Le maître et l'apprentie [24/06/2018]

L'enfant se fie sans hésitation au jugement de son nouveau maître. C'est flatteur, quelque part, néanmoins il espère qu'elle saura prendre du recul sur son propre travail. Il est important de pouvoir poser un œil critique sur son œuvre, l'analyser, pour en tirer les qualités et les défauts. Ainsi seulement on pouvait progresser. C'est tout du moins ainsi que lui a tracé sa voie, avec l'aide de quelques personnes. Son maître d'étude, sa sœur et sa supérieure, Irina. Enfin… Elle ne le sera plus vraiment pour longtemps, si les événements le décident ainsi.

La jeune Taichi semble perplexe devant les questions, pourtant légitimes, que lui adresse Shinji. Elle n'a visiblement jamais songé vers quoi la mèneraient ses sortilèges. Dans un sens cela peut se comprendre. Elle est encore jeune, malgré son talent précoce. Il est difficile à cet âge de se projeter dans l'avenir. Le spécialiste des ténèbres lui laisse le temps de rassembler ses pensées pour formuler une première réponse. Mais voilà qu'elle se livre plutôt à une confidence. Gêné, Shinji garde le silence. Toutefois, il peut comprendre, plus que quiconque, son désir de liberté pour échapper à un écrin familial étouffant…

Mais, comme elle le dit elle-même, apprendre un sort dans l'unique but de fuir un environnement oppressant n'est pas une bonne solution, du moins sur le long terme. Mais le jeune Tsukishima se garde de tout commentaire, pour l'instant, et la laisse poursuivre. Il pense avoir mis le doigt sur ce qui manque à l'adolescente. Sans projection, sans but précis pour l'utilité d'un sort sur le terrain, il est difficile de le maîtriser. Bien sûr on peut être séduit par un sort attractif, de par son effet, sa "beauté", ou la situation dans laquelle on a vu un sorcier le lancer. Mais, in fine, cela ne suffit pas. Il faut y apporter de la profondeur, imaginer les situations dans lesquelles on peut l'utiliser, pour un résultat satisfaisant.

Finalement, il fallait peut-être étoffer la théorie avant de s'attaquer à la pratique. Et ça tombe bien, la théorie, c'est le point fort de Shinji, bien qu'il soit non moins efficace sur le terrain. En revanche… l'enseignement, c'est une autre paire de manches. Dans son cursus scolaire magique, il a toujours travaillé en solitaire. Même la plupart des travaux de groupe il les a réalisés seul, jugeant que les autres le ralentissaient. Et quand il n'avait pas le choix, il se contentait de rendre sa part de travail sans chercher à justifier son raisonnement. Il n'a donc jamais vraiment eu l'occasion d'expliquer quelque chose à quelqu'un. Voilà un défi qui s'annonce complexe.

Sa jeune élève s'étend ensuite sur sa volonté de protection. La commissure des lèvres de Shinji frémit. Comment rester indifférent devant une détermination si pure, si droite, de faire justice pour les autres ? Néanmoins, la mention d'une personne extérieure à leur communauté l'embarrasse. Leur magie n'est pas faite pour venir en aide aux non sorciers. Pas sans conséquence fâcheuse. L'Histoire leur a appris durement cette triste leçon. Il devra rester vigilant et la guider sur le bon chemin à ce sujet.

Mais, finalement, la réflexion de Taichi l'amène exactement là où il le souhaite. Lorsqu'elle parle de détourner l'utilité première de ses sorts, le regard de Shinji s'illumine. Voilà ce qu'il affectionne le plus : l'ingéniosité sorcière pour user de sa magie en toute circonstance. Il déteste l'étroitesse d'esprit, les sorciers qui se limitent aux applications habituelles et strictes d'un sort. Le champ des possibles commence à s'élargir pour l'adolescente et c'est pour le mieux.

Finalement, l'enfant se confie quant à l'absence de solution sur son avenir professionnel. Allons bon, se limiterait-elle à travailler pour un enclaviste ? Sa volonté de se rendre utile est tout à son honneur, mais elle ne voit alors pas tous les aboutissants de son talent. Et… comment ? Devenir Hunter ? Le cœur de Shinji rate un battement. Heureusement qu'elle n'en a pas envie ! Il doit absolument lui retirer cette idée de la tête, sinon Irina aura sa peau. Shinji s'appuie sur la table, retenant une forte envie de se masser les arcades sourcilières comme à chaque fois qu'un problème fait irruption dans sa vie.

▬ Je ne serais pas aussi catégorique que vous quant aux possibilités qui s'offrent à vous. Pourquoi se limiter à servir une seule personne ? Certes, vous n'êtes pas assez spécialisée -pour le moment- dans une voie ou une autre pour en devenir un agent à temps plein, mais n'est-ce pas justement votre polyvalence qui fait de vous un atout potentiel ? Il n'y a pas qu'une façon de servir le Secret, comme il n'y a pas qu'une façon de protéger les sorciers sous l'égide du Bouclier. Votre arcade mythique, pour reprendre votre exemple. Bien maîtrisée, elle serait un atout primordial en agent de terrain pour une évacuation dirigée par le Bouclier, pour mobiliser des troupes rapidement avec la Puissance, ou pour piéger un adversaire comme vous l'avez si bien souligné. Elle ne trouve pas une seule application.

Il marque une courte pause pour lui laisser un temps de répit et assimiler ce qu'il vient de dire.

▬ Vous l'avez dit vous même, vous ne raisonnez pas comme n'importe quel sorcier. Vous n'êtes pas comme le commun des sorciers. Ne cherchez donc pas à le devenir. Si vous n'arrivez pas à rentrer dans une case, élargissez votre esprit, et cherchez à en atteindre plusieurs. Votre polyvalence vous donne une certaine flexibilité. Utilisez-la à votre avantage.

Voilà de bien belles paroles, mais Taichi en a-t-elle saisi le sens ? Malheureusement, il n'est pas très pédagogue. Du moins, il ne le pense pas. En fait il n'a aucune expérience dans l'enseignement, à tel point qu'il se demande encore pourquoi il s'est lancé dans une telle aventure. Le besoin de changement peut-être ? Il se redressa pour reprendre une marche, sa main droite remuant au rythme de ses paroles.

▬ Je vous propose, pour la prochaine fois, de dresser la liste des possibilités qui s'offrent à vous, rien qu'avec vos sorts, et les voies que vous pourriez emprunter pour les deux derniers. Bien sûr, le temps d'en apprendre de nouveau est loin d'être arrivé, mais il est bien de savoir vers où on se dirige.

Il s'immobilise pour fixer Taichi. Ce peut-être demain comme dans une semaine, mais il compte bien la suivre de près, maintenant qu'il a un peu de temps à lui accorder. D'autant qu'il veut surveiller ses lubies. Il ne voudrait pas retrouver son apprentie impliquée dans une histoire avec la loi du Secret, ou embrigadée chez les Hunters…

▬ En attendant, je vous propose un petit exercice de réflexion. Prenons votre cage de Ryujin, par exemple, et énoncez moi des situations dans lesquelles vous pourriez l'utiliser. Tout ce qui vous passe par la tête. Ne vous laissez pas stopper par mon jugement ou celui des autres. Je tâcherai d'illustrer vos propos à ma manière et je compléterai si nécessaire.

Comme en écho à ses paroles, une petite cage se forme devant lui, constituée de ténèbres tangibles. Elle est loin d'être aussi performante que celle de son apprentie, ou de ce qu'elle pourrait être plutôt, car son sort se veut flexible et polyvalent, pour s'adapter à toute situation, ne dépendant que de son imagination et de sa maîtrise. De quoi imager sa réflexion de tantôt.

Trop absorbée par ses propres pensées, la petite sorcière ne voit pas le regard de son sensei s’illuminer lorsqu’elle mentionne l’éventualité de détourner ses sorts de leur utilisation primaire. Ce n’est qu’une fois sa réponse terminée, qu’elle ose regarder Tsukishima-sensei. Il s’appuie sur la table de la salle, semblant en proie à une profonde réflexion. Elle l’écoute alors attentivement lorsqu’il reprend la parole, espérant qu’il possède un début de solution à ce soucis qui lui semble insoluble.

L’idée de travailler sous les ordres de l’Enclave, et pas seulement d’un Enclaviste fait dire un oh muet à la jeune fille. Cela ne lui était pas encore venu en tête, son esprit lui remémore qu’elle n’avait, jusqu’alors, même pas envisager travailler parmi les sorciers. Tout ceci n’était que très récent au final, et son cerveau quoiqu’ayant un très haut potentiel, n’était pas non plus parfait. Elle ne faisait certes que très peu d’erreur, mais n’en était pas pour autant à l’abri. Cette appréciation de sa polyvalence de la part de Tsukishima-sensei lui offre de nouvelles perspectives insoupçonnées, peut-être qu’en effet, elle peut interagir avec bien plus de supérieurs.
Malgré elle, Taichi Tomoe rougit au compliment indirect que lui offre son sensei. Bien sûr qu’elle ne raisonne pas comme les autres sorciers, aucune chance que cela finisse par arriver d’ailleurs. Mais entendre qu’elle n’est pas comme le commun des sorciers et surtout, qu’elle n’a pas besoin de chercher à le devenir, lui fait un bien fou au moral. Au-delà de tout ce que l’adolescente pouvait imaginer. Elle se sentait acceptée par Tsukishima-sensei, et même comprise. Fait n’ayant que très rarement eu lieu dans sa vie.

Conservant le silence, sentant que la leçon n’est pas terminée, la cadette suit du regard son aîné alors qu’il recommence à marcher, tout en agitant sa main droite selon le flux de ses paroles. La proposition faite lui plaît. C’est une bonne chose que d’arriver à définir un cap à suivre, et la sensation qu’elle peut tout faire avec l’aide de Tsukishima-sensei, la rassure énormément. Bien plus que le jeune sorcier à ses côtés ne peut l’envisager.
Soutenant le regard du jeune sensei, elle écoute ses dernières paroles avec une attention renouvelée, soucieuse de lui montrer qu’elle peut être concentrée et attentive lorsqu’il le faut. Un simple hochement de tête pour lui signifier qu’elle accepte l’exercice, avant de jouer avec une de ses mèches de cheveux pour organiser sa pensée. Ensuite, sans le moindre filtre, Taichi lance ces idées, tout en regardant cette mini cage d’ombre avec émerveillement.

« Et bien … elle peut servir de prison, pour retenir un ennemi ou interroger quelqu’un sans prendre le risque qu’il puisse s’échapper. Ou de permettre de se mettre à l’abri d’un ennemi le temps de trouver une autre solution. C’est sa vocation primaire je dirais.
Après, elle peut aussi servir de cage de préservation, en l’utilisant à plus petite échelle. Y mettre en sécurité un artefact, ou un document … n’importe quoi. Comme on le ferait avec un coffre en fait.

Maintenant, en la condensant pour qu’elle ne soit que sur un plan et non plus en volume, cela fait une sorte de filet électrique. Filet qui peut servir à obstruer une ouverture, ou à être lancer pour stopper une personne qui s’enfuit. Mais aussi retenir des projectiles ou des gravats.
S’il est possible de lui donner une autre forme encore … disons une sorte d’antenne qui ressemblerait à la tour de Tokyo, cela peut servir de paratonnerre ou pourquoi pas d’émetteur pour transmettre ou recevoir une information à une certaine distance.

Cela peut aussi permettre de créer une cage de Faraday, ou du moins un équivalent, permettant des discussions sans craindre d’être espionné. Mais du coup il faut la faire suivre au moins un tube en acier, pour qu’il puise y avoir résonnance, et donc création du phénomène.
Oh et pourquoi pas une forme de … de chaîne ? Comme celles des bateaux sensei. Cela pourrait servir à … à … accrocher quelque chose de trop volumineux pour être porter sans aide, afin de le déplacer d’un endroit A à un endroit B. Ou à attacher deux objets ensemble, pour solidifier un ensemble ou maintenir fermer une malle aussi.

Peut-être … peut-être que bien maîtrisée, elle pourrait être adapté sur le corps, offrant une sorte d’armure à la fois défensive et offensive. Il faudrait alors que le maillage soit bien plus fin que ce n’est le cas maintenant et trouver le moyen de piéger de l’air pour isoler la personne de l’électricité. Dans le même esprit, je suppose que lui donner une forme de bouclier de type … sphérique avec une légère épaisseur est aussi une option.

Pourquoi pas s’en servir comme … camouflage ? Si le maillage électrique créé est suffisamment fin et petit, et qu’on augmente la vitesse des particules ionisés, on peut possiblement modifier la perception visuel.
Y’a aussi la possibilité de s’en servir comme d’un … gros aimant. Après tout c’est de l’électricité, ma geôle a donc automatiquement une charge positive, ou négative, sur laquelle je peux influer. A partir de là, je peux m’en servir  comme d’un aimant, ou d’un répulsif si j’applique la charge opposée à ce qui me fait face.
Si je me fis au principe du champ magnétique, en appliquant ma geôle au sol et sous mes chaussures, je peux même envisager de voler grâce à l’opposition des charges.

Qu’en pensez-vous Tsukishima-sensei ? Je suis certaine qu’il y a d’autres possibilités encore mais elle ne me viennent pas en esprit pour l’instant. »

L’adolescente en profite pour retrouver son souffle. Sans réellement s’en rendre compte, elle s’est laissé emporté  par l’exercice, oubliant pour la première fois de sa vie, qu’elle se trouvait face à une autre personne aussi en chair et os qu’elle. Taichi Tomoe se sentait normale et à sa place. Ce sentiment était nouveau et terriblement agréable à ses yeux. Ces leçons avec Tsukishima-sensei s’avèrent être la meilleure des façons pour qu’elle se recentre sur elle-même, mentalement parlant. Un véritable petit bonheur pour elle.

A la réaction de la jeune fille, dont la bouche forme un oh muet, elle n'a jamais pensé servir l'Enclave dans sa globalité. Il lui semble discerner dans ses pupilles sombres une nouvelle lueur : celle de l'espoir. Il se retient de sourire. C'est étrange comment un esprit jeune mais brillant comme le sien peut passer d'un sentiment d'impuissance à un enthousiasme salvateur. Cela ajouté à sa candeur naturelle d'adolescente, le résultat est… touchant. Si jusqu'à présent Shinji a pu se sentir forcé dans la démarche, soucieux de ne pas briser les espoirs de la jeunesse, il commence désormais à voir dans cette tâche plus qu'un devoir de formation : une volonté propre de guider cette jeune sorcière jusqu'au bout.

La petite consent volontiers à se plier à l'exercice. Sa main tripote une mèche de cheveux tandis qu'elle organise ses idées, qui ne tardent pas à fuser sans filtre ni retenue. Attentif, Shinji commence alors à illustrer chaque situation. Retenir un ennemi prisonnier ? La cage s'agrandit pour englober Taichi. Se protéger d'un assaillant ? La cage se déplace jusqu'à lui et s'adapte à sa silhouette, tandis que les barreaux se resserrent. Contenir un objet précieux ? Elle rétrécit jusqu'à former une sorte de boîte avec des espaces très fins entre les barreaux.

Plus Taichi parle, plus la conversation gagne en intérêt. Elle commence à détourner la fonction première de son sort en commençant par la réduire à un seul plan dimensionnel. La magie de Shinji s'active et la cage se transforme en filet. Obstruer une ouverture, idée intéressante. Le filet s'agrandit pour former une barrière au niveau de la porte. Retenir des projectiles… Il n'a rien sous la main en guise d'exemple, en dehors d'un stylo. Il le lance en l'air et le filet d'ombre vient se placer en dessous avant qu'il ne touche le sol. L'esprit de Taichi progresse toujours plus loin. L'idée du paratonnerre est pertinente, en revanche il voit mal l'application pour une antenne radio. Il faudrait pour cela un sort plus spécialisé. La création basique permet beaucoup de choses, mais pas d'assurer l'intégralité des fonctions.

Puis elle passe à une cage de Faraday. Il est moins spécialiste sur le phénomène, aussi se fie-t-il à son jugement. En tout cas c'est une idée qu'il ne peut imager. La chaîne, en revanche, est dans ses cordes. Le filet s'allonge pour former des maillons d'ombre. Accrocher un objet pour le transporter, relier deux objets entre eux… comme des tables. S'envelopper autour, c'est aussi faisable. L'idée de l'armure est encore plus intéressante, même s'il existe une faille : elle ne sera jamais aussi performante qu'un sort spécialisé. Et donc plus facilement brisable ou contournable. De même pour le camouflage, rien ne vaut un bon sort d'illusion via la magie mentale. En revanche l'aimant est une bonne idée, car intimement lié aux propriétés de sa magie électrique. De là à en faire un outil de lévitation… sa compétence trouve ses limites. Il devra se renseigner sur cette magie pour évaluer le champ des possibles. D'un geste il fait disparaître sa magie ténébreuse.

▬ Eh bien, vous avez déjà dressé une belle liste. Je ne vois rien d'autre à ajouter… A part, peut-être, l'activation, la recharge ou le court-circuit d'un système électronique, comme une porte ou une batterie, ou même réparer un circuit tronqué en reliant les deux extrémités.

C'est un détournement qui encore une fois se lie aux propriétés de sa magie, et rend son utilisation très fiable. Maintenant qu'elle a exploré la majeure partie des possibilités, il va pouvoir revenir sur chacune d'elle pour en expliquer les avantages et les limites.

▬ Vous avez de bonnes idées, Yukimura-san. Maintenant nous allons étudier chacune d'elle pour voir ses limites. Car il faut garder à l'esprit que plus vous vous éloignez de la fonction primaire d'un sort, plus ses effets seront moindre. La fonction primaire de votre sort est de contenir une personne, vous ou une autre. Tout sort visant à briser cette cage, ou extirper la personne à l'intérieur, aura donc du mal à passer votre magie. Même chose pour un objet, car il demande simplement de resserrer l'espace entre les barreaux. L'idée d'une cage de Faraday dépasse mes compétences, mais j'imagine qu'il est effectivement possible d'isoler l'intérieur des signaux parasites. Toutes ces possibilités d'utilisation fonctionnent avec la fonction primaire de votre sort, contenir. Les effets sont donc fiables.

Il marque une courte pause.

▬ Maintenant, l'idée du filet sur un seul plan dimensionnel s'en rapproche suffisamment pour pallier à de nombreuses failles, car on reste sur une idée de faire barrière, piéger, contenir. Il sera néanmoins moins fiable qu'une création spécifique à un filet ; il se brisera plus facilement sous une certaine charge par exemple. L'armure est une fonction intéressante ; au début j'avais un doute, mais elle reste sur la base de contenir ou protéger. Avec du travail elle pourrait se révéler fiable, mais elle le sera moins qu'un sort défensif. Si votre adversaire vous envoie un sort spécialisé dans l'attaque, comme une onde de choc par exemple, il faut vous attendre à subir des dommages, bien qu'atténués grâce à votre sort.

Shinji en sait quelque chose. Lorsqu'il s'est interposé entre Alyssa et le sort de Natsuo, il a dressé un bouclier de ténèbres dans l'espoir de contrer l'attaque. Mais la manipulation des ténèbres, si elle permet beaucoup de choses, reste un sort non défensif. Son bouclier a facilement volé en éclat et ne l'a pas préservé d'une blessure presque mortelle. Du moins elle l'aurait été sans l'intervention de sa sœur. Il se frotte machinalement la poitrine comme chaque fois qu'il resonge à ce triste événement.

▬ L'idée de la chaîne commence à s'éloigner du principe de base. Relier deux objets ou les transporter, renforcer la sécurité d'un coffre, ce sont des applications justes et adaptées, qui seront néanmoins moins fiables qu'un sort spécialisé sur chaque fonction. Le port de la charge sera limité, de même que la cohésion entre les objets que vous souhaitez assembler. Quant au camouflage, il me faudra me renseigner sur les limites de votre magie, mais l'effet sera très limité comparé à un vrai sort d'illusion, qu'il soit basé sur la magie mentale, sur la lumière ou sur la biologie.

Il marque une nouvelle pause, guettant la réaction de Taichi. Avant de finir sur l'analyse de ses idées, il convient de la rassurer sur l'objectif de son discours.

▬ Si je vous dis tout cela, ce n'est pas pour vous décourager sur l'utilisation possible, au contraire. C'est pour que vous ayez conscience des avantages et des limites de votre sort. C'est primordial de connaître ses faiblesses dans n'importe quelle situation, pour s'adapter en conséquence. Prenons mon sort de manipulation des ténèbres par exemple. Il se veut polyvalent. Il me permet de créer un grand panel d'objets, voire des avatars, pour interagir avec mon environnement. Je peux l'utiliser pour attaquer, mais il ne sera pas aussi efficace qu'un vrai sort d'attaque, et ne pourra sans doute pas briser un vrai bouclier, magique ou non. Il peut me protéger, mais ne sera pas aussi fiable qu'un vrai bouclier, surtout contre une magie offensive. J'en ai conscience et cela m'aide à m'adapter à chaque situation.

Bon, cela ne l'a pas empêché de frôler la mort dans un duel sorcier. Cependant il était encore jeune et ne maîtrisait pas sa magie comme aujourd'hui. Et il avait été pris de cours lorsque son ennemi avait ciblé son amie. Il n'avait pas eu le temps nécessaire pour réfléchir à une meilleure stratégie. Aujourd'hui, peut-être pourrait-il agir différemment pour fiabiliser sa réaction. Il se retrouve encore une fois à frotter sa cicatrice, cachée sous le tissu de sa chemise.

▬ Pour terminer sur vos idées, celle de l'aimant se base sur la propriété de la magie électrique, je pense donc qu'elle a un bon potentiel. De là à l'utiliser pour générer un champ magnétique sous votre corps pour permettre de léviter… Il faudra encore une fois se renseigner sur les limites. Mais je pense que c'est faisable.

Cela lui demandera dans tous les cas une grande maîtrise, surtout si elle souhaite se déplacer en lévitant. Cela implique d'être capable de déplacer simultanément la partie de la geôle sous ses pieds, et celle au sol. En parlant de maîtrise…

▬ Bien je pense que nous avons fait le tour de la question pour votre geôle. Maintenant que nous avons regardé ensemble le champ des possibles, il faut se concentrer sur la base. Ce n'est qu'en la maîtrisant que vous pourrez envisager de travailler sur des effets détournés. Nous allons commencer par le petit avant de voir plus grand.

Shinji se dirige vers le bureau pour sortir d'un tiroir deux objets quelconques -une gomme et un taille-crayon. Il revient se positionner face à la table qui le sépare de Taichi. Il dépose la gomme face à son élève, et le taille-crayon sur une table voisine. Puis il matérialise une petite cage d'ombre qui vient enfermer le taille-crayon, laissant quelques centimètres de vide autour. Les espaces entre les barreaux sont suffisamment fins pour empêcher de passer un doigt à travers.

▬ Je reprends votre idée de contenir un objet. J'aimerais que vous fassiez comme moi : créez une cage similaire autour de la gomme.

Son idée est simple. Il a décelé chez Taichi un manque de concentration. Il souhaite y pallier en lui offrant un exemple concret. Il est plus facile de copier une image que d'en tracer une tout droit sortie de son esprit. Il espère ainsi l'aider à gagner en précision sur son sort. Shinji s'éloigne de quelques pas pour s'asseoir sur une chaise, histoire de lui laisser l'espace dont elle a besoin. Il croise ensuite les bras et l'observe, attentif.

Taichi est fascinée par les capacités de Tsukishima-sensei à mettre en image ses idées. C’est donc presque à regret qu’elle regarde la magie s’évanouir. Son esprit pourtant ne décroche pas et ne perd pas sa concentration, tout à l’écoute des paroles du sorcier. Bien sûr, l’évidence des propositions qu’il met en lumière frappe le cerveau de la petite. Comment avait-elle fait pour ne pas y penser elle-même ? Sa logique met alors en exergue que ces applications lui semblent tellement intrinsèque avec sa magie, qu’elles n’ont même pas effleuré ses pensées.
Entendre de la part de Tsukishima-sensei qu’elle possède de bonnes idées, ravi l’adolescente. Son sourire est chaleureux et radieux, elle se sent fière d’elle et est heureuse de voir que son sensei est content de ce qu’elle peut faire. Même si elle a conscience que les progrès à faire sont incommensurables, sa confiance ne doute pas qu’ils seront surmontés sous l’enseignement du maître des ombres.

Garder à l’esprit que s’éloigner de la fonction primaire verra les effets de son sort diminuer ? Taichi Tomoe ignorait totalement ce fait. Il fallait dire qu’elle n’avait, jusqu’à maintenant, pas imaginé détourner de leur fonction ses sorts. Elle écouta donc avec la plus grande des attentions et des concentrations, les explications de Tsukishima-sensei. En effet, elle reconnaissait que Ryujin Jankushon avait pour objectif de contenir quelque chose ou quelqu’un. Elle comprenait donc que tant que le détournement serait proche de la fonction primaire, son sort resterait avec un haut potentiel de réussite sur son objectif.
La petite sorcière assimila avec aisance l’idée principal. Un sort spécialisé sera toujours plus efficace et fiable, qu’un sort qui serait détourné. Il faudra donc, le cas échant, prendre en compte cette donnée afin de minimiser les dégâts potentiels. Le geste que son sensei fait, de toucher sa poitrine, n’est pas ignoré. Néanmoins, l’adolescente s’abstient de tout commentaire sur ce point.

« Je comprends Tsukishima-sensei. Je peux adapté mon sort à l’usage le plus judicieux sur l’instant, mais il ne faut pas que je perde de vu la fiabilité de mon sort. Ses effets pourront être moindre par rapport à mon objectif initial, si je me suis trop éloignée de sa fonction primaire. »

Elle hoche la tête en guise d’accord. Elle savait qu’il ne cherchait pas à la décourager, mais au contraire à l’aider. Parfois il fallait savoir regarder en arrière et rebrousser chemin pour pouvoir avancer. Cela n’entrainait aucune honte, au contraire c’était une forme d’intelligence. Forme que les Yukimura n’avait jamais vraiment possédé, mais peut-être que le Secret si.
Taichi Tomoe regarda ensuite Tsukishima-sensei sortir d’un tiroir un taille-crayon et une gomme. Elle pencha la tête sur le côté, ne percutant pas l’utilité de ces accessoires. Ils n’avaient pas de crayon à papier, ni l’un ni l’autre, alors à quoi pourraient bien servir ces deux objets ? L’objectif se dévoila de lui-même en voyant une mini-cage d’ombre entourer le taille-crayon, suffisamment lâche à l’intérieur pour ne pas l’abimé, et pourtant serré empêchant quoique ce soit de passer.
La demande qu’il lui fait, la laisse sceptique. Jamais elle n’a encore eu l’occasion de créer une geôle si petite. Pire ! L’adolescente doute de pouvoir y arriver. Elle voyait le résultat à obtenir mais ignorait si elle pourrait y parvenir pour autant. Cependant, elle se refusait à décevoir Tsukishima-sensei.

« Je vais essayer Tsukishima-sensei. »

Taichi n’avait pas confiance en elle, imaginant malgré elle le pire scénario : l’échec. Cet état d’esprit influa directement sur le résultat de sa première tentative, puisqu’il ne se passa absolument rien. Elle sentait l’électricité autour d’elle, proche de ses doigts, prête à répondre à sa demande, mais … aucun début de geôle ne vit le jour. Son regard passa de la gomme au visage impassible de son sensei. Mal à l’aise d’échouer aussi lamentablement, l’adolescente détourna rapidement le regard. Elle le porta sur le taille-crayon et sa geôle parfaite … Comment pouvait-elle réussir à atteindre un tel degré de perfection ?

Son esprit se reprit, repoussant l’abattement qui menaçait. Elle pouvait le faire et allait le faire. C’était son sort, son imagination qui l’avait créé au départ. La cage de Tsukishima-sensei n’était qu’une copie de la sienne au final. Une meilleure copie que l’original, certes, mais une copie malgré tout. Sa seconde tentative porta plus ses fruits, bien que la gomme montra avec brio sa capacité d’isolant. En effet, la geôle se trouvait à la contenir seulement à moitié, sans compter que les espaces entre deux nœuds étaient assez large pour laisser passer un encrier.
La sorcière fronça les sourcils d’agacement et de frustration. Elle détestait ne pas réussir quelque chose de cette façon. D’un revers de la main, elle balaya sa cage et recommença. Ce nouvel essaie ne fut pas non plus une réussite. La gomme vola à travers la pièce, projeté par la geôle qu’elle avait fait trop vite. Cette dernière avait ainsi touché l’une des extrémité de l’accessoire avec un des nœuds, la décharge d’énergie qui en avait résulté s’était chargée du reste.

« Rah ! Satané gomme ! »

Quittant son emplacement, son agacement montant encore d’un cran, Taichi alla récupérer la gomme là où elle était finalement tombée. Son Dragon intérieur, muet jusqu’à maintenant, décida d’enter en jeu. Elle devait se calmer, et il s’attaqua directement à sa frustration. Elément qu’elle gérait très mal. Oui elle n’arrivait pas à l’objectif défini de suite. Mais était-ce si important ? Tout ce que Tsukishima lui demandait était d’y arriver, peu importait le nombre d’essais pour y arriver.
Ce constat ne l’empêcha pourtant pas de claquer la gomme sur sa table pour évacuer un peu de son agacement. Son esprit comprenait qu’il allait devoir apprendre à gérer l’échec. Ceux-ci n’étaient que les premiers d’une longue série et elle ne pouvait pas se permettre d’agir ainsi à chaque fois. C’était digne d’une gamine, pas d’une sorcière voulait progresser et évoluer. Taichi Tomoe s’obligea à inspirer et expirer profondément plusieurs fois, avant de refaire une tentative.
L’adolescente comprenait qu’elle devait se concentrer, oublier ce qu’il y avait autour d’elle pour le moment. Elle porta donc son attention, pleine et entière cette fois, sur la gomme. La création de sa geôle lui sembla plus fluide, presque naturelle. Malgré tout, bien qu’elle soit pour cette fois autour de la gomme, une trousse pouvait passer à travers les barreaux créés, sans compter que la geôle pouvait contenir une bonne quinzaine de gommes. Le résultat ne correspondait pas à ce qui était demandé. Elle laissa donc se dissiper sa cage.

Taichi décida donc de d’abord se focaliser sur la taille intérieure. Visiblement elle n’était pas capable, encore du moins, de gérer en une seule fois les deux aspects. Cependant rien ne l’empêchait d’ajuster l’un puis l’autre pour s’adapter au but à atteindre. Alors elle créa une geôle plus grande que nécessaire dans un premier temps, pouvant contenir une pile de cahier. Petit à petit, la jeune sorcière la rétrécit, condensant l’électricité qu’elle utilisait de plus en plus, jusqu’à atteindre la taille appropriée. Ni trop grande, ni trop petite, juste de quoi contenir cette satané gomme sans la brûler pour autant. Elle fit ensuite un effort de concentration pour ne s’intéresser qu’aux nœuds et espaces entre eux. La gomme pouvait passer, il fallait qu’ils soient plus petit. Beaucoup plus petits.
Inconsciemment, comme perdue dans ses pensées, gardant une main sur sa geôle, elle se servit de la seconde pour faire appel à Ryujin Kaminari. A la place de créer une boule, elle opta pour une forme de mikado. Elle inséra se dernier dans un espace entre deux barreaux de sa geôle, et força l’espace à se réduire jusqu’à ce que le mikado électrique touche les barreaux. Là, Taichi laissa le mikado disparaître, elle avait son modèle d’espace inter-barreaux et inter-nœuds maintenant. Par imitation, prenant le temps pour le faire, elle ajusta chaque interstice, recréant des nœuds et barreaux lorsque nécessaire.

Elle était entrée dans sa bulle, dans son monde. De fait, elle avait occulté où elle se trouvait, avec qui elle était et l’objectif de cet exercice. Son esprit et son attention, poussés par son Dragon interne, ne prenait en compte que la petite cage contenant la gomme. L’adolescente n’arrêta ce qu’elle faisait que lorsqu’elle estima que rien ne pourrait passer pour rejoindre la gomme et inversement que cette dernière ne pourrait pas sortir.
Dans le silence qui régnait, seulement perturbé par les légers grésillement de l’électricité, Taichi contempla sa geôle en souriant comme une enfant. Elle se sentait fière de son résultat, fière d’avoir réussi quelque chose d’aussi minutieux et petit. Néanmoins, sa bulle éclata, la faisant sursauté, lorsque Tsukishima-sensei rentra dans son champ de vision. La geôle, elle, résista à cette microseconde de déconcentration, bien qu’une ondulation de toute la structure ait pu être observé fugacement.

« Est-ce que ça peut aller comme cage Tsukishima-sensei ? »

Le doute d’elle-même toujours présent, malgré sa fierté d’avoir obtenu un tel résultat, elle attendait le verdict de son sensei avec hâte et appréhension. Cela suffira-t-il ?

Les encouragements de Shinji portent leurs fruits. Un sourire chasse l'expression de doute sur le visage de l'enfant. Le jeune Tsukishima sait à quel point il est important d'avoir le soutien de ses pairs pour un apprentissage efficace. Il n'en a jamais reçu de la part de ses parents. Rien n'était jamais suffisant pour son paternel, quant à sa mère, elle suivait docilement son époux. Fort heureusement, Shinji avait eu la chance de recevoir l'enseignement pratique d'un excellent professeur, exigeant certes, mais qui savait reconnaître les succès et les fêter. Shinji souhaite donc apporter à l'adolescente la même ressource qui lui a été salutaire.

L'enfant répète scrupuleusement les explications de son maître pour montrer qu'elle a bien compris. Shinji hoche la tête pour confirmer son interprétation. La petite sorcière manque peut-être de concentration, mais elle enregistre rapidement les informations lorsqu'elle focalise son attention. La suite de la leçon intrigue la jeune fille. Et lorsqu'il lui expose le plan, il croit discerner un soupçon de découragement dans ses prunelles sombres. Certes, ce n'est pas un exercice facile. Néanmoins il ne le lui donnerait pas s'il n'estimait pas qu'elle a de bonnes chances de le réussir. Il a vu de quoi elle est capable, ses sorts certes imparfaits, mais néanmoins efficaces, ont été perfectionnés pendant des années sans la supervision d'un maître sorcier. Si elle parvient à ce résultat par ses propres moyens, elle peut donc dépasser ses limites avec l'aide d'un bon enseignant. Mais Shinji en est-il un ? Cela reste à prouver.

Le premier essai est infructueux. Shinji perçoit le crépitement de l'électricité, mais rien n'en ressort. Le regard de Taichi est empli de doutes. Elle n'arrivera à rien si elle poursuit sur cette voie.

▬ Libérez votre esprit Yukimura-san. Ne laissez aucune pensée le parasiter.

Sa voix semble la guider dans la bonne direction, car elle se reprend et son regard s'intensifie sur son objectif. La seconde tentative produit cette fois un effet, bien qu'éphémère. Impassible, Shinji l'observe s'énerver à l'issue de la troisième. Il va lui falloir apprendre à gérer la frustration, sans quoi elle sera trop souvent distraite. Il ne la quitte pas des yeux, profitant de l'exercice pour analyser ses réactions et mieux la comprendre. L'adolescente parvient d'elle-même à endiguer l'orage qui couve, et une cage se forme autour de la gomme. Les barreaux sont larges et l'espace distendu à l'intérieur, mais elle a le mérite d'exister. Cependant Taichi ne s'arrête pas à ce résultat imparfait. Sa création disparaît rapidement. Dommage, elle était pourtant sur la bonne voie.

Shinji est saisi d'un doute. Lui a-t-il laissé trop de bride au point de la perdre en route ? L'exercice de précision est-il trop précoce ? Lui a toujours eu besoin de travailler sur le petit et le précis pour aborder le plus grand. Mais tout le monde ne fonctionne pas ainsi, de la même manière qu'un enfant commence par dessiner des contours grossiers avant de parfaire les détails. Il pensait que l'esprit particulier de son élève suivrait, mais il peut se tromper. Il part du principe que seul le résultat compte, peu importe le moyen d'y parvenir, car celui-ci se perfectionne avec le temps et la pratique. Laisser une marge de manœuvre à Taichi est pour lui une stratégie d'enseignement primordiale pour œuvrer à son développement. Maintenant, peut-être devrait-il lui donner plus d'indications.

Ses incertitudes sont rapidement balayées par l'adolescente, qui change son approche et s'accorde une création grossière en premier lieu. Le regard de Shinji glisse sur la gomme. La cage est vaste, mais petit à petit les barreaux se rapprochent et la hauteur diminue pour se rapprocher de son image d'ombre. Puis dans un second temps la jeune sorcière s'attaque à l'espace entre chaque barreau. Et d'une manière surprenante. Shinji observe le manège du mikado avec intérêt. Utiliser un sort pour apprécier une distance. Astucieux. Ses yeux reviennent sur la jeune sorcière, désormais entièrement concentrée sur sa tâche. Progressivement, les barreaux se resserrent, les liens s'affinent, jusqu'à ce qu'aucun passage ne soit autorisé.

Un sourire étire subtilement les lèvres du maître des ténèbres. L'exercice est accompli. Shinji se redresse pour s'approcher de la table. Ce mouvement bref perturbe la concentration de la jeune fille, qui semble se rappeler de sa présence. Heureusement son sort s'en trouve à peine heurté, là où précédemment elle ne parvenait pas à le maintenir très longtemps. Le sourire de l'adolescente illumine son visage de fierté. Puis elle le sollicite pour son jugement. Alors il se rapproche et examine avec attention le sort de son élève, inclinant son buste pour analyser les détails. D'abord il approche sa main. Elle se fait repousser avec un claquement sec. Secouant ses doigts pour faire passer l'engourdissement de la décharge, il se saisit de son stylo de l'autre main et approfondit son examen. L'objet rencontre une certaine résistance. Il tente alors la voie magique. Un tentacule ténébreux s'étend pour inspecter les interstices. Là encore, une résistance s'opère, bien que moindre. Il pourrait forcer le passage, cependant l'exercice consiste à reproduire la cage, pas à protéger son contenu coûte que coûte -ce sera pour une autre fois.

Si son père était là, il lui aurait sévèrement reproché la longue durée d'incantation et les moyens détournés pour parvenir à l'objectif. Et il n'aurait pas manqué de critiquer les défauts du sort, forçant sans ménagement pour détruire l'objet de sa fierté. Heureusement, le patriarche Tsukishima n'est pas là, et Shinji n'est pas lui. Il se redresse donc en hochant la tête, satisfait du résultat.

▬ Cela me semble correct.

Il marque une courte pause, avant de pousser les encouragements qu'il aurait aimé entendre à sa place.

▬ C'est même très bien pour un premier essai. Vous avez su trouver par vous même le moyen d'y parvenir sans autre guide que l'exemple donné.

Le sorcier dissipe sa propre cage en remuant la main.

▬ Que tirez-vous de l'exercice ?

Taichi Tomoe observe Tsukishima-sensei approcher de sa réalisation. La petite maintient sa geôle en place, afin qu’il puisse l’observer autant qu’il le souhaite pour donner son avis. Malgré tout ce qu’elle peut faire, elle craint de ne pas être à la hauteur des attentes de son sensei.
Tsukishima-sensei approche doucement sa main qui, dans un bruit aussi soudain qu’éphémère, est repoussé. L’adolescente grimace un peu en le voyant secouer ses doigts pour les désengourdir. C’était l’un des problème de l’électricité, les décharges pouvaient être nombreuses et potentiellement blessantes. Heureusement, il n’avait rien de plus que des fourmis dans les doigts. Il prit alors un stylo avec lequel il appuie légèrement sur l’un des côtés de la cage électrique. Il y a une résistance rapide, bloquant l’éventuelle déformation de la face. Sa tactique change et c’est avec l’un de ses propres sorts qu’il teste maintenant la résistance de la réalisation. Sans y prêter attention, Taichi retient son souffle, espérant que tout reste en l’état malgré l’écart flagrant de maîtrise et de puissance. Cependant sa cage conserve une certaine résistance, moindre que précédemment, mais présente malgré tout.

La validation qu’il lui offre la soulage plus qu’elle ne le pensait. C’est seulement à ce moment-là qu’elle reprend une respiration normale, affichant un sourire ravie. La jeune sorcière est fière de sa réalisation, mais surtout d’avoir sur se montrer à la hauteur des attentes de son sensei pour cet exercice. De plus, ses encouragements lui vont droit au cœur et la rassure un peu pour la suite de son apprentissage. Elle pouvait encore apprendre et progresser. Ce qui était une rudement bonne nouvelle à ses yeux, sachant qu’elle stagnait depuis un long moment.
Imitant Tsukishima-sensei, l’adolescente laisse sa cage se dissiper, tout en écoutant sa question, qui la prend un peu au dépourvu. Taichi devait bien l’admettre, elle s’était tellement concentrée sur l’objectif, qu’elle n’avait pas réfléchit un seul moment au but de l’exercice. Son Dragon intérieur lui souffle qu’il est plus que temps de le faire.
D’accord elle avait du reproduire le modèle qu’il avait fait. Mais quel était l’objectif derrière ? Qu’est-ce qu’il avait cherché à lui faire apprendre, ou comprendre ? L’une des premières pensées qui lui vient est bien sûr la frustration. Un point sur lequel, elle allait devoir travailler. Ensuite il y avait la concentration, c’est parce qu’elle avait réussi à se concentrer qu’elle avait pu réussir. Mais n’y avait-il que cela ? Taichi Tomoe en doutait franchement, parce que cela était bien trop évident et simple.

Que pouvait-elle tirer de cet exercice ?

« Et bien … qu’il faut que j’apprenne à gérer ma frustration, parce qu’il y aura d’autres échecs à l’avenir lors des entrainements et que je ne peux pas agir comme une enfant à chaque fois. Cela serait vous manquer de respect. En outre, il faut que j’améliore ma concentration, parce que j’ai été longue à l’atteindre cette fois-ci. »

La concentration… ce vaste programme qu’elle ne maîtrisait pas et qui lui faisait défaut depuis sa plus tendre enfance. Dire qu’elle allait devoir l’améliorer était un euphémisme pour son cerveau. Pour être plus précis, il fallait qu’elle l’acquière purement et simplement.
Que pouvait-il y avoir d’autre ? Savoir qu’il manquait quelque chose et ne pas réussir à mettre le doigt dessus agaçait prodigieusement l’esprit de la jeune fille. Pourtant elle tâcha de domestiquer son agacement grandissant, parce qu’il était un ennemi mortel pour la réflexion. Soudain, comme une bougie qui s’allume, Taichi réussi à nommer mentalement ce qu’elle cherchait.

« Vous m’avez fait travailler sur la précision… ma geôle est efficace mais imprécise en temps normal. Elle pourrait donc être briser aisément, et s’avérer inutile au final. Sa solidité dépend du degré de précision que je vais mettre pour la façonner, ce qui implique de fait sa résistance à des poussées internes et externes. Travailler sur un petit modèle est plus simple, parce que j’utilise moins d’énergie pour la création et cela permet de pouvoir savoir vraiment comment cela pourrait être… devrait être, pour une taille plus importante. Puisque le principe est le même.

En revanche, j’ai été très lente  pour parvenir à un résultat satisfaisant, et j’y suis arrivée que par un moyen détourné. Du coup… il faut aussi que je travaille cela. Je dois pouvoir utiliser mon sort sans avoir besoin d’un autre pour ériger ma cage, ou n’importe lequel de ses dérivés potentiels. Maintenant… je crois avoir une idée de comment je pourrai faire, néanmoins je ne sais pas si je peux déjà y arriver. »

Ce n’était peut-être pas la totalité de ce qu’elle pourrait tirer de cet exercice, Taichi en avait conscience. C’était ce qu’elle pouvait en retirer là, de suite après l’avoir réalisé. Tout ceci était nouveau pour elle, et plus particulièrement avoir quelqu’un l’aidant à s’améliorer sans la rabaisser pour autant. L’adolescente était persuadé qu’elle allait progresser et corriger un à un les défauts de ses sorts. Tsukishima-sensei était, sans la moindre doute pour elle, le meilleur sensei qu’elle aurait pu choisir.

Elle savait qu’il la comprenait quelque part, même si elle ignorait d’où elle pouvait tenir pareil conviction.

La jeune sorcière demeure un instant silencieuse, visiblement prise au dépourvu par la question de son enseignant. Puis son esprit s'active derrière ses prunelles brillantes d'intelligence, et sa réflexion se construit petit à petit. Elle commence par soulever la nécessité de gérer sa frustration, à laquelle Shinji opine. Effectivement c'est un des axes de travail qu'il a notés en l'observant à l'œuvre. Il ne dit pas qu'elle peut éviter la frustration. N'importe qui peut y être sujet, et lui notamment. Mais la façon dont on appréhende un évènement frustrant est importante, et il lui manque encore de l'expérience.

Vient ensuite le manque de concentration. Oh que oui, il l'aurait même placé en premier. C'est bien pour cela qu'il a invoqué une cage avec sa propre magie. Pour focaliser son attention sur le résultat qu'elle doit obtenir. Malheureusement il ne pourra pas être toujours là, aussi doit-elle apprendre par elle-même à se focaliser sur ses sorts.

Plusieurs secondes de silence séparent la prochaine déduction de la précédente. La petite a visiblement besoin de pousser un peu plus sa réflexion. Aucun problème, Shinji a tout son temps, elle est sa seule préoccupation de la journée. Il patiente donc les mains croisées derrière le dos, jusqu'à ce que Taichi mette le doigt sur l'aspect technique de son sort. La précision, la durée de lancement et l'efficacité. Effectivement, ce sont des axes de travail importants. L'expression du maître s'illumine d'un regard approbateur.

▬ Effectivement, vous avez vu juste. Plus la taille d'une création est limitée, moins on consomme de magie. Lorsqu'on apprend, il est donc bien plus aisé de s'exercer sur une petite surface, de la même manière qu'on apprend d'abord à marcher avant de courir.

Shinji croisa les mains dans son dos et fit quelques pas dans la pièce tout en poursuivant sa leçon.

▬ Il y a autre chose que vous devez comprendre. On ne part pas de rien pour lancer un sort. Outre l'énergie tirée de l'environnement qui l'entoure et qu'il manipule à sa guise, le sorcier doit faire appel à son imagination. Quel est son objectif et comment s'emploie-t-il à l'atteindre. Il doit le garder à l'esprit tout au long de son incantation, et selon la nature du sort, pendant son maintien. Il est difficile de créer sans modèle, vous en conviendrez.

D'un geste, Shinji reforme la cage, sans même jeter un œil à la table sur laquelle elle apparaît.

▬ Du moins, au début. C'est avec du travail qu'un sorcier parvient à ce résultat. Il est important de ne pas griller les étapes. Si vous peinez au début, représentez-vous concrètement ce que vous souhaitez obtenir. Ce peut être par exemple un objet existant -il désigne la cage de ténèbres- ou même un dessin. Peu importe, du moment que vous parvenez à vos fins. Tokyo ne s'est pas faite en un jour.

Shinji se souvient des nombreuses heures de pratique supplémentaire qu'il s'accordait en dehors des cours. C'est ce qui lui a permis d'obtenir rapidement son diplôme, outre le talent. Sans être qualifié de surdoué, il faisait partie des meilleurs sorciers de sa promotion, tout comme sa sœur aînée. D'une simple pensée, il fait disparaître son sort pour revenir au centre du sujet.

▬ Maintenant, expliquez-moi comment vous comptez faire à l'avenir. Ou même, montrez-moi, si c'est dans vos cordes.

Il s'adosse au mur et croise les bras sur sa poitrine, les yeux braqués sur son élève. Il est curieux de découvrir ce qu'elle a en tête.

Le regard approbateur de Tsukishima-sensei rassure instantanément la jeune sorcière. Elle est donc dans le vrai, même si elle n’est pas franchement convaincue d’avoir trouvée tous les points à améliorer aux cours de leurs entrainements futurs. La comparaison qu’il utilise lui parle. En effet il faut toujours commencer par le début avant de faire la compliqué. Un pas après l’autre.
Son regard d’améthyste suit Tsukishima-sensei dans sa marche tranquille avec ses mains dans le dos. Etonnamment, la petite est attentive aux mots qu’il prononce, tâchant de bien en assimiler le sens. Son imagination était donc l’une des clefs pour que tout fonctionne ? Concernant l’environnement et l’énergie, elle s’en doutait, mais l’imagination la surprend un peu. Du moins, pas longtemps, puisque son cerveau lui fait remarquer avec une logique indiscutable qu’il lui fallait bien réfléchir à la forme à obtenir pour l’avoir. Elle devait la visualiser, donc l’imaginer. D’une logique élémentaire et simpliste, qui lui avait échappé par sa simplicité justement.

Son attention est détournée par la nouvelle cage de ténèbres qui se forme, sans même un regard de son sensei. Taichi Tomoe est impressionnée par sa maîtrise. Jamais elle n’avait envisagé que cela puisse être possible. Bien sûr, elle savait que la fluidité d’un sort s’améliorait avec la pratique, mais ça… c’était d’un tout autre niveau ! Un vœu envahit alors son esprit, comme du chiendent un jardin. Elle voulait arriver au même résultat. Il le fallait. Elle allait donc travailler sans relâche, dès qu’elle en aurait l’occasion, afin de pouvoir atteindre le niveau de Tsukishima-sensei.
Sans effort, elle voit la cage disparaître d’un battement de cils, comme emportée par un vent qu’elle pouvait seule sentir. Sagement, elle acquiesce à la phrase de son sensei. Tokyo ne s’était pas faite en un jour. Elle avait donc la possibilité de prendre le temps qu’il lui fallait avant d’arriver à un résultat similaire. Pourtant son impatience espérait que cela ne prendrait pas aussi longtemps que cela.
Tsukishima-sensei s’adossa au mur, croisant les bras et la regarda fixement. Elle, en revanche, osait à peine croiser son regard. Expliquer ? Comment ? Les mots semblaient avoir pris des vacances, emportant avec eux sa voix. Son cerveau, d’habitude si prompt à réagir et réfléchir, s’avéraient fonctionner au ralentis comme s’il avait été dans du coton. Que lui arrivait-il ? Jamais encore la sorcière ne s’était senti dans un tel état.

Elle ouvrit la bouche, avant de la refermer, comme un poisson après avoir gobé une mouche. Rien ne lui venait. Elle savait pourtant de quoi elle voulait parler. Elle croyait s’en souvenir du moins. Sauf qu’actuellement s’était le néant, rien ne lui revenait en mémoire. L’adolescente se sentait parfaitement idiote, incapable de retrouver son idée, encore moins de l’expliquer ou de tenter de la mettre en pratique.
La frustration, cette nouvelle ennemie, revenait déjà la titiller en la narguant de son rire hautain. L’adolescente se mordit la lèvre inférieure. Elle ne devait pas se laisser dominer, ni même atteindre par cette nouvelle compagne de classe. Cependant, il lui était impossible de l’ignorer pour autant. Elle était là, tâchant d’amener la peur et la colère dans son sillage, rien que pour lui faire perdre pied. Taichi s’y refusait avec obstination. Alors pour reprendre le contrôle, ou du moins en avoir l’illusion, elle expira profondément vidant ses poumons de leur air.
Puis elle inspira tout aussi profondément. Et recommença une nouvelle fois. Intérieurement elle imaginait qu’elle repoussait par vague lente et constante sa nouvelle ennemie. Une fois qu’elle se sentit un peu plus maîtresse d’elle-même, elle ouvrit une nouvelle fois la bouche. Sa voix ne s’obstina pas à être absente, mais ne s’avéra pas aussi sûre qu’elle l’aurait dû.

« Je… je crois qu’il… qu’il me faut de l’entrainement déjà… répéter des exercices de bases, jusqu’à ce qu’ils soient… évidents et instinctifs. Pour… pour ne pas utiliser de moyens détournés, je… enfin je… pourrais peut-être…mettre à profit les propriétés de … de l’électricité. Celles de répulsion et de tension. »

Taichi Tomoe était très peu à son aise. De plus, elle avait la forte et désagréable impression d’être totalement à côté de la plaque. Comme si une pièce du puzzle lui manquait et refusait de se laisser trouver. Son hypothèse exposée à haute voix n’avait rien d’exceptionnel. Pire elle semblait bancale et peu crédible. Dans sa réflexion, la petite sorcière s’était mise à jouer avec l’une de ses mèches de cheveux, signe indubitable de sa réflexion en cours.

« Peut-être… que je peux me duper ? M’imaginer que j’utilise autre chose pour parfaire ma création du moment ? Ou encore m’utiliser moi-même. Mes sors électrique ne semblent pas m’atteindre… Peut-être dû à une sorte d’isolation que j’ai dû me créer sans y prêter attention.
Je peux essayer de faire ça oui… je ne suis pas sûre que ça puisse fonctionner. Peut-être que je n’ai pas suffisamment de concentration pour le tenter, ni assez de pratique. »

Elle se tut. La réalité la frappait de plein fouet. Elle était en train de se chercher des excuses ? Des excuses en amont d’un possible échec sans même avoir essayé ? Ce n’était pas elle ça ! A moins que ça ne soit la vraie elle ? Celle qu’elle prenait soin d’ignorer en temps normal ? Non.

« Sumimasen Tsukishima-sensei. Je m’égare un peu. Je n’arrive pas à expliquer vraiment ce que j’ai en tête. Je vais essayer de vous montrer. »

Mentalement, la sorcière se concentra sur une musique simple, jusqu’à être persuadée de l’entendre. La mélodie douce provenant uniquement de ses souvenirs, envahit entièrement son esprit. Simplement, Taichi la plaça en arrière-plan, comme si elle s’éloignait seulement de l’origine du son. Sans s’en rendre compte, elle fredonnait l’air pendant que ses mains se mettaient en action.
La première formait des carrés horizontaux, alors que l’autres les superposait. Après en avoir mis les différentes couchent en tension les unes au-dessus des autres, elle répéta l’opération mais plus lentement avec des carrés verticaux. Cette fois-ci, elle prenait le temps de les insérer un par un, provoquant des grésillements et des étincelles. De petits arcs électriques se formaient par moment et endroit, comme des petits bras attrapant un côté du carré suivant pour l’agripper et ne plus le lâcher. Malheureusement, l’incorporation du dernier carré fit exploser l’ensemble.
Taichi Tomoe, les cheveux électrique et une expression de surprise sur le visage, cligna plusieurs fois des yeux incrédule. Son idée n’avait pas fonctionnée ? Comment ? Pourquoi ? Qu’avait-elle loupé ? La frustration revint au galop au sein de son cœur, prête à exploser dans toute sa splendeur. Elle fut cependant immédiatement muselée pour la réflexion de la petite.

« Je… j’ai pas échoué. Pas totalement. Je… j’ai trouvé une idée qui n’est pas adaptée Je vais tâcher de… suivre la pensée de Edison-sama. J’ai trouvé une solution qui ne fonctionne pas pour mon problème. En revanche… gomen Tsukishima-sensei, je n’ai pas d’autres idées.»

La petite se sentait un peu honteuse de n’être arrivée à rien de probant. Néanmoins, elle ne regrettait pas d’avoir essayé.

Le maître des ténèbres pose visiblement une colle à son élève. Taichi reste un long moment sans voix, la bouche s'ouvrant puis se refermant comme une carpe. Elle est complètement prise au dépourvu par sa demande. Shinji hausse un sourcil. Se trouve-t-elle dans une impasse ? Ce n'est pourtant rien d'insurmontable. Peut-être ne faisait-elle que penser tout haut, sans imagine une seconde qu'il pourrait lui demander de passer à l'acte. Mais à force de concentration et de maîtrise, elle parvient à se reprendre, après une profonde expiration.

Elle esquisse un début de réponse en bégayant, témoignant du trouble qui l'agite encore. Que peut-il bien lui avoir demandé de si perturbant ? Taichi peine à formuler sa pensée, mais la fin de sa tirade éveille l'intérêt de son maître. Shinji l'invite à poursuivre d'un geste de la main. Elle poursuit dans son élan en se tripotant les cheveux, un tic qui aura vite fait d'énerver Shinji. Pour l'instant il se retient de lui faire la remarque, mais elle va devoir apprendre à contrôler sa nervosité. C'est important pour bien maîtriser sa magie. Elle semble se considérer incapable d'y parvenir. Effectivement, si elle n'y croit pas, elle ne risque pas d'y arriver.

Shinji se masse la tempe alors qu'il essaye de la suivre. Elle va devoir aussi apprendre à se faire un peu plus confiance, sans quoi elle ne va pas aller bien loin. Comme si elle avait perçu la réflexion de son mentor, Taichi se ressaisit et se décide de passer à l'action, plutôt que se fatiguer à expliquer une idée complexe. Le maître des ténèbres croise à nouveau les bras sans la quitter des yeux. Elle commence un étrange manège. Il en résulte une mélodie fredonnée par la jeune sorcière, qui s'active, comme en transe. Elle s'est construit un environnement de travail propice. Bien.

Le Tsukishima l'observe avec intérêt former des carrés horizontaux, puis les intercaler avec d'autres verticaux cette fois. Sa méthode est astucieuse. Mais le dernier maillon fait exploser l'ensemble. Shinji sent ses cheveux se hérisser sur la base de sa nuque alors que la vague électrique le traverse. Bon, il y a encore du travail, mais sa réflexion est intéressante.

▬ Ce n'est pas grave, Yukimura-san. Rappelez vous, lorsqu'on réussit, on avance, et lorsqu'on échoue, on apprend. Ce n'est que partie remise. Vous avez déjà bien travaillé aujourd'hui.

Il sent son désarroi et il peut la comprendre. Elle n'est pas arrivée à son objectif. Néanmoins, ce qui compte, c'est de persévérer. Peu importe le temps et les moyens, tant qu'elle y parvient. Le maître des ténèbres s'avance pour remettre en place les quelques chaises et tables qui ont été chamboulées au cours de la leçon. Il s'aide d'une apparition ténébreuse qui ramasse les objets de l'autre côté de la pièce. Puis il se tourne vers son élève.

▬ Vous n'avez qu'à y réfléchir pour la prochaine fois. Je vous propose de nous arrêter là. A moins que vous n'ayez des questions ou des points précis à aborder ?

La petite s'est déjà bien fatiguée sur les différents exercices. Il ne souhaite pas lui imposer une nouvelle pratique qui aurait plus de chance de la frustrer que de la satisfaire. Néanmoins il reste à l'écoute si elle souhaite persévérer, ou simplement assouvir son besoin de connaissance.

Entendre Tsukishima-sensei la complimenter sur son travail pour cette séance lui tire un petit sourire. Malgré la honte qu’elle continue de ressentir de ne pas avoir pu faire mieux pour être à la hauteur de son sensei, l’adolescente se sent un peu rassurée qu’il apprécie malgré tous ses efforts.
Les paroles qu’il lui offre lui prouvent, sans doute possible, qu’il n’est pas déçu de cette première séance d’entrainement. Bien sûr, pour la petite elle n’est pas à la hauteur de ce qu’elle aurait dû. Néanmoins, elle n’est pas aussi catastrophique qu’elle ne le ressent en cet instant. Taichi Tomoe sait qu’il faut bien commencer par quelque part, et cela fait si longtemps qu’elle est seule pour tenter de progresser qu’un regarde extérieur est la meilleure chose qui pouvait lui arriver.
Encore un peu sous le choc de son échec, et de la décharge électrique qui l’a suivis, elle commence par regarder son sensei remettre en place ce qui n’a pas supporté l’onde de choc. Cependant elle se reprend bien vite, et l’aide bien qu’il soit plus efficace avec son double d’ombre qu’elle-même.

Lorsqu’il lui adresse à nouveau la parole, elle acquiesce en silence à sa demande. Taichi ne doute pas d’avoir besoin de mettre sa pensée à plat pour trouver une solution, ni même qu’elle finira par en trouver une avec l’aide de Tsukishima-sensei. La petite sorcière envisagea déjà de transformer une des pièces un peu débarras de sa petite maison en salle d’entrainement magique. La solution à ce problème, quel qu’elle soit, allait demander du temps et de la pratique. Il n’est même pas supposable à l’avenir de décevoir son sensei. La jeune fille souhaite plus que tout le rendre fière d’elle, qu’il n’ait pas honte de l’avoir pour élève. Le chemin pour y parvenir serait semé d’embuches, de difficultés et de frustration. Cependant, Taichi Tomoe n’avait pas l’intention d’abandonner.
Elle découvrirai comment gérer la frustration, nouvelle venue dans son arsenal d’émotions. Comment la repousser efficacement, et surtout comment éviter que la peur et la colère, de très vieilles connaissances, ne s’invitent à leur tour. S’il y a bien une chose qu’elle sait, c’est que la magie et ces deux dernières ne font pas bon ménage. Il faut de la maîtrise et du sang froid. Deux choses qu’elle allait devoir acquérir.

« Non Tsukishima-sensei, je n’ai rien qui me vienne à l’esprit pour le moment. Je vais travailler sur comment résoudre mon problème, et faire tout ce que je peux pour y trouver une solution. Merci pour votre temps aujourd’hui, ainsi que pour vos conseils. Je tâcherai de me montrer à la hauteur et digne de votre enseignement. »

Taichi s’incline respectueusement face à son sensei. Elle ne sait pas encore comment lui montrer sa gratitude. Pourtant, au fond d’elle, elle est persuadée que c’est en progressant et interagissant avec lui qu’elle pourra le faire. Ce premier cours était donc terminé, mais n’était qu’un prélude à beaucoup d’autres à venir. L’excitation en elle, que provoque cette simple pensée lui tire un large sourire.
Oui enfin elle allait avoir l’occasion de devenir la sorcière qu’elle pourrait être.