténèbres reste d'abord stoïque. Il ne connaît pas suffisamment l'histoire de la petite, aussi apprendre qu'elle a été adoptée ne le perturbe guère. Si sa véritable mère est venue la trouver récemment, le bouleversement qui en découle explique logiquement l'état de la petite. Se retrouver confronté à ses racines alors qu'on n'en avait pas conscience… Il n'est nullement dans sa situation, aussi il n'ose imaginer à quel point c'est délicat.

Mais les sourcils de Shinji se froncent aux supplications de sa nouvelle apprentie. Ne pas la traiter différemment ? Qu'insinue-t-elle ? Quel pourrait être le rang de sa mère biologique pour qu'elle craigne un changement d'attitude de sa part ? Shinji n'est pas du genre à traiter différemment les autres à cause de leurs origines… Encore que, l'éducation élitiste de son père déteint sur lui quand il s'agit de métis. Cependant Taichi n'en est pas une, ça il en est certain.

Puis la vérité tombe. Il entrouvre la bouche, mais aucun son n'en sort. Le choc le prive temporairement de sa voix. Taichi Tomoe Yukimura, la fille du Secret ? La chaire de Fujibayashi Irina, sa supérieure ? Comment… par quel sort du destin ? Il sait qu'elle a été mariée, son patronyme étant la preuve pour une étrangère, et il a cru comprendre que son mari était un paria. Mais il ignorait qu'elle avait une fille. Bien qu'il ne se soit jamais vraiment intéressé à la vie privée de ses collègues, sa cheffe en particulier.

La stupeur passée, il recouvre progressivement ses moyens. Heureusement qu'il était bien assis, sans quoi il aurait peut-être perdu son équilibre. Il se pince l'arrête du nez entre le pouce et l'index de la main droite en fermant les yeux. Décidément, la vie adore lui réserver des surprises, bonnes ou mauvaises, ces derniers temps.

▬ C'est… inattendu.

Certes il aurait pu trouver mieux. Cependant il digère encore la nouvelle. Comment est-il supposé réagir dans cette situation ? Il n'y a pas de recette. Jamais il n'aurait imaginé se trouver dans cette position délicate. Cependant il peut la rassurer sur au moins un point. Il redresse le regard pour croiser le sien.

▬ Vous êtes la fille du Secret. Soit. Mais vous êtes néanmoins déterminée pour apprendre, et c'est important pour moi. C'est votre choix et je le respecte. Et je ne reviens pas sur mes engagements.

Il croise les bras, comme à son habitude, avant de poursuivre.

▬ Et n'ayez crainte, cela ne change rien à mes plans. Je ne compte pas vous traiter différemment d'un élève ordinaire. Je pense même que votre… mère serait particulièrement mécontente que je vous accorde un traitement de faveur.

Il reste la possibilité qu'Irina voit d'un mauvais œil leur nouveau lien de maître et apprentie. Après tout, il est suspendu jusqu'à nouvel ordre pour s'être révélé aux yeux d'une humaine et l'avoir caché aux autorités sorcières. Il y aura bientôt de fortes répercussions sur sa vie et celle de son entourage, dont Taichi fait désormais partie. Mais alors elle viendra lui en parler et il avisera.

▬ Je comprends mieux votre état d'esprit. C'est un bouleversement lourd de conséquences. Je vous remercie de m'en avoir fait part. Même si cela ne va rien changer à la suite, c'est une bonne chose que je sache.

ça lui évitera des déconvenues par la suite. Et il en a eu assez ces derniers jours.

Taichi a parfaitement conscience qu’elle ne peut pas exiger une honnêteté totale de la part de Tsukishima-sensei. Après tout, il est une sentinelle et de ce fait aura automatiquement des affaires secrètes à traiter dont il ne pourra lui toucher mot. Cependant là n’est clairement pas sa priorité du moment.
L’attente de la réaction de Tsukishima-sensei est longue, bien trop longue pour l’adolescente en réalité. Le temps semble vouloir lui jouer un tour en s’étiolant à l’infini dans un moment de silence absolu. La bouche entrouverte, en un son muet argumentant malgré tout pour le choc profond que la révélation déclenche. La petite ne sait comment interpréter cette stupeur. Son esprit craint, dans les faits, que cela ne soit annonciateur d’un arrêt brutal suite à un passif quelconque avec l’Enclaviste. La jeune sorcière se mordille la lèvre inférieure d’inquiétude, devant cet instant sans fin, pendant que ses doigts trouve une mèche de cheveux avec laquelle jouer. Son estomac, encouragé largement par la peur sournoise qui l’habite, forme des nœuds donnant l’impression d’être impossible à dénouer.

Ce dernier décide donc de jouer aux montagnes russes lorsqu’enfin les mots parviennent à quitter la gorge puis les lèvres de Tsukishima-sensei. Inattendu ? Taichi Tomoe entrouvre à son tour sa bouche. C’était bien loin de tout ce que son esprit avait pu envisager, et décidément pas le premier terme lui venant en tête. Son regard croise celui du jeune homme. Dedans elle y voit une grande détermination, malgré une réserve.
Malgré elle, l’adolescente laisse échapper un soupire de soulagement. Non seulement il accepte sa filiation, qu’elle-même a encore du mal à faire, mais en plus il affirme qu’il ne la traitera pas différemment d’une autre. Tsukishima-sensei ne se doute pas un seul instant, du moins actuellement, à quel point il vient d’enlever un poids de ses épaules. S’inclinant profondément devant son sensei, Taichi peine à trouver les mots adéquats pour lui exprimer toute sa gratitude.

« Arigato gozaimas Tsukishima-sama. Je ferai tout ce que je peux pour que vous puissiez être fier d’être mon sensei. »

Pour elle, ce ne sont pas des paroles en l’air. Cela ressemble même à une sorte de serment, que Taichi Tomoe se fait à elle-même et à son sensei. Ce jeune homme, dont elle ignore encore tant de chose, est la personne qui a accepté de l’entrainer et de lui enseigner ce qu’il sait. Le décevoir n’est pas une option dans son esprit, pas plus que de décevoir Jarlsonfel-sama. A présent il ne reste plus qu’une chose à faire à ses yeux d’enfant surdouée : entrer dans le vif du sujet. Le Secret est repoussée loin dans son cerveau, dans un endroit où elle ne se rappellera pas à elle avant un moment. La jeune fille a besoin de se concentrer, et pour l’instant sa mère biologique représente une formidable distraction concernant cet objectif.
Taichi se redresse et fixe Tsukishima-sensei, prête à recevoir sa première leçon.

« Par quoi souhaitez-vous commencer Tsukishima-sensei ? Souhaitez-vous voir de quoi je suis déjà capable ? »

La réaction de Shinji, visiblement loin d'être la première qui vienne à l'esprit de la jeune sorcière, lui arrache un soupir de soulagement, et soudain le monde est bien plus facile à porter pour ses frêles épaules, qu'il voit se détendre subitement. Taichi s'incline alors pour faire une révérence respectueuse, promettant avec ferveur de faire de son mieux pour le satisfaire. Guère habitué à ce genre de déférence, Shinji se réinstalle sur son appui, inconfortable.

▬ Je n'en doute pas, rétorque-t-il en hochant la tête.

Après quelques secondes de silence, l'adolescente se redresse pour le fixer, le regard brillant de détermination. La commissure des lèvres du maître des ténèbres frémit, alors qu'il retient un sourire en coin. Voilà une attitude qui lui plait. Il reconnaît là la flamme avide de savoir qui doit animer tout digne apprenti. La jeune sorcière l'interroge ensuite sur le programme. Bien, elle est désormais disposée à commencer la leçon. Il met donc de côté cette révélation stupéfiante pour se concentrer sur l'essentiel.

▬ En effet. Le premier soir, vous aviez mentionné, de mémoire, le domaine de la foudre et celui de la dimension. Vous en aviez décrit sommairement les effets, mais rien ne vaut une démonstration en bonne et due forme.

Shinji se décide enfin à se mouvoir pour se mettre un peu à l'écart, et laisser un maximum d'espace à sa nouvelle apprentie. S'il a une bonne mémoire, beaucoup d'événements se sont enchaînés depuis leur première rencontre, et les détails de ses capacités se sont perdus dans le flot d'informations que le Tsukishima a emmagasiné depuis. Ce petit exercice sera une bonne piqûre de rappel. Et puis, il désire aussi observer la jeune pratiquante ; voir comment elle s'y prend, pour repérer les failles et les axes de progrès.

▬ Si vous avez besoin d'une cible, vous pouvez utiliser celle-ci.

Shinji agite la main tandis que ses lèvres remuent en silence. Les ténèbres se condensent rapidement au centre de la pièce pour former une orbe noire parfaite. Il ne sait plus si les sorts de Taichi nécessitent un cobaye, aussi il le lui offre sur un plateau. Libre à elle de s'en servir pour sa démonstration. Tout ce qui compte, c'est qu'elle donne le meilleur d'elle-même pour qu'il puisse analyser sa façon de procéder.

▬ Ne vous ménagez pas. Ce petit exercice me permettra d'étudier votre magie ainsi que votre pratique. C'est essentiel pour déterminer ce sur quoi nous devons focaliser les premières leçons.

La maîtrise est la clé de la réussite avec une essence aussi capricieuse que la magie. Avant d'apprendre un nouveau sort, il faut déjà bien connaître ceux que l'on a appris, et les améliorer autant que possible. D'ailleurs, le nouvel enseignant estime que l'on ne cesse jamais vraiment de progresser. Aujourd'hui encore, lorsqu'il a un peu de temps pour lui, il met ses sortilèges à l'épreuve pour chercher comment les faire évoluer.

Shinji s'appuie contre le mur et croise les bras, le regard alerte, prêt à scruter la jeune sorcière en action sous les moindres coutures. Pour l'instant il va se contenter du statique, mais en fonction de ses performances, peut-être passera-t-il à un exercice plus dynamique. La balle est désormais dans son camp.

Tsukishima-sensei acquiesce à son serment avant de se remettre dans une position plus confortable. Taichi Tomoe patiente donc pour avoir les premières directives de ce premier cours individuel avec son sensei rien qu’à elle. Une nouvelle fois, il valide sa question et rappelant que lors du repas chez Sagesse-san, elle avait mentionné ses sorts. Néanmoins, il précise que rien ne vaut une démonstration. De fait, voilà le maître des Ombres s’éloigner légèrement pour lui laisser tout l’espace disponible dont elle pourrait avoir besoin.
L’adolescente le regarde avec émerveillement lorsqu’il crée de toute pièce un mannequin d’ombre pour lui servir de cible. Elle n’en revient pas de voir ce qu’il peut faire en agitant légèrement la main et sans le moindre mot. C’est limite si la petite ne se met pas à trépigner d’impatience, rien qu’en imaginant les progrès futur qu’elle allait pouvoir faire sous son enseignement.
Cependant, lorsque Tsukishima-sensei l’informe de l’objectif supplémentaire de la démonstration, elle l’écoute avec attention et sagement. Bien sûr elle comprend qu’il a besoin de réfléchir à la meilleure façon de l’orienter et de l’accompagner dans sa formation. Il n’est pas envisageable d’avancer à l’aveugle lorsque l’on parle d’apprentissage.

« Bien compris Tsukishima-sensei. »

Le cerveau de la petite sorcière se met à réfléchir intensément et rapidement. Par quoi commencer ? Probablement par le plus simple et maîtrisé de ses sortilèges. La boule d’ombre sera parfaite pour ses sorts de foudre dans le fond, puisqu’elle peut l’attaquer et l’emprisonner. En se concentrant légèrement, elle sent l’électricité statique autour d’elle. Cette dernière n’est pas en quantité suffisante pour qu’elle fasse trop de zèle dans sa démonstration, mais bien suffisante pour montrer à Tsukishima-sensei ce dont elle peut être capable.
Néanmoins elle ne sait pas vraiment comment aborder la démonstration concernant son Arcade Mythique. Peut-être en l’ouvrant sur sa chambre et en y entrant pas totalement pour en ressortir avec un objet ? De toute façon c’est la seule option qui pourra être viable, Taichi Tomoe le sait, elle ne connait pas suffisamment bien l’endroit où elle se trouve pour pouvoir ouvrir un portail pour y revenir si elle passe entièrement le premier.

« Voici mon premier sort Tsukishima-sensei, je l’ai nommé Ryujin kaminari, la foudre de Ryujin. Il est celui que je maîtrise le plus, même si je suis convaincue qu’il peut encore être amélioré. »

La jeune sorcière tend sa main droite devant elle, face à son sensei et se concentre sur sa paume. Elle sent l’électricité statique environnante se rapprocher d’elle, l’entourer, et venir se condenser au centre de sa main. Cette condensation donne naissance à une petite boule, pas plus grande qu’une balle de golf mais aussi brillante qu’un éclair en plein ciel. Cette balle grossit encore pour finalement prendre la taille d’une balle de tennis. Sans crier gare, dans un geste brusque mais contrôlé, Taichi la lance sur la cible. La cible d’Ombre vole en éclat sous l’impact, avant de se reformer tranquillement.
Sans temps mort, elle tend les bras vers la cible et murmure quelques mots sans détourner son regard de l’Ombre sphérique. Lentement, très lentement, des arcs électriques se forment autour, parfois se liant entre eux, parfois non. Leur couleur varie entre le blanc éclatant et l’orangé, à mesure qu’ils se multiplient et se connectent ensemble. Un grésillement se fait entendre, de plus en plus fort en accord avec la densité des arcs électriques. Soudain, comme un flash de lumière et un coup de tonner retentissent dans la pièce. Lorsque la lumière se dissipe, la cible d’Ombre est enfermée dans une cage, dont les barreaux sont fait d’électricité crépitante laissant s’échapper des étincelles par moment. L’adolescente, elle, se trouve sur les fesses par terre, les cheveux hérissés et l’air surprise que ça ait fonctionné. Néanmoins, en y regardant de plus près, son esprit note qu’il y a un trou dans le maillage de sa prison dorée. Un trou suffisant pour que la cible puisse s’échapper.

« Ceci est mon second sort de foudre Sensei, Ryujin jankushon, la Geôle de Ryujin. Mais … il est loin d’avoir l’effet escompté. »

Secouant la tête, elle se relève et se rapproche cette fois de Tsukishima-sensei. Après tout, il va falloir qu’il puisse voir de l’autre côté du portail pour juger réellement le sort. Une fois à côté de son sensei, la petite se concentre à nouveau, recommençant à murmurer. Il n’y a qu’une seule phrase qui se répète encore et encore : 神話のアーケード、あなたの心をお迎えしましょう. Cette fois, en parallèle de ses murmures, ses deux bras sont tendus. Sa main gauche est fermée en poing pendant dans sa main droite décrit de petits cercles juste à côté. Comme en écho à ces mouvements, un petit cercle lumineux se forme à hauteur de son poing, d’une couleur bleutée pâle.
L’adolescente augmente la taille des cercles fait avec sa main, permettant au cercle lumineux de grandir en réponse. Elle continue ainsi jusqu’à ce que le cercle soit suffisamment ouvert pour lui offrir un passage. De l’autre côté, il est possible de voir la chambre de la jeune fille. Des peluches de panda de toutes tailles, couleurs et formes, des posters de films, une fresque murale représentant divers attribut de personnages fictifs tel que Gandalf, Legolas, Cellendhyl de Cortavar, Sherlock Holmes ou encore Harry Potter. Son lit traditionnel, tatamis et futon, est fait, la chambre est en ordre. Taichi Tomoe entre alors dans le portail, ne laissant du côté de Tsukishima-sensei que son poing toujours fermé. Elle attrape une peluche, sa peluche de Gandalf, et revient auprès de son sensei. Enfin elle ouvre son poing et le portail s’évanouit en poussière bleu scintillante.
La jeune sorcière se tourne vers son Tsukishima-sensei, et se mordille la lèvre inférieure.

« Ce dernier sort, mon sort spatial, je le nomme Shinwa no Akedo, l’Arcade Mythique. C’est un portail qui me permet d’aller d’un endroit à un autre instantanément. Sauf que … je ne peux le faire que vers un endroit que je connais par cœur, je ne peux pas maintenir le portail ouvert si mon poing n’est pas fermé non plus. Personne d’autre que moi ne peut le passer, et je ne peux y avoir recours deux fois de suite.
C’est le sort que je maîtrise le moins. »

L'étincelle d'émerveillement dans les yeux de Taichi n'échappe pas au regard alerte de Shinji. Il retient un léger frémissement des lèvres. Et oui, c'est le résultat de nombreuses années d'étude et de pratique. S'il y a bien un mot qui revenait dans le discours de ses professeurs, c'était la persévérance. Le jeune Tsukishima ne s'est jamais contenté d'un peu. Que ce soit motivé par les fouets de son père ou par son désir de se surpasser, il se pousse toujours dans ses retranchements. Parfois trop pour son bien, sans aucun doute.

Le silence prend place. C'est le signe que la démonstration commence. A partir de cet instant, Shinji ne quitte plus Taichi du regard, attentif à la moindre subtilité de ses mouvements, jusqu'à l'expression de son visage. Concentrée, la petite semble prendre connaissance de son environnement. Puis elle annonce son premier sort : la foudre de Ryujin. L'apprentie tend la main et une énergie jaune se forme dans sa paume. Shinji analyse minutieusement sa posture et sa façon de procéder. Il note qu'elle ne quitte pas son membre du regard. Sa magie concentre l'électricité environnante en une petite boule, qui grossit jusqu'à atteindre la taille d'une balle de tennis. Puis, soudainement, la sorcière la projette sur sa cible. Sous la force de l'impact, la sphère d'ombre vole en éclat. Mais, sous l'injonction muette de son maître, elle a tôt fait de se reformer, ses morceaux rejoignant quasi instantanément le centre de l'orbe.

Ce premier exercice lui a permis de déceler quelques axes de progrès. Il n'a pas vu de faille à proprement parler, ce qui est déjà un bon point. D'autant que la technique de ce sort est sensiblement proche de sa manipulation des ténèbres, de ce qu'il a pu constater. Voilà qui facilitera l'enseignement. L'adolescente ne laisse pas de temps mort et enchaîne aussitôt sur un deuxième sort. Bras tendus vers la cible, elle murmure son incantation, et bientôt, l'électricité prend la forme d'arc qui progressent lentement autour de l'orbe ténébreuse. Outre le vacarme qui en résulte, Shinji note plusieurs failles : imprécision, lenteur, instabilité. Après un flash lumineux et un coup de tonnerre, qui fait sursauter le maître, les arcs se stabilisent pour former une cage, non sans défauts, tout autour de la sphère d'ombre. Il baisse les yeux sur Taichi, qui, derrière au sol et cheveux dressés sur le crâne, contemple son œuvre avec stupéfaction. Elle révèle alors le nom de son sort, en admettant qu'il est loin d'être au point.

▬ Je constate en effet. Celui-ci va demander du travail.

En guise de preuve, la sphère a tôt fait de se déformer pour passer à travers le principal défaut de la cage, sans même effleurer les barreaux, pour rejoindre son maître. La jeune fille se relève rapidement pour se rapprocher de lui. Il l'observe en silence tandis qu'elle se positionne à ses côtés. Son manège avec ses mains l'intrigue en premier lieu. Il comprend rapidement le rôle de chacune, toutefois ; la gauche servant de point d'ancrage, et la droite guidant la magie pour faciliter l'accomplissement du sort. Une ouverture se forme jusqu'à atteindre une taille humaine. Le jeune homme aperçoit à travers ce qui ressemble à une chambre d'adolescente, garnie de peluches, de posters et d'une fresque murale représentant des personnages célèbres qui ne lui parlent pas forcément. Il note toutefois la propreté et l'ordre impeccable. Il présume qu'il s'agit de la chambre de Yukimura-san.

La jeune fille pénètre dans le portail, ne laissant du côté de Shinji que son poing fermé, et il la voit se saisir d'un objet quelconque pour le ramener dans la salle de cours, avant de dissiper le sort en ouvrant les doigts. Le jeune Tsukishima contemple un instant la pluie d'étincelles bleutée, songeur. Ce sort est bien plus complexe et il va lui falloir réfléchir à la meilleure méthode pour l'aider, n'ayant que peu de connaissance sur la subtilité de la magie dimensionnelle. Il peut toutefois passer par une analogie avec la Via Umbrae, même si la finalité est sensiblement différente.

▬ Intéressant.

La petite a bien conscience des nombreuses failles de ce dernier sort. Pour l'instant, son maître ne visualise pas encore la solution pour améliorer sa pratique. Néanmoins, avec un peu d'étude et, peut-être, une discussion éclairée sur sa façon de procéder, cela ne devrait pas rester un obstacle bien longtemps.

▬ Vous avez connaissance des défauts, c'est déjà bien. Cela nous fait déjà trois axes de travail. Mais nous allons revoir en priorité la précision de chacun. Avant de voir plus grand, il faut déjà maîtriser le petit.

Shinji fait quelques pas dans la salle tout en observant son élève. Il y a du travail, beaucoup de travail, pour parfaire sa technique avant d'envisager l'apprentissage d'un nouveau sortilège. Mais il a cru comprendre que l'enseignement de la jeune fille a été interrompu par un malheureux évènement, ce qui l'a forcée à s'exercer seule pendant longtemps. Maintenant qu'il a une première idée de sa pratique, il s'intéresse plutôt au raisonnement de Taichi.

▬ Pourquoi avoir choisi ces sorts parmi tant d'autres ? Pouvez-vous me dire quels sont vos objectifs pour chacun ? Comment envisagez-vous de les utiliser, dans quelles situations les estimez-vous utiles, et vers quoi souhaiteriez-vous vous diriger à l'avenir ?

Bien sûr, il a déjà ses propres pistes, mais il souhaite avoir la réflexion de l'adolescente avant d'en discuter avec elle.

L’intérêt de Tsukishima-sensei fait sourire l’adolescente. S’il trouve ses sort d’un quelconque intérêt, peut-être qu’avec lui, elle pourra approfondir sa maîtrise et pousser le tout vers un niveau, ou des formes qu’elle n’envisageait pas d’un prime abord. Elle se sent rassurée lorsqu’il abonde dans son sens en affirmant que connaître les défauts est une bonne chose. La jeune sorcière n’est pas tellement plus avancée pour autant. Oui elle reconnaît les défauts de ces sorts, néanmoins elle ne voit pas pour autant comment les corriger.
Revoir la précision ? Taichi penche la tête sur le côté. Ses sorts ne sont donc pas assez précis ? C’est possible, elle sait qu’elle est difficilement objective sur le sujet. De plus, elle décide de faire confiance à Tsukishima-sensei. Elle a choisi d’être son élève, il est nettement plus habile qu’elle avec ces sorts, de fait son jugement est d’autant plus fiable.

« D’accord Tsukishima-sensei. »

Néanmoins les questions suivantes qu’il lui pose la laisse perplexe. Pour une fois, phénomène rare, son esprit est incapable de trouver quelque chose à répondre. Pourtant elle sait qu’elle va devoir le faire. Pour dire vrai, Taichi Tomoe n’y avait jamais réfléchis. Ces questionnements ne lui étaient même pas encore venu en tête. Visiblement, il était plus que temps qu’elle se les pose.
Alors pourquoi ceux-là et pas d’autres ? Dans son cerveau se formule des hypothèses, des théories pas toujours plausibles. Rien ne semble évident d’un prime abord, comme si elle n’avait pas eu de raison pour les choisir. Peut-être était-elle naïve, ou par défaut. La jeune sorcière se remémore les choix qu’elle avait fait pour chacun d’eux. Et tout cela lui montre la voie.

« Je … je voulais être autonome. C’est pour ça que j’ai choisi d’avoir un sort plutôt d’attaque avec la Foudre de Ryujin, un plutôt de défense avec la Geôle de Ryujin, et un sort pour me déplacer sans l’aide d’un téléportomage. Je voulais … je crois qu’à l’origine je voulais pouvoir fuir ma famille adoptive. Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne raison maintenant. »

Elle se sent penaude. A l’époque, cela lui avait paru tout à fait logique et justifiable par rapport à sa situation. Cependant maintenant, cela n’avait tout simplement plus de sens. Elle aurait certainement dû mieux réfléchir au démarrage, s’accorder plus de temps de réflexion, plutôt que de tout faire pour ne dépendre d’aucun Yukimura.
De plus, maintenant que cet aveu était fait, la petite se rendait bien compte qu’elle n’avait aucun objectif pour ces sorts. Peut-être que cela avait aussi joué sur sa capacité de maîtrise et de progression. Malgré la fierté qu’elle avait de ses sorts, elle les savait maintenant vide de but … Quel pourrait être l’objectif ? Le but a atteindre au bout de la route ? Elle n’en savait rien et son esprit, bien que brillant, séchait pour la première fois. Aucun début d’idée ne venait se former, comme si son cerveau était totalement vide. Puis, soudain, après plusieurs minutes de réflexion, une petite lueur d’idée s’alluma. Taichi avait même peur de la formuler à haute voix, tellement elle lui semblait puéril et naïve. Pourtant, c’était la seule qu’elle avait à offre à son sensei.

« Je … je n’y ai jamais réfléchis vraiment. Je suppose qu’ils pourraient avoir un objectif commun comme la protection. Le première aurait pour but de repousser des agresseurs, le second d’en enfermer, quant au dernier il pourrait servir à mettre à l’abri … si seulement je pouvais faire passer à travers lui d’autres personnes que moi. »

Taichi Tomoe n’aimait pas naviguer à vu comme elle était en train de le faire présentement. Preuve pour son cerveau qu’il était plus que temps d’avoir enfin un sensei pour la guider dans son apprentissage. La question à tiroir qui fermait les interrogations de Tsukishima-sensei pour le moment, était de loin la plus épineuse. Comment envisageait-elle de les utiliser ? Certainement pas contre les innocents, mais contre les criminelles, ceux qui faisait du tord à la communauté sorcière. Mais pas seulement. Au près de Jarlsonfel-sensei, elle avait appris que les humains aussi avaient besoin de protection et d’aide. Elle savait que le monde n’était ni tout noir, ni tout blanc, mais emplis de nuance de gris.

« Je sais me battre … et je pense que c’est dans cet optique que j’envisagerai de les utiliser. Je veux dire me battre pour une juste cause. C’est très certainement idéaliste, mais je crois qu’il faut aider et protéger ceux qui en ont besoin aussi bien dans notre communauté, que non. Après il faut bien sûr être plus prudent si cela ne concerne pas la communauté sorcière.
Ils peuvent être utile dans plusieurs cas. Déjà pour ma propre protection, mais aussi pour protéger d’autres sorciers et sorcières. Ma geôle de Ryujin peut être nécessaire pour garder un prisonnier le temps de l’interroger, ou permettre d’étudier un loup en toute sécurité. Je peux imaginer détourner la foudre de Ryujin aussi, cela peut servir de source lumineuse ou d’électricité pour faire fonctionner quelque chose qui en requière.
Pour l’Arcade Mythique, et bien … tout est envisageable comme utilisation, du moins une fois que mon sort sera amélioré et maîtrisé. Elle peut servir de porte pour aller d’un endroit à un autre, mais aussi pour accéder à un endroit magiquement caché pourquoi pas. Elle peut potentiellement duper un adversaire s’il pense pouvoir s’échapper par elle, ou à l’inverse lui faire miroiter l’accès à quelque chose qu’il voudrait. »

Tout cela était purement théorique bien sûr, à cause de sa maîtrise non parfaite de ces sorts. Peut-être au moins était-ce un bon début de réflexion, afin d’aller de l’avant. L’ultime partie de la question était elle pour le moment insoluble. Taichi Tomoe n’avait pas la moindre idée d’où elle souhaitait se diriger. Elle voulait aider, mais ne savait pas comment s’y prendre, ni par où commencer. Alors savoir pour qui elle voudrait travailler … Son esprit n’y était tout simplement pas prêt.

« Je ne sais pas Tsukishima-sensei. J’aimerai aider, mais j’ignore comment et où je serai le plus à même de le faire. Comme ça, on pourrait croire qu’il y a plein de possibilité mais …
Je parle beaucoup trop pour faire une bonne sentinelle au service du Secret, je ne suis pas suffisamment impartiale pour travailler avec la Justice. Je ne suis pas assez défensive pour le Bouclier et pas assez attaquante pour la Puissance. Je n’ai aucun don pour le soin, donc impossible de travailler pour l’Altruisme.

J’adore apprendre et découvrir, mais je ai que peu de patience, ce qui m’handicape pour travailler auprès du Temps. Je doute d’être une bonne enseignante parce que je ne réfléchis pas comme tout le monde, donc travailler avec le Savoir n’est pas forcément une option viable.
Je n’ai absolument aucune notion de diplomatie, j’ai même tendance à mettre les pieds dans le plat et à dire ce que je pense sans filtre … je doute que ça puisse convenir à Sagesse-san. Quant à travailler pour la Ruse, cela voudrait dire être au milieu de gens et communiquer … c’est compliqué pour moi à cause de mes phobies notamment.

D’autre part, Jarlsonfel-sensei m’entraine aussi, mais sur les techniques de combat à l’arme blanche et à mains nues. J’apprécie ces leçons, c’est une bonne façon de stimuler mon esprit stratégique, mes réactions et ma capacité d’analyse instantanée. Cela renforce aussi mes capacités physiques autant pour la force que pour l’endurance. Néanmoins, je ne sais pas si j’ai envie de devenir comme lui, une hunter à temps plein. »

L’adolescente reprend enfin son souffle. Son analyse n’est probablement pas complète, elle vient de se dérouler tant dans son esprit que pour Tsukishima-sensei. Est-ce que tout ce qu’elle vient de lui dire va l’aider, lui à y voir plus clair ? Ou est-ce qu’au contraire, il ne sera pas plus avancer qu’elle ? La peur et le doute ronge la petite de l’intérieure pendant qu’elle attend l’avis de son sensei sur ce qu’elle vient de dire. Elle doit admettre que le plus difficile, c’est d’être incapable de deviner ce qu’il peut en penser.