Un fâcheux malentendu [06/07/2018]

Encore une dure journée de labeur qui s'achevait au quartier général des chevaliers. Les dossiers ne cessaient de s'accumuler, entre le récent massacre de militaires, la mort de Kjell Manenheim, la sinistre manifestation magique, les lycans qui souffraient toujours du virus, les signalements inquiétants d'agression ou de disparition, et cette quarantaine qui renforçait le climat anxiogène. Les hunters de son Ordre avaient fort à faire, surtout avec les rondes de nuit qu'il avait dû multiplier pour maintenir un niveau de sécurité convenable pour les citoyens.

Malgré cela il trouvait toujours du temps pour s'occuper de Daisuke Kudô, la dernière recrue qu'il avait pris sous son aile en tant que tuteur. Ils s'entraînaient régulièrement, en général tous les matins à la première heure, sauf contretemps. Si le lycan montrait des compétences indéniables pour le combat rapproché, c'était une autre affaire pour pratiquer la méditation. Daisuke était plutôt du genre nerveux et impatient et il saisissait mal le principe de cet exercice mental, qui pourtant tenait à cœur à son supérieur ; il était primordial d'être serein dans son cœur pour aborder les missions l'esprit clair. Mais le norvégien ne baissait pas les bras. Après un mois, il commençait à voir les premiers résultats.

Le chef des chevaliers quitta son bureau pour rejoindre la salle commune des chevaliers et saluer les quelques Hunters qui profitaient d'un café avant de prendre leur service. Ils discutaient avec des chevaliers qui terminaient justement leur journée. L'occasion d'échanger quelques plaisanteries enfantines pour se détendre, en ces jours sombres. A son passage, les hommes se redressèrent pour le saluer comme sa fonction l'exigeait.

"Repos, camarades. Quelles bonnes nouvelles avez-vous à partager ce soir ?"

Il échangea ainsi quelques banalités tandis qu'il se servait en café. Il appréciait ces rares instants de légèreté en compagnie de ses hommes et femmes qui composaient les rangs de leur branche japonaise. Car, si quelques norvégiens l'avaient suivi à Nakanoto, la plupart étaient natifs de la région. Ce fut ainsi qu'il surprit, entre deux conversations, un commentaire incongru.

"Mais oui, je suis sûr de l'avoir déjà aperçu hier…"

Aaren tendit l'oreille pour percevoir la consistance de cet échange curieux entre deux hunters qui rentraient de leur patrouille. Il semblerait qu'une personne fut aperçue plus d'une fois ces derniers genre à proximité de leurs locaux. En toute autres circonstances, le nordique n'y aurait pas prêté plus de crédit. Cependant, il n'oubliait pas les pièces à conviction de valeur que les chevaliers gardaient précieusement. Et notamment l'arme qui avait servi à tuer a minima un vampire. Aussitôt, il se dressa dans son esprit l'hypothèse qu'un espion de Renfield fût venu en reconnaissance. Qui d'autre pourrait rôder autour de leurs quartiers généraux à cette heure-ci, la nuit, en cette période si troublée ? Il décida donc de constater par lui-même.

Il rejoignit l'extérieur avec sa tasse de café. De l'extérieur, il s'agissait surtout d'un leader qui avait besoin de prendre un peu d'air frais. Et les gens avaient tendance à se fier à son air bienveillant et sa "bonne bouille" d'européen. Peu s'imaginaient qu'il pouvait être manipulateur lorsque la situation l'exigeait, et à quel point son esprit brillant s'avérait redoutable pour ses adversaires. Ainsi donc, en feignant d'admirer le ciel étoilé du début de soirée, il put repérer, du coin de l'œil, un individu qui effectivement semblait épier le bâtiment et ses résidents. D'ailleurs, ne l'avait-il pas lui-même entraperçu dernièrement ?

Après plusieurs minutes à observer l'intrus à son insu, il se résolut à le confronter directement. S'il avait raison, il aurait mis la main sur un informateur de leurs rivaux fanatiques. S'il avait tort, eh bien il n'y aurait aucune conséquence, à part peut-être passer pour un paranoïaque à éviter à l'avenir. Il avait donc tout à y gagner. Il s'éloigna de quelques pas pour rejoindre le coin du bâtiment, et ainsi se soustraire à la vue du rôdeur. Il connaissait par cœur l'avenue qui les logeait et savait donc exactement par où passer pour le rejoindre sans se faire repérer. D'autant que les gens croyaient à tort qu'un géant de sa carrure ne pouvait pas se faire discret.

Il abandonna sa tasse sur le rebord d'une fenêtre et contourna l'immeuble, en sautant ponctuellement par-dessus des murets. Il escalada un portique pour traverser un terrain voisin afin de contourner l'observatoire de l'intrus et le prendre à revers. Lorsqu'enfin il fut à proximité, il dégaina Stillhet. Il n'avait nullement l'intention de s'en servir, fidèle à son serment, mais c'était un bon moyen de pression. Il la pointa ensuite délicatement sur l'épaule de l'intrus, le frôlant juste assez pour qu'il sentît la lame, sans pour autant abîmer son vêtement, au risque de le blesser.

"Pas un geste. Retournez-vous lentement, je ne voudrais pas vous blesser."

Il laissa quelques secondes au rôdeur pour se remettre de ses émotions, juste le temps de retrouver l'usage de la parole.

"Pourriez-vous me dire, Sir, pour quelle raison vous nous épiez depuis plusieurs jours ?"

Il darda sur l'étranger un regard sévère, qui ne souffrirait d'aucun mensonge.

Il faut que je prenne une décision. Ce n’est plus possible d’avoir autant de misère que cela. Je suis quelqu’un qui a du guts ! Pourquoi alors entrer dans cet endroit me fait me faire du sang de cochon ? Ce n’est pas comme si je risquais quelque chose à y aller. Enfin je ne pense pas.
Je n’ose peut-être pas à cause du risque de croiser Daisuke-kun, celui pour qui j’ai un crush. Je sais qu’il veut que je sois prudent, et que je ne traine pas dans les rues le soir … Ce qui est l’inverse de ce que je suis en train de faire en fait. En même temps, je n’ai pas la possibilité d’essayer de venir en journée avec les cours. Qu’est-ce que mon divin jack dirait s’il me voyait hésitant à passer la porte comme ça ?
Il m’accompagnerait probablement à l’intérieur, pour ma sécurité. Il me questionnerai aussi sur la raison de ma venue … Comment je pourrai lui expliquer ? C’est déjà si compliqué pour moi. Ensuite Daisuke-kun me passerait très certainement un savon, probablement pas de suite, mais la prochaine fois que l’on se verrait. Le pire c’est que je sais que je le mériterai pleinement. Je sais me défendre oui, mais est-ce que je serais capable de le faire face à tout ce qui se passe ? Moins sûr.

Je soupire, il est temps que je me donne un coup de pied au cul et que j’y aille. De toute façon, il y aura bien un des membres qui finira par venir me demander ce que je fais à tourner autour de chez eux comme ça. Je peux voir une personne sortir sur le perron … je ne vais jamais avoir assez de guts pour y aller s’il reste devant comme ça. Heureusement qu’il termine sa boisson rapidement et part à l’opposé. Je suppose qu’il devait terminer sa pause avant de reprendre une ronde. C’est peut-être le moment pour moi d’approcher et de sauter le pas ?
Mais … qu’est-ce que je vais bien pouvoir dire une fois entré ? Et si on me prenait pour un hurluberlu avec ma demande ? Il est clair qu’il ne doit pas être déranger pour n’importe quoi … Si Daisuke-kun était dedans et venait me voir surpris ! Je serai incapable de me justifier devant lui. Est-ce que j’aurai le guts suffisant pour parler devant son chef ? J’en suis pas sûr. Je ferai mieux de laisser tomber pour ce soir. Non ! Cette fois je ne vais pas lâcher la patate, j’y vais !

Je fronce les sourcils en sentant quelque chose toucher mon épaule. Avant de blêmir et d'écarquiller les yeux, en entendant les instructions d’un homme derrière moi. J’aurai dû écouter Daisuke-kun et être plus prudent … Qu’est-ce qu’il va me faire ? Me demander mon argent peut-être ? Ou … ou pire ? C’était quelque chose de pointu contre mon épaule. Il ne va pas me … ? Et si c’était un vampire ? Non non non, rester calme … tout ira bien. Et puis … et puis je ne suis pas loin de leur QG peut-être … peut-être que si je crie … Ne pas l’énerver ou lui donner plus de raison de me faire quoique ce soit. Je déglutis et me retourne doucement comme l’homme me l’a demandé. J’ai le cœur qui bat à 100 à l’heure tellement j’ai peur …
Je passe de blême à livide en découvrant qui est l’homme. C’est pire encore que ce que je pouvais imaginer. C’est Lui ! Mais comment … pourquoi ? J’écarquille les yeux, j’ai l’impression que je vais me laisser tomber au sol. Je ne sais pas quoi je dois regarder .. son arme ou lui. Si seulement j’avais eu plus de guts plus tôt ! Je ne serai pas dans cette situation, et lui ne me prendrait pas pour … j’ose même pas l’imaginer.

« Pourriez-vous me dire, Sir, pour quelle raison vous nous épiez depuis plusieurs jours ? »

Je déglutis une nouvelle fois. Je ne sais pas comment Daisuke-kun peut le trouver si sympathique … il est carrément flippant oui. J’ouvre la bouche pour répondre mais … mais je n’arrive pas à sortir le moindre son. J’ai l’impression que mon cœur bat tellement fort qu’il va sortir de mon torse, en même temps que mon sang va terminer de battre mes tempes comme des tambours. Impossible de réfléchir dans cet état.
Aller … je peux le faire … Il n’a pas l’air commode mais, mais il n’est pas méchant. Enfin je crois.

« Je … je ne vous … je ne vous épie pas Monsieur. Ni vous, ni vos hommes d’ailleurs. J’avais peur et je … j’hésitais d’entrer dans votre quartier général. »

Son regard est tellement sévère et fixe sur moi. J’ai jamais eu aussi peur de ma vie. Il attend une raison … si seulement je n’en avais qu’une seule pour expliquer ma présence ici. J’inspire longuement avant de lâcher ma réponse. De toute façon, je ne peux plus reculer maintenant.

« Si je suis ici, c’est parce que je souhaitais vous voir Monsieur. »

A l'instant même où l'individu suspect se retourna, Aaren commença à douter du bien fondé de son raisonnement. Les espions savaient bluffer, jouer, manipuler. Lui-même s'y prêtait volontier. Mais jamais il n'assista à une telle prestation. S'il s'agissait d'un informateur de Renfield, il ne s'attendait réellement pas à tomber sur le chef de leurs rivaux. Le teint déjà blême du jeune homme vira au blanc blafard. Première constatation : il le connaissait de vue et de fonction. Cette lueur d'extrême stupéfaction ne pouvait mentir. Deuxième constatation : il n'était pas d'ici. Ses cheveux d'un blond doré, ses yeux bleu azur et ses traits occidentaux ne sauraient tromper personne.

Les yeux écarquillés, l'inconnu ouvrit la bouche, mais sa voix mourut au fond de sa gorge. Clairement, il ne s'attendait pas à cette situation. Et le norvégien commençait à douter de ses compétences d'espion. Renfield n'était pas stupide, l'organisation n'aurait jamais envoyé l'un des leurs se faire bêtement attraper, à moins que ce ne fût une stratégie d'information… Comment savoir avec ces fanatiques ?

Après de longues secondes de silence pesant, l'étranger retrouva finalement l'usage de la parole, et répondit à l'injonction d'Aaren, bien qu'avec hésitation, l'émotion troublant son élocution. Sans surprise il réfuta l'hypothèse avancée par le chevalier. Toutefois, un mot en particulier interpella le Hunter. Peur ? De qui ? Des chevaliers ? Pour quelle raison ? S'il se trouvait ici pour entrer dans leurs locaux, quel était son motif, et pourquoi hésiter autant ? Les chevaliers étaient désormais connus dans la région pour leur bienveillance et leur considération. A défaut d'avoir répondu à sa question, le jeune intrus avait éveillé sa curiosité.

Et ce dernier comprit qu'Aaren ne se contenterait pas de si peu. Il enchaîna donc rapidement pour compléter et révéler... Comment donc ? Ce fut au tour du norvégien d'être surpris. Il haussa les sourcils et observa quelques secondes le jeune homme. Il était venu le voir, lui, personnellement ? Il ne serait pas le premier, mais… il ne l'avait jamais vu, ni entendu, il ne s'était pas annoncé, il n'avait donc aucune idée de qui il pouvait être et ce qui le motivait. A cela, il ne trouva au premier abord qu'une seule réponse.

"Oh."

II baissa lentement son bras armé, libérant l'individu de la menace de Stillhet. Il ne rengaina toutefois pas immédiatement. Son visage un peu plus tôt sévère affichait désormais une expression d'intense réflexion. Le doute persistait sur les véritables intentions du jeune homme. Cependant… S'il disait vrai, la réaction d'Aaren était largement disproportionnée, loin de l'image du chef bienveillant qu'il souhaitait renvoyer. Par ailleurs, même s'il restait toujours sur ses gardes envers les inconnus, son instinct lui soufflait que l'étranger disait la stricte vérité, pour une raison obscure. La flamme sincère et déterminée qui brillait dans son regard jouait sans doute en sa faveur. Il pouvait bien lui accorder le bénéfice du doute.

"Je vous crois." annonça-t-il finalement avec un sourire, son visage s'éclairant pour la première fois depuis une minute.

En rengainant Stillhet, la lame émit un chuintement métallique, qui, pour un esprit imaginatif, laisserait croire à une certaine forme de protestation… ou de réprimande, peut-être ? Le regard d'Aaren changea légèrement, désormais plus porté sur l'embarras. Il se sentait... presque penaud d'avoir surréagi ainsi. D'autant qu'avec du recul, l'hypothèse d'un rôdeur se tenait, certes, mais celle d'un espion rusé de Renfield, un peu moins.

"Je suis désolé pour ce fâcheux malentendu. Je vous ai pris pour un... rôdeur. Les événements sont propices à une certaine méfiance en ce moment, parfois trop exacerbée je vous l'accorde."

Il mit de côté le fait qu'il l'avait pris pour un espion de ses rivaux fanatiques. Inutile de rajouter une couche au malaise de la situation. La main droite toujours sur la garde de son épée, il lui adressa un sourire désolé, tandis que les traits de son visage, désormais détendus, s'adoucissaient. Puis il se rappela de l'essentiel et fronça légèrement les sourcils.

"Mais dites-moi, pourquoi avoir tant hésité ? Je ne mords pas pourtant -enfin, en règle générale." ajouta-t-il avec humour, un sourire gêné sur les lèvres.

Il passa sous silence sa solitude apparente en pleine nuit, car même à proximité de leurs locaux, un malheur pouvait si vite arriver… Mais le jeune homme avait déjà eu son compte d'émotions fortes, cela devrait lui servir de leçon. Du moins il l'espérait pour sa survie.

Je peux voir qu’il est surpris par ce que je viens de dire. En même temps … n’importe qui le serait, je suppose, vu la situation. Sa réponse syllabique ne m’aide pas réellement à me calmer. Ma gorge devient sèche, je suis certain que Daisuke-kun vu mon état, serait limite paniqué et me presserait de question pour savoir ce que j’ai. D’ailleurs j’ignore comment j’arrive encore à tenir debout, j’ai l’impression que mes jambes vont me lâcher, mon cœur refuse de ralentir.
Il baisse pourtant son arme, sans pour autant la rengainer. J’ai pas l’intention de m’enfuir. Enfin si …  c’est une option que je pourrai envisager en vérité. Cependant je doute de pouvoir lui échapper pour autant en agissant ainsi. Et puis, il me prend déjà pour … un rodeur au mieux, un espion au pire, alors fuir n’arrangerait pas mon cas.

Heureusement pour moi, il décide de me croire sur parole et rengaine à son côté son arme. Je me refuse d’interpréter le son qu’elle fait en retournant au fourreau. C’est plus fort que moi, je ne peux pas m’empêcher de laisser échapper un profond soupire de soulagement, ni de m’appuyer contre le mur à ma gauche. Comme je suis content de ne pas avoir cours demain ! J’aurai tout le temps pour me remettre de ce mauvais départ et des émotions qui vont avec.
Je reporte mon regard sur le sien, qui est déjà beaucoup moins sévère. Il semble désolé en fait. Ses paroles d’excuses me rassurent. En vérité, je comprends sa réaction, même si j’en ai subi les conséquences. Je l’ai un peu cherche aussi à ne pas me décider à entrer une bonne fois pour toute dans le bâtiment.

« Y’a … y’a pas de mal Monsieur. Je comprends. On est jamais trop prudent … je suppose. »

Mon sang ne bat plus mes tempes, mais je sens encore mon cœur battre dans ma poitrine, même si c’est moindre par rapport à tout à l’heure. Je m’écarte du mur pour lui faire face sans appuies, maintenant que je me suis un peu remis de mes émotions. J’en profite pour mieux le détailler. Il est grand, plus que moi en tout cas. Il a énormément de prestance dans son uniforme. Même sa main droite sur la garde de son arme renforce cet état de fait. Ses traits sont plus détendus maintenant, ce qui lui donne l’air rassurant. Quel contraste avec tout à l’heure !

Cet homme est le plus charismatique que je connaisse.

Pourquoi avoir tant hésité ? Il ne mord pas hein ? Je laisse échapper un petit rire gêné. Lui non mais son arme j’en suis moins sûr. Elle était bien partie pour en tout cas.

« Et bien … vous n’avez pas forcément beaucoup de temps pour ce genre de … broutilles. Et il ne faut pas que mes … enfin que ma famille, et leur organisation, sache que je me suis rapproché de vous. Je pense que vous êtes le seul qui pourrait m’aider vraiment. »

J’en ai soit trop dit soit pas assez vu son expression. Comment lui dire cela ? Le formuler correctement ? Difficile de tout lâcher de but en blanc. Aller un peu de guts, tout va bien se passer. Et puis tout ça n’est que la vérité, je n’invente rien. Même Daisuke-kun m’a conseiller de le faire.

« Mes … ma famille veut me forcer à intégrer leur secte, et techniquement ils le peuvent tant que je suis mineur. Mais après avoir écouté votre discours du 1er juillet, vous m’avez convaincu, Monsieur. On doit pouvoir vivre tous ensemble sans forcément vouloir la mort des autres.

J’en ai parlé avec mon petit-ami, il m’a conseillé de vous en parler. Il m’a affirmé que vous comprendriez, que vous étiez bienveillant. Mais aussi que vous ne me jugeriez pas, à cause de l’organisation pour laquelle travaille mes parents adotifs. La secte dont je vous parle se nomme Ordre Renfield. »

Je me tais. Est-ce qu’il va m’accorder un peu plus de temps ou retourner sur la défensive maintenant ? God, pourquoi tout est aussi compliqué !

Le soulagement du jeune homme était palpable. Son long soupir, comme sa main calée sur le mur, furent de nouveaux indices quant à son innocence présumée. Plus la conversation se prolongeait, plus le sentiment d'embarras grandissait dans le cœur du chevalier. Il se sentait presque idiot de l'avoir soupçonné d'être un espion, quelque fût son affiliation. Enfin, l'inconnu convenait que la prudence était nécessaire. Même si son dernier mot en suspens laissait planer le doute.

Le jeune étranger se remettait difficilement de ses émotions. Non clairement, il était sincère. Ou alors il avait raté sa vocation de comédien. Conscient de sa présence imposante, Aaren lui adressa un regard d'encouragement. Difficile d'effacer si rapidement ce qu'il venait de se produire, alors autant nuancer avec une attitude bienveillante. Sa petite pointe d'humour toucha néanmoins sa cible, sembla-t-il, car l'intrus laissa échapper un rire gêné. Puis il libéra enfin sa parole.

Certes, Aaren avait peu de temps à accorder au citoyen lambda, du fait de son agenda de ministre et des nombreux dossiers qui se bousculaient sur son bureau. Néanmoins, il pouvait s'arranger si la situation le nécessitait. Il fronça les sourcils. Ce jeune homme venait réclamer son aide, mais personne ne devait l'apprendre. Il craignait certainement les répercussions sur lui et ses proches. Faisait-il partie de la mafia ? Son instinct formula une autre hypothèse qu'il trouvait encore moins enviable.

"Je vous écoute." l'encouragea-t-il d'une voix douce.

Le jeune homme poursuivit donc, avec un soupçon d'hésitation. Rien que le mot secte suffit à renforcer le mauvais pressentiment du chevalier. Il fut néanmoins surpris d'apprendre qu'il avait écouté, ou peut-être lu, le contenu de son discours. Ce jeune homme se tenait bien informé de ce qu'il se passait en ville. S'il était humain, ce qui était fort plausible, il ne se voilait pas la face comme une partie de la population mortelle de la cité.

"Renfield..."

Le regard d'Aaren s'assombrit. Mais il n'était pas dirigé contre le jeune homme. Le pauvre semblait totalement dépassé par les événements. Il n'avait clairement pas choisi l'orientation de sa famille et souhaitait même se soustraire à leur influence. En tout cas, le norvégien comprenait mieux son hésitation et le besoin de le consulter. C'était un sujet délicat.

Une silhouette se dessina dans la lumière projetée par l'entrée du bâtiment, rapidement rejointe par une seconde. Deux hunters venaient vérifier que tout allait bien, soucieux de ne pas voir revenir leur chef après autant de temps. Les apercevant, Aaren leur adressa un signe de la main pour les rassurer. Les deux autres chevaliers hochèrent la tête et regagnèrent la sécurité de leurs quartiers. Le fils d'Erik recentra son attention sur le jeune homme.

"Votre petit-ami a bien fait. Mais nous serons mieux à l'intérieur pour en discuter. Venez."

Il posa la main droite sur l'épaule de l'intrus pour l'encourager à le suivre. Arrivé devant les portes, il s'immobilisa, se rappelant d'un détail. Il s'éclipsa brièvement sur le côté pour récupérer la tasse qu'il avait laissée un peu plus tôt sur le rebord extérieur d'une fenêtre. Il rejoignit ensuite son nouvel invité à l'intérieur.

"Souhaitez-vous boire quelque chose ?" lui demanda-t-il en désignant le distributeur de boissons.

Lui-même comptait se resservir en café. Il permit donc à l'inconnu de bénéficier de son badge pour lui offrir un réconfortant. C'était le moins qu'il pût faire après ce malentendu. Il surprit les regards interrogateurs de ses hommes, qui n'osaient toutefois pas poser de question.

"Je dois m'entretenir avec ce jeune homme. Toshiro-san, pourriez-vous rester un peu plus longtemps pour pouvoir le raccompagner chez lui lorsque nous aurons terminé ?"

Le chevalier opina sans discuter. Son personnel ne discutait jamais ses ordres, et accédait toujours à ses requêtes, en particulier les japonais qui étaient très à cheval sur la hiérarchie. Il leur laissait pourtant toujours l'occasion de s'exprimer en cas de désaccord. Il le remercia donc d'un hochement de tête. Il invita ensuite son invité à le suivre jusqu'à ses quartiers privés. Une fois dans son bureau, il désigna le fauteuil pour l'inviter à s'installer.

"Bien." dit-il en s'asseyant. "Si je résume, votre famille fait partie de l'Ordre Renfield et elle souhaite que vous fassiez partie intégrante de leur organisation, sans vous demander votre avis puisque vous êtes mineur. C'est effectivement une position fâcheuse. Votre ami a bien fait de vous envoyer vers moi… d'ailleurs il semble bien me connaître, j'en déduis qu'il fait partie de mon entourage ?"

Bien sûr, il n'exigeait pas de nom. Si ce jeune homme souhaitait garder son identité secrète, il le comprenait, tant pour des raisons de vie privée que d'éventuels conflits vis-à-vis de la famille du concerné. Après tout, l'homosexualité était encore loin d'être acceptée de tous. Cependant, avant toute chose, il avait besoin d'un nom. Il remit en place son pot à crayon, qui était de travers, avant de poursuivre.

"Pour commencer, pourriez-vous me dire votre nom et me raconter comment vous en êtes arrivé là ?"

S'il voulait son aide, il avait besoin d'en savoir un maximum à son sujet. Du moins toute information susceptible de l'aider à se protéger de sa famille et plus particulièrement de l'Ordre Renfield. Il espérait réellement lui être utile. Mais parfois, avec ses rivaux et leurs ressources monumentales, ses pouvoirs restaient malheureusement limités...

Il se contente de redire le nom de cette secte. En parallèle, je vois son regard s’assombrir. Même en sachant que je ne suis pas la cible de ce dernier, je ne peux m’empêcher de frissonner. Qu’est-ce qu’il pouvait bien en penser ? Est-ce qu’il réfléchissait à quel danger je pouvais représenter pour son organisation … pour lui ?
Je le vois faire un geste de la main, et me retourne pour voir à qui. Il semble que deux chevaliers soient sortis pour savoir ce qu’il advenait de leur chef. Ce geste était certainement destiné à les rassurer, puisqu’ils retournent à l’intérieur. Sa voix me fait reporter mon attention sur lui. Rentrer … à l’intérieur ? Oui je suppose qu’on y sera mieux en effet. Et puis maintenant que la conversation est engagée, je ne vais pas abandonner comme ça.
Je le suis donc jusqu’à l’entrée du bâtiment. Sa main sur mon épaule est redonne du courage et me rassure. Là il s’arrête et s’éclipse. Je ne bouge pas, me demandant comment la discussion allait évoluer. Il me rejoint avec une tasse, probablement celle qu’il avait en sortant tout à l’heure d’ailleurs. J’apprécie sa proposition, même si ce n’est pas grand-chose.

« Oui … merci Monsieur. »

Je prends donc un café, tout comme lui. Il continue de m’impressionner fortement, tellement que j’ai la sensation d’être tout petit à ses côtés. Je vois bien que tous les chevaliers présents nous observent. Je les comprends, ce ne doit pas être commun de voir leur chef avec un inconnu, encore moins à qui il propose un café avec son propre badge. En revanche, je constate qu’aucun d’eux ne posent de question. Est-ce que c’est par respect ou seulement à cause de la hiérarchie ? Je ne vois Daisuke-kun nulle part dans cette vaste salle, il doit être en patrouille ou alors en train de se reposer chez lui. Je crois que cela me rassure, même s’il m’aurait certainement encourager à m’ouvrir à son chef. Je ne sais pas encore trop comment expliquer la situation en plus …
L’homme, à la prestance sans pareil, demande à l’un des membres de son organisation s’il peu rester un peu plus longtemps, afin de me raccompagner par la suite. Quelque part cette attention me touche beaucoup, même si elle me gêne aussi.

Je le suis jusqu’à son bureau et m’assois dans le fauteuil qu’il me désigne. Je suis encore plus intimidé ici, que dans la ruelle de tout à l’heure. Je sais qu’il ne me fera pas de mal, au contraire, et qu’il va vouloir comprendre pour m’aider au mieux. Néanmoins ça n’enlève rien à mon ressentis.
Parti de son entourage ? C’est le moins que je puisse dire. Daisuke-kun m’a dit être son élève. Enfin pas dans le sens scolaire du mot. Mon petit-ami est plus comme … un disciple. Son senpai l’encadre pour l’aider à progresser et s’intégrer dans l’organisation.

« Oui en effet il en fait partis. Il s’agit de Kûdo Daisuke. Il m’a dit que vous étiez son senpai. »

Je n’ai rien à cacher sur ce point. En plus j’assume parfaitement qui je suis et qui j’aime. Je sais que, même si c’est très récent, c’est aussi le cas pour Daisuke-kun. Je ne crois pas qu’il m’en tiendra rigueur d’avoir dit à son chef qu’il m’avait conseiller d’aller lui parler.
Raconter comment j’en suis arrivé là ? Er … c’est-à-dire que … c’est long. Tortueux. Et loin d’être simple. En même temps je ne peux pas lui cacher toute la vérité. Je viens lui demander son aide, ça serait mal venu. Maintenant … peut-être que je peux me concentrer sur certains points plus que sur d’autres. C’est un compromis … au moins pour commencer. Il sera toujours temps d’être plus précis après.

« Je m’appelle Nathan Arcand. Je suis québécois, j’ai grandi à Sachs Harbour, une petite ville au nord du Canada. Je suis ici pour mes études à l’Université de Nakanoto. Mes parents adoptifs n’ont pas encore remarqué que je n’étais plus dans l’Université de Los Angeles. Je sais qu’ils ont rejoins l’Ordre Renfield en novembre 2006, suite à la mort de leur fils biologique. Je ne sais pas comment ils ont pu savoir ce qui l’avait tué réellement, mais ils n’arrêtaient pas de parler de vampire et de la nécessité de purifier le monde d’eux.

A ce moment, ils m’ont mis de côté. J’étais encore très jeune et cette organisation leur prenait beaucoup de temps. Ils n’étaient pas souvent chez nous, voyageant beaucoup pour leurs nouvelles fonctions. Il y a … trois ans à peu près, ils ont commencé à me parler de les rejoindre, de prendre les armes contre l’engeance du diable. Que si j’avais seulement la moitié de mon talent au hockey, je serai très doué pour les exterminés.

J’ai d’abord rien dit. Puis j’ai décliné à chaque fois qu’ils me sollicitaient sur le sujet. Avant mon départ, ils parlaient même de me faire faire une prise de sang pour permettre l’étude de mes gênes. Dans un but purement d’amélioration et de conservation de lignage.
J’avoue que … que ça m’a fait vraiment flipper. C’est arrivé quelques jours avant qu’un avocat ne me dise que j’avais été adopté. J’ai préféré mettre le plus de distance possible entre eux et moi après ça. »

J’avale une gorgée de mon café. J’ai la bouche sèche. En même temps je suis fier d’avoir réussi à en dire autant sur la situation. Il n’y a pas tout, mais il fallait bien commencer quelque part. Et sa question était légitime. Il ne me connait pas, il a donc besoin d’information sur moi.

Le jeune homme face à lui semblait intimidé par son environnement. Enfin, plus certainement par le chevalier. Il ne devait pas avoir l'habitude d'être confondu avec un rôdeur par le chef d'une organisation qui luttait contre les abus du surnaturel. Il n'avait pas dit un mot sur le trajet, sans doute encore en émoi après leur rencontre pour le moins mouvementée.

Néanmoins l'étranger réagit à la question posée sur l'identité de son ami. Et d'ordinaire impassible, Aaren ne put retenir un haussement de sourcil surpris à l'annonce de son interlocuteur. Daisuke était son petit-ami ? Et bien ça, pour une coïncidence… Enfin, pas totalement, car si cet occidental avait effectivement un passif avec Renfield, son apprenti n'aura pas manqué de bien le conseiller.

"Daisuke… Et bien ça pour une surprise… Le hasard fait bien les choses. En effet il s'agit de mon disciple, je prends sa formation en charge pour faire de lui un chevalier à part entière."

Le regard d'Aaren resta un instant fixé sur le blondinet. S'il connaissait Daisuke… savait-il aussi qu'il était lycan ? Ce n'était pas le genre d'information facile à partager, et il n'était pas rare qu'un secret demeurât au sein d'un couple. Il préféra garder le silence pour éviter un malheureux écart. Il se concentra plutôt sur ce que son invité avait à dire sur sa situation. Il prit une gorgée de café alors que son interlocuteur se lançait enfin.

Il s'appelait donc Nathan Arcand et venait tout droit du Québec. Il avait été adopté, visiblement, et sa famille avait perdu un fils. La souffrance qui en résultait les avait certainement guidé sur la mauvaise voie. Aaren se demanda toutefois comment ils avaient eu vent de l'existence des vampires. Leur défunt enfant avait certainement servi de proie à l'un d'eux. Néanmoins, le continent américain était épuré des renégats par Bradley. Un accord vieux de plusieurs décennies. Ainsi, les circonstances de ce drame l'intriguaient. Mais Nathan n'en savait pas plus que lui, aussi il devrait se contenter d'un peu.

Et bien sûr, les parents souhaitaient depuis trois ans que leur fils encore vivant les rejoignît dans leur quête de purification. Bien évidemment qu'il avait pris peur. Quel jeune homme sain d'esprit considérerait la question autrement ? Sa réaction d'éloignement était compréhensible et logique.  Le chef des chevaliers laissa couler le silence quelques secondes avant de réagir à ce récit.

"Je comprends mieux votre émoi. Vous avez bien fait de prendre de la distance. En un sens c'est malheureux qu'ils n'aient pas remarqué votre départ. Ils devraient montrer plus de considération pour leur enfant, adopté ou non. Mais j'imagine que la douleur et la peine peuvent mener sur des sentiers escarpés, parfois sans retour possible. D'ailleurs, mes condoléances pour votre frère."

Il marqua une pause pour se masser les pommettes d'une main. Comment pouvait-il aider ce jeune homme ? Son affiliation avec Renfield compliquait grandement la situation. Il ne pouvait pas les placer sous la protection des chevaliers sans risquer d'attirer les foudres de leur hiérarchie. Les conséquences seraient fâcheuses pour lui et sa famille. Une idée germa dans son esprit.

"Je ne connais pas bien les lois québécoises, mais il me semble que la majorité chez vous s'atteint à dix-huit ans comme ailleurs ? En tant que majeur, vos parents ne peuvent pas vous imposer quoique ce soit. Toute décision doit être prise avec votre accord écrit. Et si vous n'êtes pas encore majeur… avez-vous pensé à vous émanciper ? Ce serait une bonne solution pour vous soustraire à leur autorité d'un point de vue juridique."

Cela ne les arrêterait probablement pas, du moins pas complètement, mais au moins ils seraient grandement limités. Après, il doutait que Renfield respectât strictement la loi du pays de naissance de ses membres et de leur famille. Ils seraient capables de ne pas considérer l'émancipation du garçon et l'enrôler de force. Enfin, encore fallait-il qu'ils missent la main sur lui.

"Je ne peux pas faire grand chose, officiellement du moins. Je peux aider à ce qu'ils ne vous trouvent pas, si vous tenez à votre anonymat. Mais pour le reste, vous l'avez dit vous même, il vaut mieux éviter qu'on vous associe aux chevaliers. Les conséquences pourraient être fâcheuses pour vous et votre famille."

Et Aaren ne souhaitait pas lui attirer plus de problèmes qu'il n'en avait déjà. Il se sentait même particulièrement concerné par sa situation. L'histoire de Nathan l'avait plus touché qu'il ne l'aurait pensé.

Le silence qui suit ma réponse est long. Terriblement long. J’ai l’impression qu’il n’en finira jamais. Comme si … comme s’il ne savait pas quoi dire après cela. Ce doit être mon imagination, je ne vois pas pourquoi il ne trouverai rien à dire. C’est le Chef des Chevaliers des Ombres, il est intelligent donc même une réponse simple ça devrait le faire.
Enfin il reprend la parole. Oui m’éloigner était bien la seule solution qui m’est venue en esprit. J’avais besoin de ne plus être près d’eux, encore plus après avoir vu cet avocat et pris connaissance de mon héritage. C’est possible qu’ils auraient dû me prêter plus d’attention, mais c’était comme ça depuis tellement longtemps … J’avais même du mal à me souvenir de moment où j’avais de l’importance pour eux.

« Merci … Vous savez, je ne suis pas sûr que qu’un être surnaturel, vampire ou non, soit responsable de sa mort. Il faisait partie de l’armée canadienne. Il a été envoyé au Moyen-Orient pour une opération du nom de Médusa, il n’en est pas revenu. J’imagine assez mal un vampire dans cette partie du monde. Il y a beaucoup de chaleur et de soleil surtout. »

Je ne suis pas certain que les vampires disparaissent sous les rayons du soleil, maintenant rien ne me dit que ce n’est pas le cas. On n’a jamais discuté vampire vraiment avec Daisuke-kun, et Fuusaki-san qui est un vampire, lui fuit le soleil. J’en déduis qu’il est néfaste pour son espèce.
Je regarde Aaren Hermansson se masser les pommettes d’une main. Mon cas est aussi épineux que cela ? Peut-être qu’il pèse le pour et le contre de ma demande d’aide maintenant qu’il en sait un peu plus. Il doit réafléchir aux conséquences que l’aide des Chevaliers pourrait avoir sur moi et ceux qui me sont chers ? Enfin à part Grand’Ma et Daisuke-kun, Lindiya aussi, il n’y a pas grand monde de plus … enfin presque.

« La majorité dépend des régions, de celle d’où je viens, il faut avoir 19 ans pour être considéré comme majeur. Et je n’ai encore jamais songé à l’émancipation non. Maintenant je ne sais pas si je pourrai en bénéficier et surtout … il ne faut pas l’accord du tuteur légal pour en faire la demande ?
Ce qui est sûr, c’est que si j’ai besoin de l’accord des mes parents adoptifs pour, jamais je ne l’aurai. Mais je vais quand même me renseigner, on ne sait jamais après tout. »

J’ignore si cette solution peut être viable, mais je peux toujours me renseigner dessus. Après tout, cela ne me coûtera rien et dans le pire cas, cela ne changera pas ma situation.
Il ne peut rien faire … officiellement ? Cela veut dire qu’officieusement il peut peut-être m’aider, même un peu ? A ce qu’ils ne me trouvent pas oui … c’est toujours ça. Et il faut juste que je tienne jusqu’à décembre. Cela me laisserai du temps pour continuer mes recherches sur ma famille biologique, même si pour le moment ils ignorent tout de mon existence.

« Je comprends … je ne souhaite pas vous mettre en mauvaise posture non plus. Merci pour l’aide que vous acceptez de me donner Monsieur Hermansson.
Oui il vaut mieux, en tout cas pour le moment. Même si j’y suis déjà associé indirectement par mon petit-ami.

Les conséquences … oui cela pourraient. Après je crois que mes parents adoptifs sont déjà perdus, depuis bien longtemps. Je cherche ma famille biologique, mais tant qu’ils ignorent tout de mon existence, ils sont en sécurité. Quant à Daisuke-kun, je sais qu’il peut se défendre sans trop de difficulté. C’est un lycan après tout, vous le savez. »

Je n’ai pas peur que ces fanatiques s’en prennent à Daisuke-kun, parce que dans les faits, il faudrait déjà qu’ils puissent remonter jusqu’à lui, et je n’ai pas l’intention de prendre ce risque pour lui, ni pour nous. Vu les pensées de mes parents adoptifs sur la sexualité en générale … je n’ai même pas envie de leur dire pour nous deux, ni même leur avouer que je préfère les hommes. Au moins, le senpai de Dai-kun est ouvert d’esprit sur ce point.

« Dites-moi … vous pourriez faire quoi pour m’aider à conserver mon anonymat jusqu’à début décembre que je sois pleinement majeur ? J’espère ne pas vous rajouter une charge de problème supplémentaire, surtout au vu de la situation actuelle. »

Le dénommé Nathan apporta quelques précisions sur la disparition de son frère. Il avait trouvé la mort lors d'une opération au Moyen-Orient. Effectivement, très peu de vampires fréquentaient cette partie du monde. Dans la mesure où seul un vampire de sang-pur pouvait supporter les rayons du soleil sans effet néfaste, les cours évitaient consciencieusement les pays très ensoleillés. Tout au plus, quelques vampires de sang-pur solitaires y circulaient, à leurs risques et périls.

Le jeune québécois doutait de l'implication d'une créature surnaturelle dans la mort de son frère adoptif. Néanmoins, peut-être n'avait-il pas tous les détails de cette histoire. Même si sa réflexion sur la présence de vampires en terres arides était pertinente. Daisuke avait dû partager ses connaissances avec lui pour qu'il en sut autant sur eux. Enfin, ce n'était pas l'objet de sa présence ici, aussi Aaren ne fit aucun commentaire.

Le jeune Nathan n'avait pas encore dix-neuf printemps, âge de la majorité de son pays de résidence. Aaren comprenait mieux son inquiétude. Il semblait terrifié à l'idée d'être impliqué dans cette bataille, et le norvégien le comprenait parfaitement. Surtout qu'il ne partageait en rien les idéaux et les croyances de sa famille adoptive. Un épineux problème, auquel il ne voyait pour l'instant aucune solution probante. Car le jeune québécois soulignait un détail essentiel. Aaren se frotta le menton de sa large paume.

"En effet, je ne connais pas les différences de législation entre les États, mais chez moi il faut bien l'accord des parents, ou du tuteur légal, pour qu'un juge accorde l'émancipation."

Les voilà de retour à la case départ. Même si Nathan se renseignait par la suite, il préférait ne pas compter sur un détail législatif providentiel et avancer sur la piste des solutions. Il se creusait sans doute trop la tête pour un parfait inconnu, mais… Il avait envie de l'aider. Le géant hocha la tête pour confirmer les propos de Nathan sur Daisuke. En tant que lycan, ce dernier était le plus à même de se défendre face à Renfield. Même s'il planait la nouvelle menace des armes anti lycan… heureusement, il savait par Bradley et Vilhelm que leur production demandait des moyens colossaux, et prenait donc du temps. Ils ne devaient pas en avoir beaucoup en stock. Inutile d'assomer Nathan avec cette information, si son petit ami ne l'avait pas déjà fait. Finalement, le jeune homme formula la question essentielle. Aaren se frotta l'arrête du nez entre le pouce et l'index sans le quitter des yeux, l'esprit en éveil.

"Je peux certainement faire quelque chose pour protéger votre anonymat, mais pour cela je dois savoir quelles procédures vous avez entamé sous votre véritable nom pour avoir un aperçu de l'étendue de votre existence sur le territoire nippon. Inscription à l'université, demande de bourse, de logement, visa… tous ces éléments prouvent qu'un Nathan Arcand de nationalité québécoise étudie à Nakanoto."

Il sentait déjà le découragement poindre chez l'étudiant. Bien évidemment, il n'avait certainement pas pensé à tous ces détails en arrivant ici. Et comment le lui reprocher ? Il fuyait déjà sa famille, sans imaginer à quel point l'organisation à laquelle elle appartenait pouvait s'avérer dangereuse et acharnée pour retrouver ses déserteurs.

"Je ne vous cache pas qu'il sera complexe de composer avec ces procédures. Néanmoins il existe des solutions. Et s'il s'avère impossible de cacher simplement votre identité, nous pouvons envisager de vous faire disparaître, administrativement parlant j'entends. Ce pourrait être en déclarant votre mort, par exemple. Ou, si on va plus loin, vous faire quitter le Japon, avec un billet à votre nom, porté par un faux Nathan Arcand. Dans tous les cas, il faut envisager d'exister sous un autre nom, au moins le temps d'atteindre votre majorité."

Il releva les yeux de son bureau en bois massif pour fixer les iris céruléens semblables aux siens.

"Tout dépend de ce que vous souhaitez."

Il me confirme que, concernant l’émancipation, chez lui il est nécessaire d’avoir l’accord d’un parent ou d’un tuteur pour que ça puisse être accordé. Je pense que par chez moi, ça doit être quelque chose d’approchant, donc d’inenvisageable in fine.
Je l’observe se frotter l’arrête du nez avec son pouce et son index. Nos regards se croisent et je devine qu’il est en train de penser à mille et une possibilité, même s’il n’en dit aucune présentement. Je n’ose pas parler à nouveau, ma question interrogation est bien assez épineuse ainsi. De plus qu’est-ce que je pourrai bien ajouter ? Il n’a aucun moyen d’envisager l’intégralité des solutions… du moins pas sans une dernière information de ma part. Sauf que je n’ai visiblement pas le guts d’aller au bout de mes propos …

Quelles procédures sous mon nom ? Er… probablement trop. Il y a ma demande de VISA, mon hébergement, ma bourse partielle, l’Université bien sûr… Mon job étudiant, les clubs, le complexe sportif pour la carte de membre. Je suis persuadé que j’en oublie. J’ai du faire tellement de bourde ! Pourquoi je n’ai pas pensé plus tôt à ce genre de détails ? C’était pourtant essentiel ! Tu parles d’une fuite efficace…
Envisager d’exister sous un autre nom que celui de mes parents adoptifs ? Je m’y suis préparé un peu depuis que je sais que je ne suis pas vraiment leur fils. Cependant je n’ai jamais envisager, encore, de le faire sérieusement. Surtout que dans mon idée initiale, je prenais le nom de ma famille biologique avec leur accord préalable.
Faire croire à ma mort ? C’est extrême comme solution… Grand’ma ne s’en remettrait pas, et je n’ai pas envie de lui faire subir cela non plus. L’idée de demander à quelqu’un de se faire passer pour moi est peut-être celle que je choisirai préférentiellement, sans être pour autant convaincu. J’ai conscience que l’organisation de mes parents adoptifs a beaucoup de moyens, et que mes parents pourraient en bénéficier s’ils le souhaitent ? Ainsi, ma fuite n’est juste qu’une fugue à leur yeux, parce qu’ils peuvent me rattraper quand bon leur semble.
Réaliser cela me donne un coup au moral. Comment je vais pouvoir expliquer tout cela à Dai-kun ?

« Je… non j’ai pas pensé à toutes les procédures officielles que j’ai dû faire. Je peux regarder une fois rentré chez moi dans mon ordinateur. J’ai pratiquement tout fait en ligne et j’ai créé un dossier correspondant. Je pourrai vous le transmettre afin que vous puissiez voir ce qu’il est possible de faire… ou non. Je n’ai pas suffisamment réfléchir en partant… J’aurai dû mieux prévoir les conséquences, envisager plus de choses que seulement la nécessité de m’éloigner.
Je n’apprécie pas vraiment mes parents adoptifs, mais ce n’est pas la même pour ma grand-mère. Je ne souhaite pas ‘mourir’ même de manière fictive. Je ne veux pas lui briser le cœur, ça serait bien trop cruel envers elle, alors qu’elle m’a toujours soutenu et aidé.
Je peux changer de nom jusqu’à ma majorité, ça ne me dérange pas. Surtout que je ne suis pas certain de vouloir le conserver après… Je souhaite rester au Japon, avec Daisuke-kun, donc changer de nom n’est pas forcément une mauvaise chose. J’en discuterai avec lui pour avoir son avis. Il est plus réfléchis que moi, l’expérience sans doute, alors il saura me conseiller. »

Je souris légèrement, tout en maudissant ma propre lâcheté. J’ai eu le guts de quitté le Canada pour venir jusqu’ici et depuis … impossible d’avancer correctement. C’est à en perdre mon langage cette histoire ! Pourtant il faudra bien que j’y arrive à un moment ou à un autre.

« Merci d’avoir pris de votre temps pour m’écouter, et essayer de m’aider Monsieur Hermansson. Je ne vais pas abuser plus longtemps et rentrer. Avec votre accord, je repasserai dès que je pourrai ici, avec les informations dont vous avez besoin pour savoir ce que vous pouvez vraiment faire ou non. »

Je me lève du siège où j’étais, lui sers la main qu’il me tend, avant de rejoindre le hunter qui doit me raccompagner pour plus de sécurité. Je ne peux m’empêcher de me demander, sur le chemin du retour, comment aurait été ma vie si j’avais pu échapper à mes parents adoptifs plus tôt, si j’avais su avant pour mon adoption et mes origines. Où est-ce que j’en serai ? Est-ce que je serai le même, ou totalement différent ?
Je ne devrais pas penser à ce genre de chose maintenant. C’est le meilleur moyen pour me donner le cafard et regretter de ne pas être dans les bras de Dai-kun pour ne plus y penser.