Un entretien primordial [21/05/2018]

S’il s’amusa quelque peu de son effet de suspens, et des réactions qu’il provoquait chez Daisuke, Aaren veilla toutefois à le préserver un minimum. Il ne souhaitait pas le plonger dans un état de malaise le premier jour de leur nouvelle collaboration. Et il avait bien compris que le lycan était plutôt du genre émotif, tout en attribuant une importance particulière à la notion de respect. Alors, même s’il était connu que le chef des chevaliers était loin d’être irrespectueux, il préférait partir tout de suite du bon pied avec son nouvel apprenti… du moins si on pouvait le nommer ainsi.

La recrue accusa le coup. Il lui fallut quelques instants pour enregistrer l’information. Il tenait la fiche informative de son nouveau mentor sans comprendre réellement ce qu’il se passait. Hum, en avait-il encore trop fait ? Il entendait déjà les sons de cloche de Jorgen. Son meilleur ami trouvait qu’il exagérait parfois sur ses mises en scène. Peut-être. En attendant, ça l’amusait, tout en restant bon enfant et respectueux des autres. Si on ne pouvait même plus plaisanter un peu, dans cet ordre, le quotidien actuel allait vite devenir déprimant.

Finalement, le japonais se reprit. Il focalisa son attention sur son chef, l’air un peu ahuri. Puis vint la première question, légitime et logique, très sensée, qui démontrait déjà sa grande implication. Le dénominatif “senpai” lui fit d’ailleurs un drôle d’effet. Aaren ouvrit la bouche pour lui répondre, mais il n’eut toutefois pas le temps de répliquer. Le lycan prit les devant pour lui faire une confession. Le norvégien haussa un sourcil. Bien sûr, il possédait déjà cette information, bien que ce fût assez récent. Il avait reçu des bribes du dossier par Junya, qui les tenait lui-même de Kjell Manenheim. Il détourna un instant le regard pour fixer le sol.

Eh bien, Kûdo-san, je vous remercie pour votre honnêteté. La confiance est la base d’une relation stable.

Il était d’ailleurs temps maintenant de lui faire ses propres aveux, pour ce qui le concernait directement. S’il vantait la sincérité de Daisuke, il lui fallait en faire autant. Il releva donc les yeux pour les poser sur le nouveau chevalier.

Puisqu’on est dans l’instant des confessions, j’ai moi aussi un aveu à vous faire : je suis déjà au courant. A dire vrai, je sais qui est Asuna Hirano, et je l’ai même déjà rencontrée il y a peu… Vous avez une mère d’adoption très prévenante, vous savez.

Il lui offrit un clin d’oeil en souriant. Il pensait à sa discussion quelques jours auparavant avec la fameuse Alpha. Il la soupçonnait désormais d’avoir voulu tâter le terrain, en se renseignant directement auprès du chef des chevalier. Elle avait du cran et de la suite dans les idées. Il aimait beaucoup.

J’ai mes sources, je sais donc qu’elle est asymptomatique. Rassurez-vous, je ne la considère pas comme un danger pour les autres, ni pour elle-même d’ailleurs, puisqu’elle ne montre aucun signe de la maladie. Et précautionneuse comme je l’imagine, elle doit certainement éviter de mordre le premier venu. Même celui qui s’en prendrait à son… “bébé”.

Nouvelle petite pique. Le pauvre Daisuke avait intérêt à s’y faire, car son chef ne manquait pas d’humour, et loupait rarement une occasion pour en faire. Il fallait bien détendre un peu l’atmosphère.

Pour en revenir à votre première question, je n’y ai pas encore beaucoup réfléchis, cependant… Il est évident que l’entraînement physique ne sera pas un problème pour vous. Nous n’aurons pas besoin d’y passer beaucoup de temps, bien que je sois curieux de vous voir à l’oeuvre. Pour ma part il est un rituel qui me tient à coeur : la méditation. Cette activité permet de se recentrer sur soi et de faire la paix avec ses émotions. Ce qui est essentiel en mission, afin de garder la tête sur les épaules. Je pense qu’il serait bon de vous y initier.

Le nordique marqua un temps de pause, le menton entre le pouce et l’index, tandis qu’il réfléchissait à la suite.

Ensuite, nous pourrions aborder la mise en situation, par des scénarios simple au début et augmenter la difficulté, afin d’entraîner votre sens de l’observation et votre esprit critique… Ce qui nous mènerait in fine à l’application pratique sur le terrain. Pour le reste, nous avons encore le temps de le voir venir, mais bien sûr, nous pourrons aborder les sujets selon les occasions qui se présentent et les questions que vous vous poseriez.

Il s’arrêta là et le fixa, l’invitant à prendre la parole pour poser les autres questions qui pouvaient lui passer par la tête, ou, peut-être, réagir sur ces révélations.

A l’expression sceptique de Daisuke, Aaren déduisit qu’il n’avait jamais pratiqué la méditation. Il ne semblait pas particulièrement enthousiaste. En un sens, le norvégien comprenait. Cette discipline mentale était assez méconnue par le grand public. Elle offrait pourtant des bénéfices non négligeables, à commencer par la maîtrise de soi. Il comptait dessus pour aider le lycan avec son émotivité. Mais il n’y réchapperait pas. Le chef des chevaliers avait la ferme intention de l’y initier, que ça lui plût ou non. Le japonais ne manqua pas d’exprimer ses doutes quant à l’efficacité de cette pratique. Mais il ne lui paraut pas réticent pour autant. Du moment qu’il ne fermait pas son esprit à cette activité, rien n’était impossible. Aaren était confiant et ne doutait pas que Daisuke s’en sortirait.

Le lycan s’inclina respectueusement sous le regard attentif de son nouveau maître. Ça lui faisait encore étrange d’être appelé “senpai”, surtout par un individu théoriquement plus vieux que lui. Même si Kudo-san avait conservé la mentalité de sa vingtaine, à n’en pas douter. Puis son apprenti lui demanda s’il avait encore besoin de lui ; il semblait prêt à prendre congé. Aaren ne releva pas son empressement à quitter les lieux. La nouvelle recrue avait eu beaucoup à encaisser, et il lui faudrait encore un peu de temps pour se faire à sa nouvelle condition. Son chef ne souhaitait pas le brusquer ni brûler les étapes.

Hum, non je pense que nous avons fait le tour. Ah si, avant que vous ne partiez…

Aaren contourna son bureau pour récupérer, dans un tiroir, une grande pochette épaisse. Il déversa son contenu sur le meuble. En premier lieu, le chevalier tendit un porte-document à Daisuke.

Voici le règlement intérieur de notre Ordre. Vous y trouverez les valeurs et les principes des chevaliers des ombres, ainsi que les grandes lignes de notre fonctionnement, en particulier tout ce qui concerne les horaires et les gardes. Bien sûr, il n’est pas exhaustif et si vous avez encore des questions après sa lecture, je suis bien évidemment à votre disposition.

Il se saisit ensuite d’un autre document, qui ne contenait cette fois que trois pages.

Voici votre contrat. Vous pouvez prendre le temps de le lire avant de le signer et me le remettre plus tard si vous le souhaitez.

Finalement, il lui remit un badge, à son nom, avec l’emblème des chevaliers imprimé dessus.

Et pour finir, votre badge. Il vous identifie clairement comme un chevalier, et vous permet d’accéder librement à nos locaux.

Avec cela, Daisuke était fin prêt à intégrer leurs rangs. Bien évidemment, comme pour sa camarade Anzu,  il lui laisserait quelques jours pour s’organiser avant son premier jour ici. Une semaine devrait suffire.

Bien entendu, je vous laisse du temps pour vous organiser. Je vous propose de commencer lundi prochain, le 28 mai. Etant donné mes horaires, disons, compliqués, ce sera à la même heure qu’aujourd’hui.

Aaren marqua une pause, l’invitant du regard à s’exprimer s’il voyait un inconvénient à tout ça.

Bien, cette fois nous nous sommes tout dit, je vous libère. Merci de vous être rendu disponible à une heure si matinale. Je vous dis donc à lundi prochain.

Il le salua en s’inclinant selon la coutume local, lui souhaitant une bonne journée au passage. Lorsqu’il fut de nouveau seul, il dressa la fiche de Daisuke pour l’ajouter à son répertoire. Le lycan avait encore du chemin à parcourir, mais Aaren ne doutait pas qu’il ferait un excellent chevalier des ombres. Il y veillerait personnellement.