Rendez-vous avec le destin [PV Alessio] (06/05/2018)

Je lui citai quelques-unes de mes lectures, lui expliquant que c’était Ayumi ou ses servantes qui les lisaient à voix haute pour moi. C’était en soi des lectures qu’on pouvait qualifier de très convenable pour une jeune femme de mon rang. Des classiques de la littérature européenne ou japonaise et de belles histoires d’amour platonique. Ayumi et moi-même comprenions couramment l’allemand, le japonais, l’anglais et le latin, ce qui laissait un certain choix. A l’annonce des fiançailles, nous avions fait venir un précepteur pour m’enseigner l’italien. Mais j’en commençais à peine les bases et il aurait été embarrassant d’en faire démonstration. Je l’interrogeai sur ses propres goûts. Je prévoyais de lire quelques ouvrages dont il parlerait afin de mieux le connaître.

Je lui parlai de mon amour pour la harpe et la flûte traversière. Le début n’avait pas été évident. Ma professeure devait toujours reposer mes mains là où il fallait. Mais j’avais été progressivement capable de repérer chaque corde, chaque pédale, chaque clé. Aujourd’hui, je connaissais les deux instruments comme ma poche et était capable de reconnaître une corde selon la distance à laquelle je devais tendre le bras pour l’utiliser. Je ne connaissais que la musique dite « classique ». Cependant, je n’avais pas spécialement de préférence entre les différentes époques. J’aimais autant le style baroque que le romantique ou le moderne. J’évoquai brièvement le chant. Je n’y avais pas été initiée autant que les deux instruments et je ne voulais pas parler de quelque chose qui évoquât le souvenir de feu son épouse.

Le temps passa vite, tandis que nous devisions. Je crois que j’avais rarement été aussi tranquille d’esprit. J’avais une telle confiance en l’avenir, désormais. Bien sûr, mon rêve prémonitoire restait présent dans mes pensées. Je n’avais pas encore parlé de mes pouvoirs à Alessio, mais cela finirait par arriver. Oserais-je seulement lui parler de la prédiction de ma mort ? Bien sûr, tous les vampires finissaient par mourir un jour, et selon la nature de notre race, insensible au temps, la principale cause de mortalité chez les level A était l’assassinat, suivie par le suicide. La mort que le rêve m’avait prévue n’avait donc rien d’exceptionnelle. Je ne savais juste pas quand elle aurait lieu, ni de quelle main. Au vu de son deuil difficile encore en cours, mieux valait sans doute que j’évite d’évoquer ce problème.

Vers la fin de la soirée, mise à l’aise, j’en vins à oser me dire que je pourrais lui demander un service. Je n’en avais jamais demandé à qui que ce soit. Ayumi avait toujours veillé à ce que j’eusse tout le nécessaire sans même que j’eusse à demander. Le reste outrepassait ses droits. Je savais donc d’avance qu’elle ne pouvait pas accéder à cette demande.

« Si j’osais, Monseigneur… je me demandais… »

Je ne voulais pas l’embarrasser, mais cela me tenait tant à cœur. A vrai dire, j’y avais énormément pensé, depuis l’annonce des fiançailles. J’entremêlai mes mains avec timidité, manquant soudain de confiance en moi.

« Accepteriez-vous d’intercéder auprès de mon père afin que je puisse vous accompagner à des soirées mondaines ou rencontrer d’autres vampires ? »

J’avais beaucoup entendu parler des festivités qu’organisaient régulièrement les aristocrates. J’avais même été éduquée afin de m’y comporter avec aisance. Mes précepteurs m’avaient longuement appris les bonnes manières, comment tenir une conversation mondaine, comment danser avec grâce… Mais je n’avais jamais pu mettre mes connaissances en pratique, car il m’était interdit de sortir ainsi. Je suppose que mon père tenait à reporter le plus possible le fait que les gens découvrent la fille qui lui faisaient honte, à moins qu’il craignît que je misse en marche je ne sais quelle prophétie impliquant le clan. Mais si c’était mon fiancé, un vampire de rang égal au sien, qui lui demandait, sans doute serait-il obligé d’accepter.

Je l’écoute me parler des lectures qu’elle a le plus apprécié, lui conseillant certains ouvrages qui m’ont particulièrement touchés ou transportés. Cet échange littéraire est des plus rafraichissant après nos aveux difficiles. Nul doute que nous avons, tout deux, encore beaucoup à nous apprendre. Ne serait-ce qu’en ce qui concernent nos pouvoirs, dont pour l’instant nous avons tait les sujets.
Elle m’apprend qu’elle maîtrise plusieurs langues, ce qui pour une dame n’est pas étonnant. Elle mentionne l’allemand et le japonais, qui sont en prenant compte de sa situation particulière ses langues maternelles. Suite à ces deux premières, elle a appris l’anglais ainsi que le latin. Ce sont des langues communes à tous les clans, lui donnant ainsi une partie des clés pour se mouvoir dans la haute société vampirique, sans rien trahir de ses difficultés. J’ose émettre l’hypothèse pour moi-même que l’italien vient seulement d’arriver au programme, ou n’est que très récent. Connaissant le vieux briscard, dès mon acceptation il lui a pris un précepteur italien pour lui enseigner ma langue ... très certainement à marche forcée pour qu’elle puisse s’exprimer dans ma langue. Ne peut-il dont pas la laisser un peu tranquille ?
Nous abordons le sujet de la musique par la suite. Je découvre alors avec plaisir qu’elle sait jouer aussi bien de la flûte traversière que de la harpe. L’idée de lui demander de m’offrir un récital est fort tentante, mais je m’en abstiens pour le moment. La prochaine fois peut-être. C’est aussi une potentielle idée de présent à son égard. Rapidement et sans s’attarder elle évoque le chant. Intérieurement je lui suis reconnaissant de ne pas aller plus loin sur le sujet, ce dernier me rappelant encore bien trop Irys.
Le temps étant une chose toute relative, aucun de nous deux ne le voit filer. J’aperçois mon majordome, Hiroaki, du coin de l’œil de l’autre côté d’un des panneaux en papier de riz. Je le soupçonne de vouloir me signifier ainsi que la nuit n’est point terminée et que j’ai des obligations en sus qui m’attendent. En quoi il n’aurait même pas tort, vu qu’il me faut finir de préparer les modalités de rencontre de Hirano Asuna, l’Alpha de la meute Hirano dans le cadre de notre alliance. Il va donc être nécessaire de mettre fin à notre badinage, même si l’envie n’y est point. Soudain ma, douce, fiancée semble sur le point de me dire quelque chose d’important. Elle capte ainsi, et sans effort, toute mon attention.

« - Si j’osais, Monseigneur ... je me demandais ... »

La confiance qu’elle possédait jusqu’alors semble s’être évaporer comme une goutte d’eau en plein désert. Qu’est-ce qui peut bien donc lui faire perdre ainsi ses moyens ?

« - Accepteriez-vous d’intercéder auprès de mon père afin que je puisse vous accompagner à des soirées mondaines ou rencontrer d’autres vampires ? »

Heureusement qu’elle ne peut discerner l’expression d’ahurissement peinte sur mon visage. C’est une calembredaine ? Son père ne la laisse pas quitter sa résidence ? L’idée est de faire de sa fille cadette une princesse à secourir d’un dragon ? Ou elle représente une telle honte à ses yeux qu’il refuse qu’elle soit publique ? Cet homme est décidément bien fou et tellement arriéré ... C’est d’un triste et d’un pathétique. Il est plus que temps de laisser cette jeune rose découvrir le monde, même si le nôtre a des recoins totalement pourris.

« - Bien entendu que je vais intercéder auprès de votre père. C’est une ineptie que de vous préparer à la vie dans le monde, si c’est pour vous en tenir fermement à l’écart. Je vais aussi lui demander que votre gouvernante puisse vous suivre en assurant sa véritable fonction, celle de garde du corps. Vous profiteriez ainsi mieux de toutes ces festivités en sa compagnie lorsque je ne pourrai me joindre à vous. »

Délicatement, je dépose un baiser sur son front. Elle mérite d’être libre et non enchainer.

« - Et si d’aventures vous avez d’autres requêtes, n’hésitez pas à me les soumettre, je ferai tout ce que je peux pour les rendre possible. »

Je fais signe à Hiroaki et à Ayumi de nous rejoindre dans le jardin intérieur. Il est malheureusement temps que cette bulle de calme et hors du temps éclate pour me replonger au sein du panier de crabes des derniers évènements mondiaux. Je m’en réjouis comme si l’on m’arrachait les canines.

« - Ma chère Signorina Anna Lena, je vous pris de m’excusez mais je vais devoir vous quitter. Malheureusement pour moi, les affaires courantes ne s’arrêtent point quand je le désire. Vous rencontrer m’a réjoui et il me tarde de profiter à nouveau de votre présence. Cette demeure est, maintenant, aussi la vôtre si vous le souhaitez. Votre gouvernante et vous-même y serez toujours les bienvenues, de jour comme de nuit. Dès que j’aurai un retour de votre père, je vous informerai sans tarder, rassurez-vous. »

Je lui offre un dernier baisemain avant de me lever, faisant signe à Hiroaki de s’approcher.

« - Je vous laisse profiter autant que vous le désirez de ce jardin intérieur. Hiroaki, mon majordome va veiller sur vous et vous mener ici où il vous plaira. Arrivederci Signorina Anna Lena et au plaisir de notre prochaine entrevue. »

Je m’éclipse alors, laissant entre de bonnes mains ma fiancée et son ange gardien. Si cela n’avait tenu qu’à moi, j’aurais bien prolongé cette entrevue. Mais comme dirais Sergio, j’ai des devoirs et il me faut les honorer. Je me dirige à nouveau vers mon bureau, prêt à me noyer dans les dossiers qui s’y amoncellent.